La Bibliothèque Nationale de France nous expose les écrits les plus déchirants d’êtres en péril, qu’ils soient emprisonnés, en route vers la mort, malades ou amoureux transis. Des missives aux accents déchirants comme implorants ou fatalistes qui révèlent tant de l’âme humaine plongée dans des conditions extrêmes.
Posté le 26 mai 2019 ➡ À voir jusqu’au 7 juillet 2019
Vue in-situ de l’exposition © Ph.: D.R.
Latude, Chemise écrite avec son sang en 1761 à la Bastille © BnF I Arsenal, BnF

Napoléon Ier, Brouillon de son acte d’abdication Fontainebleau, 4 avril 1814 © Cliché CNRS-IRHT/ Bibliothèques d’Amiens métropole

Alfred Dreyfus, Journal, Île du Diable (Guyane), 1895-1896 © Dpt. des Manuscrits, BnF

Guillaume Apollinaire, La nuit d’avril 1915, Lettre à Louise de Coligny 10 avril 1915 © Dpt. des Manuscrits, BnF

Simone et Marie Alizon, Message jeté du train de déportation 24 janvier 1943 © Archives Nationales

Bernard Maître, résistant, arrêté le 20 décembre 1943 et enfermé à la prison de Vesoul. Message réclamant du matériel pour s’évader, écrit à la pointe d’épingle © Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon

