Il fut l’un des artistes les plus adulés des Trente Glorieuses. Mais à peut-être trop décliner son art sur tout et n’importe quoi, il aura fini par lasser son public. Un purgatoire qui pourrait s’achever ici, au Centre Pompidou, avec cette grande rétrospective de son œuvre qui nous convie, plus de vingt ans après sa disparition, à nous pencher de nouveau sur ce chantre de l’op-art. Un artiste qui signa parfaitement son époque.
Posté le 24 février ➡ À voir jusqu’au 6 mai 2019
Une des deux fresques murales dans le grand hall de départ de la gare Montparnasse, Paris © SNCF-Médiathèque – droits réservés / Adagp, Paris, 2018
Cette grande exposition Vasarely au Centre Pompidou sonne-t-elle la fin du purgatoire dans lequel ce chantre de l’op-art était enfermé depuis des décennies ? Il est vrai que notre époque est à redécouvrir ces artistes autrefois adulés et qui, pour des raisons analysables, furent mis sinon à l’index, du moins au rebut. On pense ainsi à Georges Mathieu ressorti des limbes par Daniel Abadie au Jeu de Paume en 2002 et qui sonna, non un enthousiasme mais au moins une juste reconnaissance de son art. Autre revenant, Bernard Buffet adulé à la fin des fifties, à la côte faramineuse alors; méprisé ensuite et qui a été dépoussiéré en 2017 au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Cela dit, la côte de l’un comme l’autre, n’a pas vraiment bénéficié de ce regain d’intérêt sauf à reconnaître qu’ils ont repris tous deux un peu de couleur sur le marché.
Pour une socialisation de son art
Vasarely, puisqu’il s’agit de lui aujourd’hui, à l’art si daté est toutefois à reconsidérer comme un maillon important dans l’art du siècle passé. Ce poulain, ce crack devrait-on dire, de la galerie Denise René a saupoudré les années 60 et 70 de son art, ce qui peut-être (voire sans doute) a précipité sa disparition. Trop vu, mal vu. Et pour cause, ses œuvres furent en fond de décor de nombreux films comme symbole de la modernité.
Et très vite, il cède à l’idéal d’une socialisation de l’art, dans l’esprit du Bauhaus. D’affiches en mugs, de gadgets en poster, de publicités en vaisselle, fresque, lithos, pochettes de disque et autres décors pour sièges sociaux d’entreprise, tout ce circus Vasarely et sa « pop abstraction » ont vite bassiné le public les Trente Glorieuses passées. « Il avait couvert la planète entière et il y a eu un sentiment de trop-plein, dixit la galeriste Diane Lahumière. Il avait tellement abreuvé le marché de multiples que personne ne voulait plus le voir en peinture. » Tout ce « bazar », l’exposition ne se prive pas de nous le rappeler avec force vitrines. Le « continent Vasarely » est ici exposé au travers de plus de 300 œuvres recouvrant toutes les facettes de son art quitte à sortir de l’exposition les larmes aux yeux. Non pas par émotion mais par cette débauche d’effets optiques un brin éprouvante.
La philosophie du Bauhaus
Tel un Warhol de la génération d’après, Vasarely est bien l’artiste
Zèbres-A, 1938 © Fondation Vasarely, Aix-en-Provence / Ph.: Fabrice Lepeltier / Adagp, Paris, 2018
d’une société s’ouvrant à la communication, aux logotypes, à l’image. Et comme un Warhol qui, une décennie plus tard, commencera son parcours par des « travaux publicitaires », Vasarely, fera de même en 1925, après quelques cours de dessin et de peinture en parallèle à des études de gestion. Embauché comme comptable dans une firme pharmaceutique, il y exécute ses premiers travaux publicitaires. Quatre ans plus tard retour à la case école. Il suit des cours d’art appliqué inspirés par la philosophie du Bauhaus. Formes, couleurs, Kandinsky, Malevitch et autres concepts enseignés autrefois à Weimar, alimentent les conversations des élèves et dès l’année suivante les premières commandes publicitaires lui donnent enfin un début d’autonomie. Une liberté très vite étouffée par la société de ce pays, la Hongrie, alors ballotté par l’histoire, aux frontières fluctuantes. Un « pays en décomposition » selon ses dires.
Il le quitte, passe par une Allemagne que les chemises brunes commencent à s’agiter, et le voilà arrivant à Paris à l’automne 1931. Il entre chez l’imprimeur Draeger en 1932, alors l’un des studios publicitaires les plus en vue. Là, il est étonné de constater que tout ce qui avait fait le sel de ses études, les grands noms du Bauhaus, le constructivisme comme l’abstraction étaient complètement ignorés à Paris : « On parle de Braque avec respect, on se gargarise avec le nom de Picasso. Je m’aperçois en réalité que ce que l’on appelle « peinture » ne m’intéresse pas ».
