En prêtant ses cimaises au photographe Jean-Baptiste Huynh en quête de lui-même, le musée Guimet nous ouvre au travail d’un des plus talentueux photographes actuels. Des portraits envoûtants sillonnent ce voyage entrepris dans l’esprit d’une quête au pays de ses ancêtres. Une exposition exceptionnelle et bouleversante !
Posté le 1er mars ➡ À voir jusqu’au 20 mai 2019
Vue in-situ de l’exposition © Jean-Baptiste Huynh / Ph. : D.R.
Huyen 1, 1997 © Jean-Baptiste Huynh

Portrait 2, 1997 © Jean-Baptiste Huynh

Cil, 2003 © Jean-Baptiste Huynh

Mains 3, 2004 © Jean-Baptiste Huynh

Réflection 34, Kazakhstan, 2018 © Jean-Baptiste Huynh

Tête de Buddha 1, 2019 © Jean-Baptiste Huynh

« Je voulais comprendre l’architecture de mon visage » c’est cette interrogation qui poussa Jean-Baptiste Huynh, à 28 ans, à s’envoler pour le pays de ses ancêtres paternels, le Vietnam, aux antipodes de son studio parisien. « Jusqu’alors, le monde est blanc, comme la plupart des visages des amis de mon enfance, de mon adolescence et de ceux qui entourent ma vie ». Il part pour un pays inconnu dont il ne parle pas la langue, n’en connaît ni les rites, ni la culture, ni la quotidienneté. Comme le dit Maria Morris Hanbourg (créatrice du département de photographies du Metropolitan Museum of Art de New York) dans le magnifique catalogue qui accompagne l’exposition (Éditions Skira) : « la part vietnamienne en lui est visible mais non viable ».
Ce fils d’un père médecin vietnamien et d’une mère française, élevé dans le Berry puis dans de bons collèges parisiens, lui le photographe portraitiste le plus doué de sa génération, lui qui a étudié dans le moindre des grains de peau le visage de ses congénères ici et en Afrique, voulait pousser l’ultime porte qui le commandait à s’interroger sur lui-même. De cette quête il nous en a rapporté cette merveilleuse et envoûtante exposition de portraits croisés au cours de ce voyage autant mémoriel que charnel. Là-bas, au Vietnam succède l’Inde, le Japon, le Cambodge et tout le continent comme une quête pour révéler l’humain absolu. Le musée Guimet, antre de l’art et de l’humanité asiatique lui prête ses cimaises pour les images faites pendant cet envoûtant voyage commencé en 1994 et terminé l’an passé.
Des rencontres au hasard
À son habitude, le noir et blanc ici est souverain, si l’Inde, de par la chatoyance de sa société, n’avait introduit la couleur dans ce concert monochromatique. La grande majorité des portraits présentés contiennent tous cette magie qu’offre le traitement en noir et blanc. Mais en noir ou en couleurs, fidèle à son travail
Huyen 3, 1999 © Jean-Baptiste Huynh
qu’il soit sur des objets ou des mains, Jean-Baptiste Huynh officie toujours de la même manière qui devient presque un rituel, rituel qui tient plus du spirituel que du simple aspect plastique. Un fond noir, une lumière que l’on sent savamment dosée et des « modèles » qui se tiennent la plupart du temps face à l’objectif le regard franc. Ces modèles qui l’ont fait sortir du cocon habituel de son studio parisien, il avoue les rencontrer dans la rue lors de ses déambulations asiatiques. Des hommes et des femmes lambda qui, d’un simple regard, lui parle.
Dès lors il monte très vite un studio de fortune et, dans un rituel autant technique (il utilise un Hasselblad argentique, l’appareil star de la seconde moitié du XXe siècle) que complice il saisit, avec une rare intensité, ces quelques rares moments. Dès lors, avec cette magie qui tient autant de l’empathie pour ses modèles de rencontre que son évident plaisir, voire volupté, à rendre aussi au mieux le mystère qui semble entourer ses portraits, Jean-Baptiste Huynh devient leur intermédiaire entre eux et nous. Ce que résume avec emphase Maria Morris Hanbourg : « Le mystère du portrait réside dans sa capacité à faire voyager l’intime à la vitesse de la lumière où l’instant d’un regard l’autre devient soi et l’individualité plurielle. Voyage du face-à-face au face-à-soi »
Miroir 33, 2007 © Jean-Baptiste Huynh
Miroir, mon étrange miroir…
L’exposition nous présente aussi, comme ce fut le cas dans son exposition au Louvre en 2012, une série d’objets choisis dans le musée qui font le sujet d’une série de clichés. Bon sang ne saurait mentir, ces objets, qui semblent ordinairement ne plus avoir d’âme en retrouve une devant son objectif. On ne peut s’étonner qu’il ait choisi comme objet de cette « résidence » des miroirs anciens, à la surface aujourd’hui troublée, rayée, oxydée, opaque, gardant enfouis le mystère de leur reflet. Le miroir dont la symbolique, la charge émotionnelle, l’inspiration dans tous les domaines n’est plus à démontrer. En 2006 déjà il avait conçu, dans une série appelée fort justement, Miroirs, une étude photographique du reflet. Ce choix il s’en explique : « Il était naturel qu’en explorant le chemin lumineux du regard, je retourne mon appareil photographique sur l’objet roi de la connaissance de soi, du cosmos, de la vie et des origines : le miroir.
Du télescope au microscope ou à la photographie, de chambre claire en chambre noire… Sujet sacré de la psychanalyse, de la biologie, des contes de fées, des superstitions, de la philosophie et de la poésie, ce suaire de métal argenté détient le secret de
réfléchir la lumière, de renvoyer les mondes au monde, le réel à son double. Photographier l’objet des découvertes, des savoirs, des secrets, s’est imposé comme la quadrature du cercle rêvée. Dès lors, au même titre que le visage, le feu, l’aurore, le ciel et la beauté, le miroir est devenu le sujet d’inspiration pour ma photographie – d’autant que celle-ci, depuis son invention il y a un siècle et demi, n’existerait pas sans lui. Ne pensez pas un instant que Narcisse emprisonné dans son lac, que la méchante reine demandant à l’infini si elle est la plus belle ou encore que le lapin d’Alice et sa porte galactique soient devenus mes amis inspirants. Ce ne sont ni ses illusions ni sa fonction, mais le miroir lui-même, dans sa symbolique, que je vois poétique.»
En plongeant son regard dans cette Asie inconnue dont son visage porte les traits, n’est-il pas simplement aller de l’autre côté du miroir, voir ce qu’il y a derrière cet objet magique qui lui renvoyait, sans explication, les traits d’un visage à explorer ?
Musée Guimet. 6, Place d’Iéna (16e)
Exposition jusqu’au 20 mai 2019
Tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h.
Site de l’exposition : www.guimet.fr