Wilhem Hansen, collectionneur danois a acquis en l’espace de… deux ans, une des plus importantes collections d’œuvres impressionnistes au point d’en faire un musée ! C’est un florilège de cette collection que nous présente la Fondation Gianadda à Martigny dans son cadre montagnard. Une belle raison d’y aller faire une visite !
Posté le 8 mars ➡ À voir jusqu’au 16 juin 2019
Camille Pissarro, Coin de jardin à Éragny (la maison de l’artiste), 1897 © Ordrupgaard, Copenhague. Photo: Anders Sune Berg
Eugene Boudin, La jetée à Trouville, 1867 © Ordrupgaard

Edouard Manet, Corbeille de poires, 1882 © Ordrupgaard

Camille Pissarro, Rue Saint-Lazare, Paris , 1897 © Ordrupgaard

Pierre-Auguste Renoir, Le Moulin de la Galette, esquisse, 1875-76 © Ordrupgaard

Paul Gauguin, Portrait d'une jeune fille, Vait, (Jeanne) Goupil, 1896 © Ordrupgaard

Paul Cezanne, Baigneuses, vers 1895 © Ordrupgaard

Les collectionneurs sont des gens aussi étonnants qu’épatants. Étonnants car ils accumulent d’une façon souvent maladive des sommes d’objets et ce répondant à un besoin chez eux irrépréhensible. Épatants car grâce à leur « manie », on peut voir des ensembles que leur passion a su préserver. Prenons le cas du danois Wilhem Hansen (1868-1936) qui nous intéresse aujourd’hui et dont le parcours est aussi étonnant que sa collection est impressionnante. C’est en septembre 1916 qu’alors âgé de presque 50 ans que ce danois se prend d’une passion soudaine pour l’Impressionnisme.
Homme d’affaire avisé, fondateur d’une populaire compagnie d’assurance, Wilhem Hansen ne découvre pas là la peinture. C’est dans la vingtaine qu’il commence ses emplettes, des œuvres de l’âge d’or danois, avant qu’un de ses amis de collège, peintre, lui parle de l’impressionnisme. Il n’en faut guère plus pour qu’il soit emballé. Aidé par les conseils de Théodore Duret, écrivain et journaliste, auteur et grand défenseur du mouvement impressionniste – on lui doit une histoire du mouvement aujourd’hui un brin dépassée – Wilhem Hansen plonge dans le bain impressionniste et ses alentours et en ressort avec quelques centaines d’œuvres dont les pièces maîtresses sont exposées ici.
Pour ses affaires, notre danois voyage à travers l’Europe et vient souvent à Paris faire ses emplettes. « Tous les marchands attendaient sa visite… Il était reçu comme un petit Dieu » décrit un marchand d’art de l’époque. En 1916 il s’en ouvre à sa femme : « J’occupe mon temps libre à aller voir des peintures et, tôt ou tard, je devais te l’avouer : je me suis montré léger et j’ai fait de nombreux achats. Mais je sais aussi que quand tu verras ce que j’ai acheté, tu me pardonneras : tout est d’une qualité exceptionnelle. J’ai acheté Sisley (2 merveilleux paysages), Pissarro (délicieux paysage) et Cl. Monet (la Cathédrale de Rouen) – une de ses œuvres les plus célèbres – et Renoir (portrait féminin). L’autoportrait de Courbet (tu t’en souviens peut-être, j’en possédais une photographie) est merveilleux mais je ne l’ai pas acheté : il faudrait que son prix baisse nettement pour que je m’autorise à l’acquérir. ». Nous parlons ici d’un seul voyage au cours duquel il semble donc avoir acquis pas moins de cinq œuvres maîtresses !
Une collection constituée en… deux ans !
Car cette collection d’œuvres impressionnistes, que l’on peut admirer de nos jours dans le musée Ordrupgaard qu’il a fait construire au nord de Copenhague, a été constituée en… deux ans ! Une collection dans laquelle on retient les plus grandes signatures du mouvement : Renoir, Monet, Manet, Sisley, Pissarro, Degas mais aussi Cézanne, Gauguin, Redon et Matisse entre autres ! En fouillant dans les aventures de Wilhem au pays des marchands, on relève cette anecdote révélatrice de
Paul Gauguin, « Les Arbres bleus ! » « Vous y passerez, la belle ! », 1888 © Ordrupgaard, Copenhague. Photo: Anders Sune Berg
sa quête. En tant que conseiller de Wilhelm Hansen, Duret est notamment à l’origine de l’acquisition, pour Ordrupgaard, d’une œuvre tardive de Manet, Corbeille de poires, qu’il recommande au collectionneur danois en ces termes, en 1916 : « Je n’ai d’ailleurs aucun Manet à vous recommander ici, sinon la Corbeille de poires que je vous ai montrée à votre visite et qui est alors de la pleine et dernière manière de Manet. » La Corbeille de poires deviendra l’une des peintures préférées de Hansen, à tel point qu’il la présentera à ses hôtes comme « un dessert supplémentaire après la glace » lorsqu’il recevra du monde à déjeuner.
