En nous exposant ces deux amis, le musée de l’Orangerie nous invite à découvrir le bouillonnement des idées qui agitait l’art au tournant du siècle. Avec leur almanach du Blaue Reiter, August Macke et Franz Marc, auxquels s’est adjoint Vassily Kandinsky, lançaient une nouvelle conception spirituelle de l’art.
Posté le 15 avril ➡ À voir jusqu’au 17 juin 2019
Franz Marc, Étables [Stallungen], s.d. © The Solomon R. Guggenheim Foundation / Art Resource, NY, Dist. RMN-Grand Palais / Art Resource, NY
Franz Marc & Vasily Kandinsky Der Blaue Reiter Almanac, 1914 © Neue Galerie, New York

Franz Marc, Trois animaux (chien, renard et chat), 1912 [Drei Tiere (Hund, Fuchs und Katze)] © Kunsthalle Mannheim / Cem Yücetas

August Macke, Joueuse de luth (Lautenspielerin) © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI

Franz Marc, Jeune homme portant un agneau (Le Bon Berger), 1911 © The Solomon R. Guggenheim Foundation / Art Resource, NY, Dist. RMN-Grand Palais / The Solomon R. Guggenheim Foundation / Art Resource, NY

August Macke, Couple dans la forêt, 1912 [Paar im Wald] © Coll. part. Maurice Aeschimann

Franz Marc, La Peur du lièvre, 1912 [Die Angst des Hasen] © Coll. part. / courtesy Peter Eltz Kunstberatung, Salzbourg / ARTOTHEK

Franz Marc, The First Animals, 1913 [Les premiers animaux] © Neue Galerie, New York

Franz Marc, Le Rêve, 1912 [Der Traum] © Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid

August Macke, Rococo, 1912 [Rokoko] © Børre Høstland, Nasjonalmuseet

Franz Marc, Paysage avec maison et deux vaches, 1914 [Landschaft mit Haus und Rindern] © Merzbacher Kunststiftung

August Macke, Colored Forms II [Farbige Formen II], 1913 © Wilhelm-Hack-Museum, Ludwigshafen

August Macke, Kairouan III, 1914 © LWL-Museum für Kunst und Kultur (Westfälisches Landesmuseum), Münster / Sabine Ahlbrand-Dornseif

Tout ici commence par la rencontre, à la terrasse d’un café, en 1910, de deux amis, les peintres allemands Franz Marc et August Macke. Ils ont tout juste vingt ans et vouent une admiration à Cézanne, Van Gogh et Gauguin et montrent dans leurs premières œuvres ces influences post-impressionnistes. À cet embryon de groupe va se joindre, un an plus tard, le russe Vassily Kandinsky. Des discussions du trio sortira l’idée de publier un almanach regroupant une kyrielle d’artistes et d’écrivains dans le but de diffuser leur vision de l’art et leurs idées progressistes sous le titre d’« Almanach du Cavalier bleu ».
Ce « Cavalier bleu » (Blaue Reiter) dont il est question ici, ne puise pas son nom d’une légende, d’un personnage ou d’un fait d’arme mais de propos pris à la volée. « Nous avons trouvé le nom en prenant le café, expliquera Kandinsky. Nous aimions tous les deux le bleu, Marc les chevaux, moi les cavaliers. » ! Il n’en faut guère plus pour que dans un esprit surréaliste, le groupe prend ce patronyme de « Cavalier bleu » pour leur nom de groupe et surtout le titre de leur almanach, publié en mai 1912, à la manière de ces fascicules populaires et paysans imprimés souvent avec les moyens du bord.
Un almanach qui se veut le reflet d’une ère nouvelle et édité dans le but de fédérer les avant-gardes européennes. Dès 1912, alors que le premier numéro est en élaboration, le groupe sort de l’ombre en organisant une exposition à Munich qui réunit des artistes venus d’horizons différents, avec des œuvres de Picasso qui côtoient celles du Douanier Rousseau ou celles de Klee. Quant à l’almanach, la direction artistique est confiée à Macke et l’éditorial à Kandinsky et Marc. À nouveau monde qu’est à leur yeux ce XXe siècle, il faut un art nouveau et en premier ouvrir leur vision à l’Europe.
Délaissant les avant-gardes allemandes, ils vont regarder du côté des Cézanne, Picasso, van Gogh et même du Douanier Rousseau et des arts populaires. C’est ainsi que le premier numéro de l’almanach, présenté ici dans une vitrine, semble partir de tous côtés que des textes parlant peinture, art, musique, révolution et même arts premiers côtoient toute une palette de peintures et dessins, même d’enfants, en un maelström qui veut refléter la mosaïque des pensées nouvelles en mouvement.
La tentation de l’abstraction
Pourtant comme dans tout groupe très vite les dissensions se font sentir et si certains répondent aux sirènes des Futuristes et
August Macke, Torrent de forêt, [Waldbach], 1910 © Bloomington, Eskenazi Museum of Art, Indiana University, don partiel de la Robert Gore Rifkind Collection, EMA 78.67
de l’abstraction, Macke, lui prend ses distances avec le Blaue Reiter dans un esprit plus humaniste proche de l’homme et de la nature. « Existe-t-il une idée plus mystérieuse pour un artiste que de savoir de quelle façon la nature se reflète dans les yeux d’un animal ? Comment un cheval perçoit-il le monde, comment ce dernier est-il vu par un aigle, un chevreuil ou un chien ? Combien misérable et dépourvue d’âme est notre convention de placer les animaux dans un paysage appartenant à nos yeux, au lieu de nous plonger dans l’âme de la bête, afin de deviner quelles images l’habitent ? » écrit-il en 1910. Quant à Marc, lui tend vers un cubisme dans une manière qui va se radicalisant, louchant sur l’orphisme et empruntant la dynamique prônée par les futuristes, avec une évidente tentation de l’abstraction qui très vite envahit ses toiles. Leur découverte de l’art de Delaunay, rencontré à Paris en septembre 1912, va être déterminante au point que Delaunay sera le seul artiste à qui un texte sera consacré dans le premier numéro de l’almanach. Mais l’un comme l’autre ont retenus les leçons de Cézanne donnant à la couleur le soin d’esquisser les contours et de modeler les volumes dans une chromie pimpante, joyeuse utilisant les couleurs les plus vives et les plus dynamiques.
Macke, enfin, suite à un voyage en Tunisie avec Klee, livrera une série d’œuvres dans laquelle il décompose le paysage selon les leçons retenues de Delaunay : figures prismatiques, géométriques enchevêtrées. Les deux amis se retrouvent en définitive au sein de cette abstraction qui signe parfaitement cette entrée dans le XXe siècle.
L’aventure artistique de ces deux amis – qui nous est contée ici en une centaine d’œuvres, dont beaucoup jamais montrées en France – se fracassera sur le mur de la Première Guerre mondiale. Macke meurt au front en septembre 1914, à l’âge de 27 ans. Marc deux ans après, à Verdun, à l’âge de 36 ans. À découvrir donc, ces deux artistes d’importance, encore peu connus du grand public, que cette exposition remet à leur juste place. Celle de pionniers de l’art du XXe siècle.
Musée de l’Orangerie, Jardins des Tuileries, Place de la Concorde (1er)
Tous les jours sauf le mardi de 9h à 18h.
Site du musée : www.musee-orangerie.fr/