Profitant de la rénovation de la Courtauld Gallery sise à Londres, un florilège des trésors amassés par ce riche couple de collectionneurs s’installe à la Fondation Louis Vuitton. Complétant ce panorama, la Fondation sort de ses réserves une sélection d’œuvres modernes et contemporaines reflétant l’engagement de la Fondation pour une modernité déjà classique.
Posté le 9 avril ➡ À voir jusqu’au 17 juin 2019
Edouard Manet, Un bar aux Folies-Bergère, 1882 © The Courtauld Gallery, London (Samuel Courtauld Trust)
Paul Cézanne, Les Joueurs de cartes, vers 1892-1896 © The Courtauld Gallery, London (Samuel Courtauld Trust)

Claude Monet, Antibes, 1888 © The Courtauld Gallery, London (Samuel Courtauld Trust)

Pierre-Auguste Renoir, La Loge, 1874 © The Courtauld Gallery, London (Samuel Courtauld Trust)

Georges Seurat, Jeune femme se poudrant, vers 1889-1890 © The Courtauld Gallery, London (Samuel Courtauld Trust)

Vincent van Gogh, Autoportrait à l’oreille bandée, 1889 © The Courtauld Gallery, London (Samuel Courtauld Trust)

Paul Cézanne, La Montagne Sainte-Victoire au grand pin, vers 1887 © The Courtauld Gallery, London (Samuel Courtauld Trust)

Georges Seurat, Etude pour le Chahut, vers 1889 © The Courtauld Gallery, London (Samuel Courtauld Trust)

Joan Mitchell, Beauvais, 1986 © Collection de la Fondation Louis Vuitton, Paris / The Estate of Joan Mitchell / Adagp 2019 / Photo : Primae / David Bordes

Daniel Buren, Peinture aux formes variables, [septembre-octobre] 1966 © Collection de la Fondation Louis Vuitton, Paris / DB - Adagp, Paris .2019 / Photo : Courtesy of the artist and Kamel Mennour, Paris

François Morellet, Relâche n°4, 1992 © Collection Fondation Louis Vuitton, Paris / ADAGP, Paris 2019 / Photo : / Julie Joubert Courtesy studio François Morellet and kamel mennour, Paris/London

Gerhard Richter, 4900 Farben, 2007 © Collection de la Fondation Louis Vuitton Paris / Gerhard Richter, 2019 (1601 2019) Photo : Primae / David Bordes

Yayoi Kusama, Infinity Mirror Room - Phalli’s Field (or Floor Show), 1965/2013 © Collection de la Fondation Louis Vuitton Paris / Yayoi Kusama / Photo : Courtesy Yayoi Kusama Studio, Ota Fine Arts, Tokyo / Singapore and Victoria Miro, London

