Le musée d’Orsay en prenant comme thème la vision par les artistes de ce modèle noir, fait remonter à notre regard du XXIe siècle, la manière dont étaient vus et considérés pendant deux siècles, ce modèle noir et l’évolution du regard porté sur ces hommes et femmes, de l’esclave à l’homme libéré et libérateur.
Posté le 11 juin ➡ À voir jusqu’au 21 juillet 2019
Frédéric Bazille, Femme aux pivoines (Négresse aux pivoines), 1870 © Courtesy National Gallery of Art, Washington, NGA Images
Marie Guillemine Benoist, Portrait de Madeleine, Dit aussi Portrait d’une femme noire, 1800 © Ph. : RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Gérard Blot

Pierre Puvis de Chavannes, Jeune Noir à l’épée, 1848-1849 © Ph. : musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

Édouard Manet, Olympia, 1863 © Ph . : Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

François-Auguste Briard, L'Abolition de l'esclavage dans les colonies françaises le 27 avril 1848 © Musée d'Art Roger-Quillot, Clermont-Ferrand en dépôt à Versailles / Ph.: D.R.

Henri Matisse, Dame à la robe blanche (femme en blanc), 1946 © Succession H. Matisse / Photo : Rich Sanders, Des Moines, IA.

Paul Colin, La Revue nègre, 1925 © Château de Blérancourt, musée franco-américain / Ph.: D.R.

À contrario de l’exposition du musée Marmottan, le musée d’Orsay, nettement plus acerbe fait remonter à notre regard du XXIe siècle, la manière dont nous voyions et considérions l’homme noir et l’évolution de ce regard porté sur l’homme (et la femme) noir(e). Plus historique aussi, l’exposition prend ce modèle noir – entendons par là la représentation des hommes et femmes africaines comme modèles – et sa représentation dans les arts occidentaux durant une période allant de la Révolution au XXe siècle. Et d’y associer les noms de noirs célèbres et leur impact sur les sociétés occidentales. Et non, comme le souligne Laurence des Cars, Présidente du musée d’Orsay : « Il ne s’agit pas d’une exposition sur la représentation des Noirs perçus comme groupe social ».
L’époque cernée ici, est surtout celle pendant laquelle le domaine colonial français était à son apogée, partagé entre l’exaltation de cet empire d’une part et pendant laquelle aussi commençait à s’élever des voix abolitionnistes comme anticolonialistes. C’est cette vision janusienne dont il est question ici. On le sait que trop, l’Histoire est trop souvent écrite par les vainqueurs et bon nombre des artistes présentés ici colportèrent une certaine image du peuple noir qui a longtemps assis en Occident cette vision. Les poncifs du « bon noir » ont eu très longtemps droit de citer, tant dans l’art qu’en littérature, inscrivant des clichés jusqu’à ce que le réveil de la « négritude » chère à Aimé Césaire et Édouard Glissant fasse œuvre salvatrice… Du chemin reste encore à faire malgré tout.
Les grands oubliés…
Ici, il est aussi question de redonner une identité à ceux que l’on a souvent penser comme anonymes, ces « grands oubliés du récit des avant-gardes ». Si effectivement beaucoup d’entre eux resteront anonymes, l’exposition replace certains dans cette histoire, d’Alexandre Dumas, le père du Comte de Monte-Cristo, dont on oublie trop souvent les origines haïtiennes jusqu’à Joséphine Baker en passant par le clown Chocolat « révélé » il y a peu par le cinéma sans oublier Jeanne Duval, maîtresse de Baudelaire dont la présence est au cœur des Fleurs du mal. On le voit, le « continent noir » est immense et ici fort bien exploré. Chaque œuvre présentée porte en elle un regard dans
Felix Vallotton, Aïcha, 1922 © SHK / Hamburger Kunsthalle / bpk. Foto : Elke Walford
lequel la multiplicité des démarches donne bien le ton de ce rapport que les artistes portaient sur leur modèle. Pour certains, comme l’incontournable Jean-Léon Gérôme, la beauté du modèle exalte leur art sans qu’il soit décelable autre vision que celle de la beauté pure à l’image des merveilleux portraits qu’il fit de certains de ses modèles tel Étude d’après une modèle féminin (1872)… Bien que cette position ne soit jamais éloignée du contexte colonial qui l’a suscité à l’image de son Esclaves au Caire (1873).
D’autres, en revanche, positionnent leur modèle en comparaison avec la société dans laquelle il évolue. Nounou, servante, esclave, le modèle noir, ici relève d’une volonté de bien ancrer le noir dans des fonctions et un état généralement admis. Mais les choses vont vite évoluer avec l’abolition de l’esclavage en 1848 et l’émergence des luttes et des révoltes qui vont inscrire le concept de négritude dans les esprits d’abord les plus éclairés.
Paul Cézanne, Étude d’après le modèle Scipion, 1866-1868 © São Paulo, Museu de Arte / Ph.: João Musa
Vers le XXe siècle
Cette transition se sent ici au travers d’œuvres qui magnifient les « libérateurs » du joug colonialiste ou célèbrent cette fin de l’esclavage et ce jusqu’à magnifier, en des visions idylliques, le paradis océanien d’un Gauguin, une forêt vierge vue par Le Douanier Rousseau et la découverte par Derain, Picasso et Matisse de la statuaire noire qu’ils élèvent au rang d’œuvre d’art absolu, elle qui n’était vue jusqu’alors que sous l’angle ethnographique. Les voyages entrepris de plus en plus fréquemment aux États-Unis vont aussi ouvrir le champ de la compréhension et les artistes noirs américains, qu’ils soient chanteurs, boxeurs, écrivains ou peintres vont faire souffler un vent de « négritude » sur Paris dont Joséphine Baker et autres musiciens de jazz sont les ambassadeurs.
Les intellectuels se mettent de la partie et appuient l’affirmation à Paris de la reconnaissance de la négritude. Une reconnaissance portée par la création en 1931 de la Revue du Monde noir et par les poètes Léon Gontran Damas, Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor qui fondent en 1935 la revue L’Etudiant noir. Michel Leiris et la revue Document de Bataille revendiquent, quant à eux, une approche ethnographique et sociologique des objets africains. Et enfin, les surréalistes s’associent au Parti communiste pour organiser une contre-exposition face à la gigantesque Exposition coloniale de 1931, montrant – et justifiant – les « bénéfices » de la colonisation pour l’économie et les « bienfaits » apportés outre-
mer. L’exposition, en partie chronologique, démontre, au travers du regard des artistes, comment le regard sociétal a évolué en l’espace de deux siècles, passant du concept de « l’inégalité des races » à celui, évident d’une seule race humaine égale en tout… Malgré le chemin qu’il reste encore – et malheureusement – à parcourir pour certains.
Musée d’Orsay. 1, rue de la Légion d’Honneur (7e)
À voir jusqu’au 21 juillet 2019
Tous les jours sauf le lundi de 9h30 à 18h. Nocturne le jeudi jusqu’à 21h45.
Site du musée : www.musee-orsay.fr/