Revenu de voyages que l’on disait alors lointains, ces peintres ont ramenés de l’autre rive de la Méditerranée des images fantasmées, d’esclaves, de harems, de bains et des paysages inondés de soleil… souvent éloignés de la réalité. Cet Orient fantasmé a donné naissance à un genre : l’orientalisme. Le musée Marmottan nous propose un voyage au pays des fantasmes.
Posté le 10 juin ➡ À voir jusqu’au 21 juillet 2019
Édouard Debat-Ponsan , Le Massage, scène de hammam, 1883 © Toulouse, musée des Augustins / Ph.: Daniel Martin
Eugène Delacroix , Mort de Sardanapale, Vers 1826-1827 © Paris, musée du Louvre / Ph. : RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Adrien Didierjean

Jean-Léon Gérôme, Odalisque, s.d. © Ocala, Appleton Museum of Art, College of Central Florida

Jean-Léon Gérôme, Le Marché aux esclaves, 1866 © Williamstown, Massachusetts, USA / Sterling and Francine Clark Art Institute

Félix Édouard Vallotton , Le Bain turc, 1907 © Musées d’art et d’histoire de Genève / Ph.: Bettina Jacot-Descombes

Albert Marquet , Mer calme. Sidi bou Saïd, 1923 © Lille, palais des Beaux-Arts / Ph. : RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier

Henri Matisse , Odalisque à la culotte rouge, vers 1924-1925 © Succession H. Matisse / Ph. : RMN-Grand Palais (musée de l'Orangerie) / M. Urtado & B. Touchard

Avec ce regard sur un orient fantasmé, le musée Marmottan nous entraîne donc dans des paysages et des scènes de genre qui firent beaucoup pour enthousiasmer les populations occidentales qui, dans leur très grande majorité, n’y mirent jamais les pieds (sauf à être militaire ou commerçant). Une présentation un peu convenue et attendue qui présente parfaitement le regard exotique d’alors. Sans être à proprement parlé une exposition de peintres orientalistes – bien qu’on y retrouve les incontournables noms de Gérôme, Fromentin ou Point – on s’attache ici à nous montrer comment était perçu cet empire colonial français, paré de tous ses plus beaux comme mystérieux et fantasmés atours. L’accrochage tourne benoîtement autour de deux thèmes évidents : le paysage et la figure humaine polarisés sur l’Orient méditerranéen.
Pour bien ancrer cette thématique dans ce qu’elle a d’artistique, l’exposition s’ouvre avec deux figures précurseuses que sont celles de Delacroix et Ingres.
Le premier étant allé chercher dans sa Mort de Sardanapale (énorme et magistrale tartine de près de 5 m de long à voir au Louvre et évoquée ici par une esquisse), adapté librement d’une pièce de lord Byron, tous les ingrédients propres à mettre en scène une cour orientale et évoquant la figure mythologique d’un roi de Ninive qui assiégé, décide de se donner la mort en entraînant avec lui tous ses trésors, femmes (!) et chevaux non sans avoir incendié son palais. Un délice visuel pour le grand Delacroix qui nous donna aussi de ses visions orientales, issues de voyages qu’il fit au Maghreb, rapportant des chasses aux lions et autres portraits de Femmes d’Alger dans leur appartement, œuvre ô combien symbolique de ses visions orientalistes.
D’Ingres nous retrouvons l’incontournable Grande Odalisque et sa Petite baigneuse (à voir au Louvre, et tous deux présentes ici comme ambassade par des copies parfaites du Nabis Jules Flandrin). Ingres dont Le Bain turc reste une évidente icône des douceurs orientales (à voir aussi au Louvre).
Maurice Bompard, Une rue de l’Oasis de Chetma, 1890 © Marseille, musée des Beaux-Arts / Dist. RMN-Grand Palais / Jean Bernard
Un soleil démiurge
La section consacrée au portrait met en avant – comme Ingres la si bien fait – l’orientale dans la beauté de sa plastique, une plastique propre à faire fantasmer une population qui ne connaissait de ces contrées alors lointaines que ce que la peinture et la littérature lui rapportaient. Les femmes lascives, les harems, les esclaves et les hommes souvent harassés par un soleil démiurge trouvaient sous les pinceaux des orientalistes, matière à alimenter cette vision de l’Orient. De Jean-Louis Gérôme (Le Marché aux esclaves 1866) à Matisse et ses odalisques en passant par un étonnant Bain turc (1907) du Suisse Félix Valotton qui ne garde que le titre de « turc » dans cet hommage à Ingres tant sa représentation très hygiéniste est plus tôt à voir du côté d’un bain public.
Kandinsky lui est aussi convié avec Oriental de 1909. Kandinsky – tout comme Klee (Innenarchitektur 1914) – a fait le voyage, se rendant en Tunisie à plusieurs reprises entre 1904 et 1914. « L’inventeur » de l’abstraction fait le pari d’une peinture colorée dans l’esprit de sa période d’alors, dite de « Murnau », dans laquelle on distingue des silhouettes en djellaba et quelques keffieh avec cette tentation de l’abstraction qui sera sienne dans ces années-là.
Vassily Kandinsky, Oriental, 1909 © Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau München
Écrasés sous le soleil…
Coté paysages, on nous montre les évidents déserts écrasés sous le soleil que sont venus chercher les Armand Point avec son Cavalier arabe dans le sud (1907), Paul Lazerges avec sa Caravane près de Biskra en Algérie (1892) ou encore Eugène Fromentin qui, avec sa Rue Bab-el-Gharbi à Laghouat (vers 1859) ou Le pays de la soif nous montre une ruelle de village dont les habitants terrassés par la soleil, se réfugient tels des naufragés dans une ombre propice. Citons encore Albert Marquet, grand voyageur, qui a parcouru le Maghreb et surtout l’Algérie où il se rendra quasiment tous les ans, du tout début des années vingt jusqu’à la guerre. Il en ramènera une kyrielle de
paysages souvent réduits à l’essentiel, usant d’une palette restreinte au bleu pour la mer, gris pour le ciel, ocre pour la terre et vert pour les oasis. Résumant ainsi parfaitement le choc coloré de ces contrées encore édéniques. Il nous a laissé de ce rêve orientaliste ces toiles très épurées, de bord de mer (Mer calme Sidi Bou Saïd ou Le Golfe vu de Sidi Bou Saïd 1923). On espère toujours une grande exposition sur les peintres orientalistes, thème très prisé au tournant du siècle et qui fut l’apanage de peintres dont beaucoup sont aujourd’hui un peu oubliés. Cette présentation ici en est un agréable avant-goût.
Musée Marmottan, 2 rue Louis Boilly (16e).
À voir jusqu’au 21 juillet 2019
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h.Dernière entrée : 17h30
Nocturne le jeudi jusqu’à 21 h. Dernière entrée : 20h30
Site du musée : www.marmottan.fr