On a du mal à imaginer aujourd’hui, alors qu’il siège dans la cohorte des peintres réalistes et académiques, combien William Bouguereau (1825-1905) fut une star en son temps. Il est alors le peintre français le plus adulé, collectionnant les honneurs et les récompenses, connu ici mais aussi partout en Europe et même aux Etats-Unis ! Il est aussi Prix de Rome, professeur aux Beaux Arts, membre de l’Institut avant d’en être le président, régnant sur les cinq académies que comptait l’Institut, choisi pour prononcer l’oraison funèbre de Victor Hugo « étant alors à la peinture ce que le grand homme (Hugo) était à la littérature » et passons sur tous les autres honneurs accrochés à son nom. Et pourtant, de nos jours, qui connaît vraiment ce peintre des plus doués, inventif et si délicieusement romantique, perdu dans cette cohorte de peintres si merveilleusement talentueux dans laquelle se trouve les Gérôme, Bonnat, Cabanel, Meissonier et autre Benjamin-Constant ? Ces peintres attachés à une certaine idée du beau, du classique et traitant de sujets empruntés à l’Antique, à la Bible, à des scènes de genre ou d’Histoire voire à des « fantaisies mythologiques » qui emballaient les visiteurs du Salon Officiel. Mais voilà la rigidité de leur institution, l’arrivée de nouveaux mouvements – dont celui des Impressionnistes en 1874 – va remettre en cause leur art. L’art est le reflet de la société dans laquelle il s’élabore et leur académisme va se diluer dans le siècle en gestation.
L’art de William Bouguereau, fils d’un marchand de vin né à La Rochelle, est bien le reflet et de son temps et de sa formation aux Beaux-Arts de Paris où il entre en 1846. Après une première partie biographique qui nous fait suivre Bouguereau de la Rochelle à Rome puis à la gloire, l’ouvrage est chapitré de manière thématique à commencer par le portrait, cette « peinture des émotions » manière dans laquelle il excellait. Extraordinaire portraitiste dans cette veine romantique et classique telle que nous l’a montré Ingres qui professait aux Beaux Arts lorsque Bougereau lui-même en était un élève. Il nous montre ses modèles dans des poses très statiques souvent sur des fonds sombres avec une débauche d’effets de satin et de moire. S’ensuivent ses œuvres adaptées de la mythologie en des fantaisies dans lesquelles la grandiloquence le dispute à une grande sensualité dans une époque où, rappelons-le, le nu féminin n’était permis qu’au service d’une allégorie, une histoire ou de transpositions mythologiques ou bibliques. Ce dont il use à satiété avec, en point d’orgue, sa très sensuelle Naissance de Vénus (illustration ci-contre) qui, depuis Botticelli régalait l’œil autant que l’âme, ou cette Jeunesse de Bacchus sorte de farandole dénudée proche d’une bacchanale ou encore Les Oréades dans laquelle trois satyres contemplent une envolées dans les cieux d’une bonne cinquantaine de jeunes femmes qui n’ont que leur vertu comme habit ! S’ensuivent ses œuvres religieuses, passage obligé – comme la peinture d’Histoire – en ces temps encore très imprégnés de la mystique religieuse et des Écritures. Là encore le nu est très présent… mais c’est pour la bonne cause. Corps exaltés, martyrisés, mortifiés, béatifiés dans lesquels Bouguereau retrouve les accents de ses grands prédécesseurs que furent les Raphaël et autre Botticelli, quant à la perfection des rendus et à l’exaltation des sentiments. La peinture de ses paysans clôture l’ouvrage. Simplicité, gravité et douceur plus que pauvreté et détresse tentent de nous faire voir la simplicité des sentiments filiaux et maternelles en des compositions d’une grande beauté et d’une extrême rigueur. L’art magnifique de Bouguereau, peu connu et couru de nos jours, rend donc indispensable cet ouvrage dû au meilleur spécialiste du peintre, et par ailleurs auteur du catalogue raisonné, aidé ici par sa propre fille, elle-même historienne de l’art. À noter enfin, que cet ouvrage est le seul d’importance existant sur cet artiste d’importance… et Noël approche !
William Bouguereau par Frederick Ross et Kara Lysandra Ross
Editions La Bibliothèque des arts. 240 p. 200 ill. 49 €