La galerie Alain Margaron nous convie à (re)découvrir Bernard Réquichot, un artiste d’importance du siècle dernier trop longtemps confiné dans un purgatoire immérité. Une œuvre à peu d’autres comparable, aujourd’hui à reconsidérer avec curiosité et attention.
Posté le 29 avril 2019 ➡ À voir jusqu’au 1er juin 2019
L’œuvre de Bernard Réquichot (1929-1961) est déroutante, déroutante par ses ruptures comme par ses fulgurances qui ont peu d’équivalences en son temps. On pourrait dire la même chose du travail d’un Picasso, si tant est que l’on est tellement confident du travail de l’Espagnol, que venant de lui rien ne nous étonne vraiment. Sauf peut-être et toujours son génie. Bernard Réquichot quant à lui n’a pas encore atteint le grand public et la reconnaissance qui devrait être sienne. Encensé, reconnu voire adulé par beaucoup de ses confrères comme des scrutateurs du monde de l’art, son œuvre est restée confidentielle pour des raisons que l’on peut facilement identifier.
Une carrière relativement courte, un désert mercantile, un passage dans certaines galeries plutôt réputées pour y exposer des artistes de la sourde avant-garde. Si Réquichot est peu présent, il est cependant collectionné et exposé dans de grands musées dont le Centre Pompidou. Il faut ajouté aussi, semble-t-il, de sa part une volonté de rester sous les radars des observateurs et des collectionneurs comme le souligne Jean-François Chevrier, dans l’ouvrage qu’il vient de consacrer à Réquichot chez Flammarion : « Comme Artaud, Réquichot voulait être son propre témoin : le seul témoin autorisé à sa souffrance. Il voulait donner à ses objets (dessins, peintures, assemblages) le temps de naître et de croître. En secret sans obligation de résultat » et plus loin de reconnaître que « Réquichot se savait voué à une aventure solitaire… ».
Un enterrement de première classe depuis des années, rare en vente, et pas représenté malgré un passage chez le mythique Daniel Cordier. Son nom pourtant, comme un Graal, était sur les lèvres de certains amateurs – au sens premier du terme – de ceux qui admirent ces artistes un brin en dehors des « ismes » de leur temps comme Michaux, Wols, Zürn, Dotremont, Nouveau ou d’Orgeix, Et voilà que sur le chemin qui doit mener à sa reconnaissance, se trouve Alain Margaron dont la mission semble être de repérer et de remettre à la lumière des artistes par trop souvent malmenés, ignorés, voire déchus.
Cet acte de foi a permis à des artistes d’importance pourtant mais par trop délaissés comme Michel Macréau, Dado, Fred Deux ou René Laubiès de retrouver un éclairage des plus profitables. Le galeriste est perspicace et ses combats, de longue haleine à coup d’expositions tant dans sa galerie du
Seterkok, l’Arbre de science, 1959 © Estate B. Réquichot / Courtesy Gal. Alain Margaron / Adagp 2019
Marais que dans les musées (comme Laubiès actuellement aux Sables d’Olonnes, un musée qui, coïncidence, exposa Réquichot en 1977) portent ses fruits, Bernard Réquichot étant le dernier en date à être remis dans la lumière. Et s’il était montré épisodiquement ici depuis plus de 20 ans c’est surtout grâce à la complicité de Daniel Cordier qui fut, dans son éphémère galerie, celui qui s’intéressa au plus près au travail de cet artiste paradoxal, dont les œuvres présentées ici sont de nouveau visibles.
Une rencontre d’importance : Daniel Cordier
En 1963, appelé à répondre suite à des écrits peu amènes d’un critique, Daniel Cordier prit la plume et défendit son poulain : « Trop modeste pour solliciter les collectionneurs, ou les marchands et pour importuner les critiques, il montrait difficilement son œuvre que la mort a terminé sans qu’elle soit achevée… Je ne serai pas honnête vis-à-vis de moi même, si je ne défendais pas de toutes mes forces l’œuvre éminente d’un homme qui a été brûlé par ses hautes ambitions ». Car n’oublions pas que, tel un Nicolas de Staël, Réquichot se défenestra à l’âge de 32 ans.
Formation ? Peu d’humanités, il fréquente quelques académies (dont celle de la Grande Chaumière où il rencontrera Cordier en 1951), commence à dessiner dans une veine figurative et sa rencontre avec Jacques Villon, qui œuvre dans une veine post-cubiste, influence son travail. De cette époque date des études de bœufs, des natures mortes et quelques nus qui présentent des ruptures de plans, des facettes dans des tons sourds qui donnent une force étonnante à ces compositions.
Suite à ce début qui regarde encore autour de lui, Réquichot va entamer des « séries » dont le phénomène expérimental prend aujourd’hui du sens,
Sans titre, 1960 © Estate B. Réquichot / Courtesy Gal. Alain Margaron / Adagp 2019
mais que l’on peut comprendre comme déroutant en son temps. Et même aujourd’hui, alors que Jean-François Chevrier, qui a fait un remarquable travail d’analyse dans son ouvrage sur les « séries » de Réquichot, ne semble pas s’accorder sur une chronologie mais plutôt des entités menées simultanément, de front.
En premier lieu, les « papiers choisis » qui renouvelle d’une manière abstraite les collages des surréalistes, sont une répétition de motifs semblables, découpés dans des magazines et réorganisés sur la toile, pour qu’en oubliant la matière première (décelable souvent en s’approchant), il nous donne à voir une nouvelle proposition plastique. Les « traces graphiques » de leur côté, galvanisent en une sorte de dripping mécanique, des lancées de points et traces qui semblent organisées comme une toile d’araignée.
Tandis que l’on sent une approche moins mécanique dans ces spirales infinies, ces « dessins spiralés », tracés mentaux que l’on pourrait associer aux écritures automatiques des surréalistes, aux tracés mescaliniens d’un Michaux ou aux écritures de Dotremont voire aux expériences lettristes (Dufrêne n’avait-il pas qualifié Réquichot de « lettriste inconnu » ?). « Expérience gestuelle du non-sens » tente de répondre Jean-François Chevrier. Réquichot ne semble ici pas si éloigné des avant-gardes de son temps.
Pour conclure la (re)découverte de cet artiste inclassable, nous nous arrêterons aussi sur ses « reliquaires », agglomérats de peinture et d’objets dont Dado et certains tenants de l’art brut, utilisèrent eux aussi comme une doxa, à leur recherche hors des sentiers balisés. Réquichot le solitaire, celui qui semblait refuser tout, fait aujourd’hui partie de la grande histoire. D’évidence.
Galerie Alain Margaron. 5, rue du Perche (3e)
Site de la galerie : galerieamargaron.com