Après les ventes des bibliothèques de Daniel Filipacchi, Marc Litzler et Pierre Bergé, une nouvelle bibliothèque des plus mythiques passe sous le feu des enchères chez Christie’s début juillet : celle du bibliophile Paul Destribats. L’ensemble surement le plus désirable consacré aux avant-gardes du XXe siècle. De belles batailles d’enchères en perspective !
Posté le 10 juin ➡ Ventes du 3 au 5 juillet 2019
André Breton et Paul Éluard, Dictionnaire abrégé du surréalisme, Paris 1938. Reliure signée Paul Bonet (Est : 100,000-150,000 €) © Courtesy Christie’s
Blaise Cendrars et Fernand Léger La Fin du monde filmée par l'ange N.-D. Paris, Édition de la Sirène, 1919. Reliure de Leroux (Estimation : 40 000-50 000 €) © Courtesy Christie's

Man Ray et Pierre Bost, Électricité avec 10 rayogrammes. Compagnie parisienne de distribution d'électricité, 1931 (Estimation : 30 000 - 40 000 €) © Courtesy Christie's

Hans Bellmer, La Poupée, seconde partie, GLM 1936 (Estimation : 50 000-70 000 €) © Courtesy Christie's

André Breton, Second manifeste du Surréalisme. Frontispice de Salvador Dali Paris, Editions Kra, 1930. Reliure de P. Bonet (Estimation : 80,000-120 000 €) © Courtesy Christie's

Salvador Dali, La Femme visible Paris, Éditions Surréalistes, 1930. Reliure de Leroux (Estimation : 30 000-40 000 €) © Courtesy Christie's

Benjamin Péret, Louis Aragon et Man Ray, 1929. Édition clandestine, 1929. Reliure de Leroux (Estimation 10 000 - 15 000 €) © Courtesy Christie's