L’intérêt premier de la rénovation d’un musée ou d’une fondation est de « libérer » les œuvres qui peuvent ainsi voyager. Différentes collections ont pu ainsi faire escale chez nous dont ces chefs d’œuvres de la prestigieuse Courtauld Gallery de Londres qui sont accrochés pour quelques mois à la Fondation Louis Vuitton, implantée dans les frondaisons de Bois de Boulogne. On ne peut que s’en réjouir tant cette collection recèle non des chefs d’œuvres mais bien au-delà : des icônes ! Et le superlatif n’est pas ici une clause de style tant certains des tableaux présentés ici sont ancrés dans notre mémoire visuelle… mais, comme le souligne fort justement Suzanne Pagé qui préside à la direction artistique de la Fondation, ces œuvres sont « devenues (de) simples images usées à force de reproduction sur tous supports, les œuvres se retrouvent dépossédées de leur aura ».
L’homme déjà, un certain Samuel Courtauld (1876-1947), issu d’une famille huguenote française originaire de l’île d’Oléron, émigrée à Londres à la fin du XVIIe siècle. D’abord orfèvres, les Courtauld créent une entreprise de textiles en 1794. Leur esprit d’innovation les conduit à développer le commerce de la viscose, fibre synthétique révolutionnaire qui assurera leur prospérité au tout début du XXe siècle.
Formé au sein de l’entreprise, Samuel Courtauld accède à sa présidence en 1921 et cela jusqu’en 1946. Il hissera l’entreprise familiale au tout premier rang international, lui permettant de mener parallèlement la constitution de la Collection Courtauld, du Courtauld Fund puis du Courtauld Institute. Marchant ainsi sur les brisées de ses parents, ces derniers, également collectionneurs, sont fortement engagés dans des mouvements sociaux et éducatifs, répondant aux préceptes de leur protestantisme militant d’obédience unitarienne.
Des choix éclairés
Vincent van Gogh, Champ de blé avec des cyprès, 1889. Acquis grâce au Courtauld Fund, 1923 © The National Gallery, London
Mais reconnaissons à Samuel Courtauld fortement aidé et soutenu par son épouse Elizabeth, d’avoir, contre beaucoup, aimé, acheté et collectionné cette peinture à l’encontre du (bon ?) goût dominant qui prévalait alors en Angleterre. Cette détermination, l’avenir leur en a donné raison comme nous le prouve la centaine d’œuvres rassemblées ici de la plus belle eau impressionniste et post-impressionniste. Pour exemple le peintre Seurat, présent dans la collection Courtauld avec treize œuvres, dont Une baignade, Asnières et Jeune Femme se poudrant, artiste adulé depuis longtemps en France, qui était alors en Angleterre complètement négligé par le fait, nous dit-on, qu’il était rare sur le marché et pour cause Seurat est décédé à tout juste 30 ans.
Une société très traditionaliste
Généralement mentionnées comme déterminantes à l’origine de l’intérêt des Courtauld, les visites de deux expositions à Londres : en 1917, la collection de peintures françaises – Manet, Degas, Renoir… – que Sir Hugh Lane (1875-1915), un marchand irlandais, venait de léguer à la nation, puis, en 1922, l’exposition Pictures, Drawings, and Sculptures of the French School of the Last 100 Years, allant de Corot à Seurat, co-organisée en mai 1922 par Roger Fry. On le voit, l’Angleterre n’était pas complètement hermétique à l’art « français » mais celui-ci était toujours regardé à l’aune d’une avant-garde « continentale » face à un art local fortement adulé qui, de Constable à Turner sans oublier les préraphaélites, restait la référence de cette société très traditionaliste.
Tout comme la collection du danois Wilhem Hansen (montrée en ce moment à la Fondation Gianadda) et qui fut « montée » en deux ans, celle du couple Courtauld le fut, elle, en… six ans, de 1923 à 1929 ! On peut s’étonner de ce qui pourrait passer pour la quête d’une vie le soit en si peu de temps, d’autant que ce n’est ni un décès, ni un événement extérieur qui ne soit venu mettre un terme à cette folie d’achat.
Une boulimie d’achat
Leur choix d’évidence se porte sur des œuvres d’exception qui, étonnement, étaient présentes sur le marché et l’on peut s’étonner que plusieurs décennies après les grandes heures de l’Impressionnisme et du post Impressionnisme de telles œuvres pouvaient être encore proposées aux amateurs ! Cette boulimie acheteuse l’est aussi et surtout grâce à des liens noués avec des marchands, historiens d’art, collectionneurs, artistes, quand bien même Samuel Courtauld reste le seul arbitre de ses choix, d’abord subjectifs. À Paris et à Londres, il fréquente toute la fine fleur des marchands comme Ambroise Vollard, Bernheim-Jeune, Durand-Ruel, Paul Rosenberg, Knoedler & Co, Lefèvre & Son, Wallis & Son, Alex Reid… et surtout Percy Moore Turner, directeur de l’Independent Gallery à Londres qui devient son principal conseiller. C’est grâce à lui que Courtauld fait l’acquisition d’œuvres majeures : Une baignade, Asnières de Seurat, La Montagne Sainte-Victoire au grand pin de Cézanne, La Loge de Renoir, Un bar aux Folies-Bergère de Manet.
