Dans le cadre de la manifestation « Japonisme 2018 », le Petit Palais nous présente les œuvres d’un quasi inconnu, Itō Jakuchū, considéré dans son pays comme l’un des plus grands artistes japonais ! Au milieu du XVIIIe siècle, Jakuchū fit œuvre de la nature avec des compositions dans lesquelles la beauté et le réalisme se conjuguent avec une incroyable poésie du vivant. Un véritable choc visuel qui confine au divin.
Posté le 15 septembre ➡ 14 octobre 2018
Cette courte – dans les deux sens du terme – exposition que nous a concocté le Petit Palais pour cette rentrée est exceptionnelle à plus d’un titre. Courte car elle ne comprend que 33 œuvres qui ne sont nullement une sélection, mais un corpus dans son entier. Courte aussi puisqu’elle ne dure qu’un seul mois. Exceptionnelle maintenant car il s’agit de la présentation des trente estampes sur soie d’une série intitulée Le Royaume coloré des êtres vivants, à laquelle a été ajouté trois peintures votives constituant la Triade de Sakyamuni représentant Bouddha et Bodhisattva dans un esprit proche des thangka tibétain. Et enfin c’est la première fois que cet ensemble, peint dans la seconde moitié du XVIIIe siècle est exposé en Europe, sorti pour l’occasion des collections impériales du Japon. Cette présentation est d’évidence l’un des temps forts de la saison « Japonisme 2018 » célébrant, entre autres, les 160 ans de l’amitié – (presque) sans faille – entre la France et le Japon.
Canards mandarins dans la neige, 1759 © Tōkyō, Musée des col¬lections impériales (Sannomaru Shōzōkan), Agence de la Maison impériale

Coqs, 1761-1765, © Tōkyō, Musée des col¬lections impériales (Sannomaru Shōzōkan), Agence de la Maison impériale

Roses et petits oiseaux, 1761-1765 © Tōkyō, Musée des col¬lections impériales (Sannomaru Shōzōkan), Agence de la Maison impériale

Poissons, 1765-1766 © Tōkyō, Musée des col¬lections impériales (Sannomaru Shōzōkan), Agence de la Maison impériale

Vieux pin et phénix blanc, 1765-1766 © Tōkyō, Musée des col¬lections impériales (Sannomaru Shōzōkan), Agence de la Maison impériale

Bodhisattva Samantabhadra, 1765 © Tōkyō, Musée des col¬lections impériales (Sannomaru Shōzōkan), Agence de la Maison impériale

L’artiste à qui nous devons cet ensemble, un certain Itō Jakuchū (1716-1800), fut actif à l’époque Edo et, bien que quasiment inconnu chez nous (et ce malgré la vague de japonisme à la fin du XIXe siècle) il est considéré au Japon comme l’un des plus grands artistes japonais toutes époques confondues ! C’est dire s’il était temps que nous le découvrions ! Étonnant parcours que celui de ce… grossiste en légumes qui décide à quarante ans de confier les rênes de l’entreprise familiale à son frère pour se consacrer pleinement à sa passion, la peinture, qu’il pratique depuis l’âge de dix ans. En 1757, artiste déjà connu et reconnu, il débute son travail sur Le Royaume coloré des êtres vivants.
D’une incroyable beauté
Que dire ? Que nous avons été subjugué par l’incroyable beauté de ces représentations animales qui, tout en étant d’un surprenant réalisme, savent transcender cela avec une habilité folle à représenter les plumages, les fleurs, les attitudes et les mises en scènes de ces morceaux de nature. Sur de grands panneaux de soie sont organisées, avec un incroyable sens de la mise en scène, des représentations de coqs, poules, canards, paons, oiseaux, insectes et autres poissons évoluant dans des environnements de fleurs, d’arbres et de roseaux. La contemplation de l’ensemble demande à bien y regarder car si on a l’habitude de dire que le diable se cache dans les détails, il semble ici que c’est dans les détails, dont certains sont même difficile à percevoir à l’œil nu, que se cache non le diable, mais toute la poésie, le naturalisme et l’affection de Jakuchū à vouloir imiter au mieux la nature. Pour ce faire, comme le rapporte Daiten Kenjō, supérieur du temple Shōkoku+ji, qui entretint une amitié profonde avec le peintre : « Jakuchū éleva quelques dizaines de coqs dans son jardin, et consacra plusieurs années à observer leur forme et à les croquer sur le vif. Ensuite, il élargit ses sujets jusqu’à ce que son pinceau obéisse aux commandes de son cœur ».
Un ensemble conservé par l’empereur
Vieux pin et paon, 1757-1760 © Tōkyō, Musée des collections impériales (Sannomaru Shōzōkan), Agence de la Maison impériale
Cet ensemble, Jakuchū décide, même avant d’avoir achevé son travail sur les trente rouleaux, de les donner au monastère Shōkoku-ji, accompagnés de la triade bouddhique Shaka Sanzon-zō, qui seule est demeurée en place à ce jour. Effectivement, les trente rouleaux ont été acquis par la cour en 1889 et sont aujourd’hui conservés dans le musée des collections impériales, le Sannomaru Shōzōkan, abritant la collection d’œuvres d’art de la famille impériale du Japon. Cette dernière comprend pas moins de neuf mille cinq cents spécimens, dont des peintures, calligraphies et objets d’art de toutes les époques, transmises de génération en génération.
En plus de l’indéniable qualité artistique de ce travail, la principale caractéristique de cet ensemble unique est la réunion de toutes les techniques appliquées à la peinture sur soie. La pose de couleurs sur l’envers et l’endroit, l’absence de lignes de contours ainsi que l’utilisation conjointe de pigments minéraux et de teintures naturelles sont autant de techniques complexes que l’artiste maîtrise parfaitement et qu’il combine avec une grande ingéniosité. Ainsi dans l’oeuvre Vieux pin et phénix blanc, l’artiste, grâce à l’application de la couleur ocre sur le revers, réussit le véritable tour de force d’évoquer l’or sans faire appel à celui-ci. Dans le rouleau, Canards mandarins dans la neige, Jakuchū impressionne par sa manière de peindre la neige et de rendre palpable sa matière même.
En bouddhiste fervent, la démarche de Jakuchū n’est pas seulement artistique, elle est, comme l’écrivit Baisaō l’un de ses contemporains, « La suprême habilité de la main qui compose ces peintures communique avec le divin ». Oui, divin est le mot.
Musée des Beaux-Arts / Petit Palais, avenue Winston Churchill (8e).
Tous les jours sauf le lundi de 10h à 18h. Nocturne le vendredi jusqu’à 21h.
Site du musée : www.petitpalais.paris.fr/