Il est des événements d’importance dans le landerneau des bibliophiles comme lorsque apparaît, par sa mise à l’encan, une bibliothèque d’exception. De ces bibliothèques que l’on connaît de renom, constituées au fil des ans par d’incessantes recherches et qui constituent des ensembles ô combien admirables autant que mythiques… mais qui restent souvent du domaine de la supposition. Il faut reconnaître que ces dernières années se sont inscrits au palmarès des ventes quelques ensembles des plus désirables, à commencer par la bibliothèque de feu Pierre Bergé dont les quatre premières vacations ont déchaîné les passions, tout comme celle du banquier Marc Litzler et ses 250 lots d’une exceptionnelle bibliothèque de livres illustrés.
L’ensemble dispersé ces jours-ci appartient à un certain Paul Destribats dont le nom est peu ou pas connu sinon du cercle restreint des amateurs de livres. Pourquoi cet ensemble est-il exceptionnel ? Parce qu’il comporte – dans cette première vente – plus de 600 lots ayant pour thème les avant-gardes du XXe siècle avec, en point d’orgue, ce qu’un amateur du Surréalisme ne peut imaginer même dans ses rêves les plus fous. Le nom n’était pas totalement inconnu car il suffisait de se pencher sur les cartels des expositions concernant les avant-gardes pour voir inscrit « collection Paul Destribats » sur bon nombre d’ouvrages prêtés pour les plus grandes expositions. L’homme est décédé en 2017 et donc s’ouvre aujourd’hui les portes de sa bibliothèque.
Aventurier, baroudeur, entrepreneur
L’homme déjà, au parcours assez inattendu tant on n’attend pas d’un grand bibliophile d’être autrement qu’un chercheur, un intellectuel voire un professeur émérite ! Paul Destribats est tout autre. Né en 1926 à Vendôme dans le Loir-et-Cher, il fait ses humanités dans une école religieuse. Balayant, semble-t-il, cette éducation, il devient une sorte d’aventurier, baroudeur, entrepreneur. S’engageant après-guerre dans les mouvements trotskistes, il devient steward pour Air France,
Blaise Cendrars et Sonia Delaunay, La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, Paris, Éditions des Hommes nouveaux, 1913 (Estimation : 200 000 – 300 000 €) © Courtesy Christie’s
voyage dans le monde entier, se fixe en Amérique du Sud, devient courtier en pierres précieuses et ouvre une… boîte de nuit à Copacabana, le « Club 36 » qui deviendra une référence pour la bossa nova !
Puis il devient courtier sur le marché des matières premières ce qui lui assure de très confortables revenus. Il rentre à Paris à l’aube des années soixante, fréquente Saint-Germain-des-Prés et commence alors à s’intéresser de très près aux mouvements artistiques dont le surréalisme. La légende voudrait qu’il ait découvert le mouvement de Breton dès 1943, grâce à un ami de son école qui lui aurait prêté quelques ouvrages dont ceux de Lautréamont, Breton et la Petite anthologie du surréalisme de Georges Hugnet.
Dès lors ce boulimique va acquérir, pendant près de 60 ans, en salle des ventes et dans les librairies spécialisées cette collection, la plus désirable au monde, en main privée. Une course d’achats que Claude Oterelo, expert et marchand qui l’a bien connu, décrit ainsi : « Il a construit de façon méthodique, je dirais même furieuse, un ensemble qui n’a pas d’équivalent au monde. ».
Une collection de mille périodiques !
Jean-Baptiste de Proyart, expert de la vente, trace un portrait de l’homme et de sa collection et nous en explique l’esprit : « L’idée régulatrice de sa collection, depuis le début des années 1960, a toujours été celle de rassembler une bibliothèque des avant-gardes de 1909 aux années 1980, c’est-à-dire un Musée de livres et de papier ayant pour but de conserver vivante la mémoire des vibrations intellectuelles et artistiques qui ont, dans tous les coins du globe, fait du XXe siècle l’un des plus grands siècles créateurs de l’histoire humaine… ».
Et enfin, rappelons aussi que cette collection comprenait plus de mille périodiques sur les mouvements artistiques et littéraires du XXe siècle. Et que, classé Trésor national par le Ministère de la Culture, ces périodiques ont été acquis par l’État grâce à la générosité d’un mécénat culturel du Groupe Lagardère et sont désormais consultables à la bibliothèque du Centre Pompidou.
Paul Éluard, Facile, poème de Paul Éluard, photographies de Man Ray, GLM 1935. Reliure de Leroux (Estimations : 60 000 – 80 000 €) © Courtesy Christie’s
A l’aube de cette vacation, le parallèle est évident avec la collection de l’autre grand bibliophile des surréalistes, Daniel Filipacchi, à laquelle cette bibliothèque fut souvent comparée. Une bibliothèque de grande exception aussi qui fut, en grande partie, présentée aux enchères en 2004 et 2005, dont certains ouvrages achetés lors de ces vacations se retrouvent ici aujourd’hui ! Une bibliothèque dans laquelle rien ne semblait être oublié, flamboyante, voire époustouflante, qui faisait belle place aux ouvrages habillés par les plus grands relieurs et truffés de mille dessins, envois et autres manuscrits.
Une bibliothèque d’érudit
Chez Paul Destribats on se trouve dans un ensemble aussi important mais avec une grande différence toutefois. Ici, cette bibliothèque semble être le fruit autant d’un érudit que d’un bibliophile dont les recherches l’ont amenés à acquérir des manuscrits, des éditions originales, souvent avec des envois (dédicaces) prestigieux, mais aussi et surtout des ouvrages et des ensembles d’études, curieux, truffés de très nombreux ajouts, des placards de correction, des ouvrages dont beaucoup ne sont pas reliés mais « tel que parus », des dossiers regroupant cent photos, essais raturés, manuscrits, brouillons… De plus, naturellement serait-on tenté de dire, cette bibliothèque, telle celle du patron des éditions Filipacchi recèle bon nombre d’ouvrages eux aussi reliés par les plus grands (Bonet, Cretté, Creuzevault, Martin, Leroux, Miguet, Adler, Gonet…). On ne peut pas disséquer ici les 607 lots des trois
parties de cette première vacation et seulement vous en donner, en photos, les plus beaux spécimens. Parmi les lots, il y a naturellement tout ce qui peut faire rêver n’importe quel collectionneur d’ouvrages ou amateur de cette littérature des avant-gardes. Ici, on croise naturellement les grands noms du surréalisme et alentours que sont Berton, Éluard, Aragon, Bataille, Man Ray, Tanguy, Péret, Dali, Picasso, Duchamp, Hugnet, Bellmer, Ernst, etc… Qui furent de la cour du pape Breton, mais pas seulement. Paul Destribats avait aussi une appétence pour Blaise Cendrars et quelques autres de ce temps.
Quant aux estimations (que pour notre part nous trouvons très timides et un brin sous estimées même), elles commencent à quelques centaines d’euros et ce sur des ouvrages plus confidentiels mais toujours en très bonne édition et jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’euros pour les ouvrages d’exception qui vont, soyons-en certains, déchaîner les enchères. En attendant n’hésitons pas à aller admirer ces trésors avant qu’ils rejoignent les étagères feutrées de grands collectionneurs ou d’importantes institutions, sortis un court instant du Panthéon où ils étaient jusqu’alors conservés.
Paul Destribats, bibliothèque des avant-gardes. 1ère partie
Christie’s 9, avenue Matignon (8e)
Vente le mercredi 3 juillet à 14h30 pour les lots 1 à 255
Le jeudi 4 juillet à 14h30 pour les lots 256 à 443
Et le vendredi 5 juillet à 15h pour les lots 444 à 607
Expositions publiques : Samedi 29 juin de 10h à 18h, dimanche 30 juin de 14h à 18h, lundi 1er juillet de 10h à 18h, mardi 2 juillet de 10h à 18h et mercredi 3 juillet de 10h à 14h.
Site de la vente : www.christies.com