Cette dernière, chef d’œuvre de Manet qui ouvre l’accrochage, fut, avec La Loge de Renoir, mis en compétition sur le marché. Les Courtauld les disputèrent à l’Américain Barnes pour finalement emporter la mise pour 24 000 livres sterling toutefois, somme considérable à l’époque !
La magie Cézanne
À Manet, Renoir et Seurat, le cœur de la collection Courtauld revient à Cézanne. Dès 1923, il acquiert la première des œuvres
Paul Gauguin, Les Meules, 1889 © The Courtauld Gallery, Londres (Samuel Courtauld Trust) / Courtauld gift, 1932
du maître d’Aix – Nature morte à l’Amour en plâtre – qui sera suivi, entre autres, d’une version des Joueurs de cartes et de La Montagne Sainte-Victoire, Au grand pin. Ainsi, Courtauld joua un rôle fondamental dans la reconnaissance de Cézanne – moins en faveur alors au Royaume-Uni – dont la « magie » l’a profondément marqué. Les acquisitions très réfléchies du collectionneur en couvrent toute la carrière. Ajoutons à ces noms prestigieux ceux non moins présents ici, de Daumier, Monet, Sisley, Pissarro, Degas, Toulouse-Lautrec, Gauguin, Van Gogh ou Turner qui complètent à merveille ce panorama impressionniste et post-impressionniste. Toutefois, son goût survolera le fauvisme et le cubisme sans s’arrêter à ces mouvements nouveaux et radicaux des premières années du XXe siècle. Et bien qu’ayant acquis une œuvre de jeunesse de Picasso, (L’Enfant à la colombe, 1901), il n’a jamais vraiment adhéré ni à Matisse, Derain, Vlaminck ou Picasso.
Une volonté humaniste
Ce collectionneur se double, comme c’est souvent le cas chez les grands collectionneurs, d’un engagement humaniste et social. En créant le Courtauld Fund en 1923, il permet par ses achats que rentre dans les collections britanniques plus d’une vingtaine de chefs-d’œuvre de l’art moderne français dont l’une des versions des Tournesols de Van Gogh ou Une baignade, Asnières de Seurat. À la disparition de son épouse en 1932, sera fondé le Courtauld Institut of Art dont la Courtauld Gallery est une composante permettant au public d’admirer les chefs-d’œuvre de la collection, d’évidence et avant tout une « passion privée » sous tendue d’une volonté humaniste. Regardons donc ainsi ces œuvres qui viennent aujourd’hui à nous, comme un voyage qui, tel un retour aux sources, aurait sûrement plu aux époux Courtauld.
Le parti de la peinture
En complément de cet accrochage et dans l’esprit du « parti de la peinture », la Fondation sort de ces réserves quelques unes de ses pièces maîtresses. Réunissant 74 œuvres de 23 artistes de tous horizons et de différentes générations, cette quatrième exposition des œuvres contenues dans la collection de la Fondation vise à faire un état de la création et des expressions de la peinture des années 60 à nos jours. Joan Mitchell ouvre cette présentation avec un extraordinaire ensemble de huit pièces maîtresses et monumentales qui entourent une sculpture de Carl Andre, Draco, grand module de cèdre rouge. Dans les salles suivantes, on découvrira des œuvres signées Daniel Buren, Bernard Frize, Wade Guyton, Raymond Hains, Alex Katz, Ellsworth Kelly, Nick Mauss, Albert Oehlen, Gerhard Richter,
Œuvres de la Fondation, exposition « Le Parti de la peinture ». Au premier plan Carl Andre, Draco, 1979. Au second plan de gauche à droite : Joan Mitchell, Tilleul (Linden tree), 1978; No Room at the End, 1977; Two Sunflowers, 1980 et Beauvais, 1986 © Carl Andre / Adagp 2019. The Estate of Joan Mitchell / Adagp 2019 / Photo : Fondation Louis Vuitton / Marc Domange
Pierre Soulages, Niele Toroni, Christopher Wool entre autres, auxquels il faut ajouter les noms d’artistes dont la peinture n’est pas le média d’élection comme Yayoi Kusama qui envahit une salle avec une multitude de pièces aux habituelles points rouges que reflètent un étonnant jeu de miroirs. On trouvera aussi dans cette présentation des œuvres de Dan Flavin, François Morellet, Robert Breer, Joseph Kosuth et Jesús Rafael Soto comme pour bien ancrer cette collection dans une modernité classique, réaffirmant l’engagement de la Fondation pour la création actuelle dans une perspective historique.
Fondation Louis Vuitton, 8 avenue du Mahatma Gandhi, Paris (16e).
Tous les jours sauf le mardi, de 12h à 19h, le vendredi jusqu’à 21h.
Site de la fondation : http://www.fondationlouisvuitton.fr/