Une certaine Denise Bleibtreu
Très vite il inscrit sa grammaire future dans ses premières œuvres, recherchant le mouvement (nom qui sera donné à l’une des premières exposition manifeste de l’op-art chez Denise René en 1955) dans les pas des artistes d’avant-garde des années 20 comme Gabo, Moholy-Nagy ou Pevsner qui avaient déjà défriché le terrain. Son travail de publicitaire d’alors le voit réaliser des compositions ultra-réalistes, presque hyperréalistes (Études de matière 1 et 2) à des recherches déjà purement visuelles (Zèbres, 1932 ou Étude de mouvement (Anneaux-Baleine) de 1939).
L’Occupation le voit se réfugier dans le Lot puis en Hongrie chez ses beaux-parents (marié en 1931, il aura deux fils, André né en 1931 et Jean-Pierre, le futur Yvaral, né en 1934). De retour à Paris, il va faire une rencontre capitale pour la suite, celle d’une certaine Denise Bleibtreu, rencontrée au Café de Flore qui a un petit atelier de mode rue La Boétie à Paris. Il convainc cette dernière de transformer son atelier en… galerie pour présenter les artistes contemporains et surtout sa propre production. La galerie, sous le nom de Denise René ouvre fin 1944 avec une première exposition de « dessins et compositions de Vasarely ». Cette amitié-complicité durera jusqu’à la disparition de Vasarely et même après (voir l’exposition 75 ans de fidélité dans l’espace Rive gauche de la galerie jusqu’au 6 avril).
Les toits de Gordes
Si on excepte une présentation inattendue d’œuvres d’inspiration
Vega 222, 1969-1970 © Collection Erling Neby, Oslo / Ph.: Øystein Thorvaldsen / Adagp, Paris, 2018
surréaliste en 1946, – des œuvres très marquées par la guerre – l’art de Vasarely va dès lors se développer dans la manière que nous lui connaissons. Cet art dans la continuité du constructivisme qui va, peu à peu, se nourrir et se radicaliser. Les œuvres des années cinquante sont plus à regarder du côté d’un Arp avec ces formes arrondies se référant aux galets ballottés par la mer qui en adoucit les contours et gomme les angles. Mais lors de son installation dans une maison achetée dans le village de Gordes, les angles et les lignes brisés apparaissent, s’inspirant de la géométrie des maisons du village. « Jamais l’œil n’y réussit à identifier l’appartenance d’une ombre et d’un pan de mur… formes et fond alternent. Tel triangle s’unit tantôt au losange de gauche, tantôt au trapèze de droite… » explique-t-il dans son ouvrage Plasticien en 1979.
Toute sa grammaire est là et il n’aurait de cesse de la faire évoluer vers un « espéranto visuel » usant pour cela de toutes les avancées et manipulations possibles, de la cybernétique naissante aux plus complexes des phénomènes optiques qui font que ses tableaux semblent doués d’une vie propre. Ils bougent, clignotent, vibrent et entraînent le regard dans un maelström visuel qui va la caractériser.
L’ouverture à l’époque
La décennie des sixties se traduit essentiellement par une application sur des effets colorés. À partir de 1965, chacune des six couleurs pures de l’alphabet plastique devient réfractable en douze à quinze valeurs chromatiques intermédiaires. Ce nouveau nuancier introduit dans la mosaïque contrastée et papillotante des œuvres issues du premier alphabet, des effets de dégradés particulièrement raffinés. Afin de maîtriser les très nombreuses possibilités combinatoires de cet alphabet, Vasarely les fait entrer dans un jeu systématique et informatisable de permutations et de progressions. « La complexité devient ainsi simplicité. La création est désormais programmable », écrit-il.
S’ouvre alors ce qui nous avait peut-être échappé : l’ère d’une pensée nouvelle, en phase de plus, avec le pop-art. De cette décennie date ce qui va faire son succès – la multiplication sous toutes formes de ses œuvres – mais qui sera aussi l’une des raisons de son éviction et de son rejet. Cet homme, à l’imagination « poético-scientifique » va, les dernières années, faire naviguer son imagination dans un pêle-mêle entre science et fiction. Il s’agit, selon l’artiste, de donner corps aux « mondes qui, jusqu’ici, ont échappé à l’investigation des sens : monde de la biochimie, de l’onde, des champs, de la relativité. ». En cette époque en pleine mutation qui découvre l’application de l’informatique au quotidien, marche sur la lune, et commence sa mondialisation, Vasarely aura-t-il été une conscience qui voulait transformer notre regard et l’adapter à ce nouveau monde ?
Centre Pompidou, place Georges Pompidou (4e).
Exposition jusqu’au 6 mai 2019
Tous les jours de 11h à 22h (fermeture des espaces d’exposition à 21h)
Le jeudi jusqu’à 23h (uniquement pour les expositions temporaires du niveau 6)
Site du Centre : www.centrepompidou.fr
À voir aussi en galerie
Victor Vasarely, 75 ans de fidélité Galerie Denise René, espace Rive gauche 196 boulevard saint germain paris (7e) jusqu’au 6 avril 2019
Vasarely Galerie Pascal Lansberg, 36 rue de Seine (6e) du 21 mars au 27 avril 2019