Pourquoi faire autant d’achat dans une période si courte et à ce moment ? Le moment justement est l’un des moteur de cette collection considérée alors comme « la meilleur collection impressionniste du monde » selon l’un de ses proches. Il avoue, qu’encouragé par la situation du marché de l’art – n’oublions pas que nous sommes en pleine Première guerre mondiale – il a pu acheter bon nombre d’œuvres que les marchands comme Vollard, Bernheim ou Durand-Ruel – les grands marchands des Impressionnistes – dans un marché atone, prédisaient du moins que les prix augmenteraient fortement le conflit terminé.
Obligé de se séparer de ses tableaux !
Son amour pour l’art se double chez lui d’un idéalisme qui lui fait ouvrir sa collection au public tous les lundi dans ce musée qu’il inaugure en septembre 1918. Une énorme bâtisse à l’aspect tout à la fois rurale et exotique implantée dans un immense parc de cinq hectares. Cette bâtisse et sa collection – forte de plus de 150 peintures – Wilhem Hansen promet dès son ouverture de la léguer à l’État danois !
Claude Monet, Le Pavé de Chailly dans la forêt de Fontainebleau,1865 © Ordrupgaard, Copenhague. Photo: Anders Sune Berg
Mais il n’en sera pas ainsi. La faillite d’une banque en 1922, auprès de laquelle il était engagé, lui faire perdre une fortune et à contrecœur il est dans l’obligation de se séparer de nombreux de ses chefs d’œuvre et procède de façon aussi rapide qu’il avait mis à constituer son ensemble. Proposé à l’État danois qui décline l’offre, une grande partie des tableaux est mis à l’encan au grand ravissement d’acheteurs étrangers. Une partie toutefois sera achetée par le brasseur Carlsberg qui en fera don à l’État danois. Mais l’homme est retors, une fois sa situation financière refaite, il s’emploie à reconstituer sa collection, qu’il lègue – pas rancunier ! – à l’État danois.
De Corot à Matisse…
Profitant de travaux de rénovation
entrepris en ce moment au musée Ordrupgaard, on peut donc admirer quelques-uns des chefs-d’œuvre que ce collectionneur hors-pair et acharné à acquis. Certains avaient déjà été présentés à Marmottan l’an passé. La soixantaine présentée ici, à Martigny, dans cette étrange construction entre blockhaus et mastaba, est complètement inédite et montre bien l’étendue et la diversité de cette collection. Si l’exposition s’ouvre avec des Corot, Delacroix, Daumier, Courbet et autre Daubigny, c’est parmi les Impressionnistes du premier cercle qu’on peut voir toute l’implication d’Hansen dans ce mouvement. Comme par exemple, ce Pavé de Chailly dans la forêt de Fontainebleau de Monet, l’un de ses chefs d’œuvre de la première période du grand Impressionniste. Une œuvre maîtresse qui conserve encore des accents barbizonniens. Suivi de quelques magnifiques Pissarro dont des paysages faits à Éragny (Pruniers en fleur à Éragny, 1894 ou Effet de neige à Éragny, 1894).
Gauguin au centre de l’exposition
De Renoir on pourra voir cette esquisse déjà très aboutie de son œuvre phare, Le Moulin de la Galette, mais c’est surtout avec Gauguin que la visite prend tout son intérêt. Présent ici avec huit œuvres dont un extraordinaire paysage brossé à Pont-Aven (Paysage de Pont-Aven 1888), dans ce phalanstère de Bretagne où cette bande de rapins réinventa leur art. Mais c’est surtout cet autre, titré « Les Arbres bleus ! Vous y passerez, la belle ! », une œuvre peinte la même année, dans les même tons et la même démarche que Le Talisman, l’icône du mouvement synthétique de Sérusier, qui concèdera même l’avoir peint sous la direction de Gauguin. On peut alors se demander si le tableau « Les Arbres bleus ! Vous y passerez, la belle ! », ne devrait-il pas être considéré comme l’œuvre fondatrice de cette manière ? Et aussi on ne peut passer sous silence du même, cette œuvre aux accents tahitiens « Portrait d’une jeune fille, Vaïte (Jeanne) Goupil ». Une œuvre peinte en 1896 lors de sa seconde installation à Tahiti, une œuvre de commande d’Auguste Goupil, un avocat ayant fait fortune dans les îles avec le commerce du coprah. Rare œuvre de commande, elle représente la fille du commerçant sur un fond qui rappelle que nous sommes bien dans les îles. Ensuite, Cézanne, Matisse et d’autres complètent parfaitement cette présentation des courants qui ont agités ce tournant du siècle.
La Fondation Gianadda à Martigny, installée dans une vallée où la tranquillité le dispute à la beauté, s’enorgueillit aussi d’un extraordinaire parc de sculptures présentant en une cinquantaine de pièces, un beau panorama de cet art. De Rodin à Raynaud tous les grands noms sont présents. À voir aussi un musée de l’automobile ancienne, fort d’une cinquantaine de véhicules dont de nombreux modèles uniques ! Trois bonnes raisons d’y passer un week-end à quelques heures de TGV de Paris.
Fondation Gianadda. Rue du Forum 59. 1920 Martigny, Suisse
Fondation Gianadda. Rue du Forum 59. 1920 Martigny, Suisse
À voir jusqu’au 16 juin 2019
Ouvert tous les jours. De juin à novembre : de 9 h à 19 h et de novembre à juin : de 10 h à 18 h
Site de la fondation : www.gianadda.ch/