Emprisonné, malade, en attente d’un procès, d’une exécution, en route vers l’inconnu dans un train bondé, séances spirites ou usagers de drogue en quête d’un absolu, d’un au-delà ou encore amoureux déçu, quitté, platonique… l’extrême de la vie et pourtant, le besoin de confier à l’écrit ces instants douloureux où la vie oscille entre l’être et le néant. Alors on tente de continuer à exister, ne serait-ce qu’un instant, se prouver que l’on vit encore, que l’on existe en confiant aux mots des sensations, des ressentis ou simplement expliquer le pourquoi de l’indicible, raconter à d’autres ce que l’on vit, ce que l’on ressent. Le confier au papier, à un morceau de tissu, une page de livre, une écorce d’arbre, avec ce que l’on a sous la main en ce moment extrême. Crayon, encre, épingle, sang même, tout est bon pour le dire, le crier comme le murmurer à destination des autres, des inconnus comme des proches, c’est le thème retenu par la BNF pour une exposition des plus émouvantes.
Une exposition qui nous offre à voir ces écrits faits dans l’urgence et la douleur et nous donne à réfléchir sur le courage, l’abnégation, la détresse et l’abandon face à la mort… Pourtant certains, l’espoir chevillé au corps avec une dose de pragmatisme font face, avec un étonnant courage.
L’exposition divisée en quatre chapitres tente de balayer toutes les situations extrêmes dans lesquelles la vie plonge ceux en attente ou en position de souffrir et/ou de mourir. Prison, passion – qui peut aussi s’avérer être une prison – péril et possession tentent de survoler tous les états de l’extrême.
Dans l’urgence et la souffrance chacun traduit à sa manière son ressenti, du plus simple pour transmettre le message, au plus suppliant dans une exhortation au Suprême dans les derniers instants. « Mon Dieu, ayez pitié de moi ! Mes yeux n’ont plus de larmes pour pleurer pour vous mes pauvres enfants ; adieu, adieu ! » griffonne sur son livre d’heure Marie-Antoinette avant que de monter sur la charrette fatale qui l’emmène vers son destin.
Le poète, mieux qu’un autre n’oublie pas son art et sait traduire le tragique en de belles métaphores (« Le ciel est étoilé par les obus des boches (…) » écrit le troufion Apollinaire dans sa tranchée à sa douce Louise de Coligny) tant qu’un de ses malheureux compagnons, un certain Jean Meullenaere, plus pragmatique laisse dans sa poche ces recommandations : « Si cela vous est possible, envoyez mon corps à l’adresse que vous
Livre d’heures de Marie-Antoinette, annoté de sa main quelques heures avant son exécution le 16 octobre 1793 © Bibliothèque municipale de Châlons-en-Champagne, photo Studio Roche
voyez sur la couverture, après avoir averti ma chère femme avec tous les ménagements possibles. Faîtes-moi faire un petit cercueil, quatre planches ça suffit, payez avec mon argent. Merci et adieu. Vengez-nous pour le bonheur de la France. Courage. »
« … nous sommes dans le train pour l’Allemagne »
Napoléon, lui, cherche ses mots en l’instant ultime où il va s’effacer. Ratures sur ratures sur le brouillon de son acte d’abdication. Qu’il est parfois difficile de trouver le mot juste dans ces situations qui souvent sont indescriptibles ! On confie à l’espoir ses dernières volontés : « Je désire être enterré dans un cercueil si possible et qu’on fasse savoir à ma mère l’endroit exact où je repose. » écrit Pierre Charoy l’aviateur de 1917 sachant qu’à chaque fois, il décollait vers une mort possible.
Le prisonnier, lui, privé de tous moyens de communications trouve en lui des trésors d’ingéniosité. À l’image du poète André Chenier qui transcrit ses derniers vers sur des bandelettes de tissu, du Marquis de Sade qui, privé d’encre utilise son propre sang ou une encre sympathique faite de jus de citron qui révèle ses mots à la chaleur d’une flamme ou comme le résistant Bernard Maitre qui utilise une simple épingle pour donner ses consignes d’évasion en trouant des morceaux de papier : « Placez extremite pain long / 4 bouts scie metaux avant cuisson (voir Hericourt !) Courage espoir baisers / Bernard ». Pathétique aussi cette déchirante missive confiée au vent depuis le train qui emmène Simone et Marie Alizon vers la déportation et qu’une main compatissante à réussir à faire parvenir à son destinataire : « Mon petit Papa chéri, nous sommes dans le train pour l’Allemagne, bonne santé bon moral. Renseigne toi Croix Rouge. Ne t’inquiète pas pour nous. Courage mon Petit Père. À bientôt. C’est la fin ! Nous t’embrassons bien bien fort… Tes deux petites filles qui t’aiment de tout leur cœur. Simone, Marie ».
Emprisonné dans son propre corps !
Et enfin, l’incroyable courage du journaliste Jean-Dominique Bauby (1952-1997) victime d’un AVC dont il sort atteint d’un « syndrome de l’enfermement » : ses capacités intellectuelles sont intactes ainsi que sa mémoire. Il voit, il entend, mais il ne peut plus bouger, à
Pierre Charoy, dernières volontés, avant le 20 juillet 1917 © Paris – Musée de l’Armée / Dist. RMN-Grand Palais/Émilie Cambier
l’exception de sa paupière gauche. Pour communiquer on utilisera un alphabet particulier : on lui énonce les lettres selon leur ordre de fréquence en français. Jean-Dominique Bauby cligne de la paupière à l’énoncé de la lettre voulue. On recommence l’alphabet pour chaque lettre de chaque mot. Pendant plusieurs mois, il dictera ainsi à sa collaboratrice, lettre après lettre, durant plusieurs heures par jour. Un livre sortira de ces longs et fastidieux échanges : Le Scaphandre et le papillon, récit de cette ultime expérience. Jean-Dominique Bauby décèdera trois jours après la publication, le 9 mars 1997.
Et que dire des émouvantes missives à l’attention d’un être aimé comme ce fragment du journal de Marie Curie tenu après la mort de Pierre Curie dont les pages portent des traces de larmes ? « Pierre, mon Pierre », hélas cela ne le fera pas venir, il est parti pour toujours ne me laissant que la désolation et le désespoir ».
Et ces lettres déchirantes de Georges Bataille à Diane Kotchoubey : « Je ne peux vivre que dans ton souffle. J’ai besoin de toi tout le temps. Quand je ne trouve pas près de moi et que je te cherche désespérément, je ne peux que fondre en sanglots. »
Chaque salle reprend sur ses murs les phrases les plus fortes, les plus sublimes, les plus déchirantes de ces ultimes appels comme venus de l’au-delà.
Bibliothèque Nationale de France site Mitterrand, quai François Mauriac (13e).
Ouvert du mardi au samedi de 10h à 19h et le dimanche de 13h à 19h (fermeture des caisses à 18h)
Site de la BNF : http://www.bnf.fr/