Adulée par Degas entre autres et membre fondateur du mouvement des Impressionnistes, Berthe Morisot fut, toute sa vie, considérée comme amateur par la critique et bon nombre de ses contemporains. Son défaut ? Celui d’être une femme dans un monde dominé par les hommes. Le musée d‘Orsay enfin nous l’expose avec près de 80 œuvres qui remettent son travail à sa juste place. Celle de l’égale d’un Renoir et d’un Monet.
Posté le 8 août ➡ À voir jusqu’au 22 septembre 2019
Le Lac du bois de Boulogne (Jour d’été), vers 1879 © National Gallery, Londres
Femme et enfant au balcon, 1871-1872 © Bridgestone Museum of Art, Tokyo / Ph.: D.R.

Jeune femme à sa fenêtre (Portrait de Mme Pontillon), 1869 © Image courtesy National Gallery of Art, Washington

Femme et enfant sur le gazon (La Chasse aux papillons), 1874 © Coll. part. / Ph.: D.R.

Femme à sa Toilette, 1875-1880 © Image Art Institute of Chicago

Jeune femme en toilette de bal, 1879 © Chicago, Art Institute of Chicago, Stickney Fund

Jeune femme en gris étendue, 1879 © Coll. part. / Ph.: D.R.

Être femme au XIXe siècle dans ce monde dominé par les hommes n’était pas une sinécure mais un état accepté dans une société où chacun avait un rôle bien défini. Être femme et artiste peintre dans cette même société et s’en faire un nom était une gageure que Berthe Morisot relèvera avec volonté et talent. Jusqu’alors une femme prenant les pinceaux était considéré comme une pratique amateure, un « talent d’agrément » au même titre que la broderie ou l’arrangement florale. Il faut aussi savoir qu’en cette seconde moitié du XIXe siècle, l’École des Beaux-arts n’était pas accessible aux femmes !
Elles furent peu au cours des siècles précédents à briser ce plafond de verre, Artemisia Gentileschi au XVIIe, Elisabeth Vigée Lebrun au siècle suivant et quelques rares autres. Berthe Morisot (1841-1895), elle, se fit une place durement reconnue au sein des Impressionnistes, ce cénacle d’hommes qui accueilla aussi l’Américaine Mary Cassatt.
C’est d’elle qu’il s’agit ici dans cette présentation de 80 d’œuvres dont beaucoup n’ont jamais été exposées. Et on pourrait se demander pourquoi le Musée d’Orsay, ce Panthéon du XIXe siècle a attendu si longtemps – plus de trente ans après son ouverture ! – pour nous présenter son œuvre ? Il faut aussi savoir que son œuvre n’a pas été exposée dans un musée national depuis… 1941 ! Cependant, elle fit tout de même l’objet, il y a sept ans, d’une belle exposition à Marmottan. Elle qui fut pourtant l’égale de ses pairs comme force créatrice de ce mouvement, qui révolutionna l’art de ce siècle et annonça celui à venir, la seule raison que l’on puisse avancer à son purgatoire, n’est-il pas qu’elle fut une femme ?
Née à Bourges dans un milieu « le plus austèrement bourgeois » – dixit Renoir – elle est la cadette d’une fratrie de quatre enfants dont trois filles. Père, préfet du département du Cher, ne voit pas d’un bon œil la volonté de deux de ses filles d’épouser la carrière d’artiste. Leur mère, pourtant, offre à ses filles des leçons de peinture dans l’idée de plaire à leur père qui se piquait d’être amateur d’art. Berthe et Edma sa sœur, usent quelques professeurs à s’acharner à devenir peintre. Edma, son aînée, abandonne les pinceaux en se mariant et Berthe continue seule son apprentissage. Elle passe même entre les mains de plusieurs professeurs dont Corot qui l’entraîne sur le motif à tel point que la famille Morisot loue une maison à Ville-d’Avray afin qu’elle puisse, en toute quiétude, se livrer à son art.
Par l’intermédiaire de Corot, Berthe, dans ce milieu des arts et des lettres, se fait vite des amis dont les barbizonniens Daubigny et Daumier et l’écrivain Zola, l’un des premiers défenseurs de l’Impressionnisme à venir. Malgré quelques réticences, on accepte l’une de ses œuvres dans le Salon des
En Angleterre (Eugène Manet à l’île de Wight), 1875 © Musée Marmottan Monet, Paris / the Bridgeman Art Library.
refusés mis en place pour ceux que le Salon officiel boudait.
La seule femme du groupe !
C’est au Louvre, paradis des copistes qui viennent recevoir les leçons des grands maîtres du passé que Berthe Morisot rencontre Édouard Manet par l’intermédiaire du peintre Fantin-Latour. Manet devint vite un ami cher, fréquentant la famille Morisot et Berthe épousera en 1874 le frère du peintre, Eugène Manet. 1874 est l’année fondatrice du mouvement impressionniste. Refusé partout, le groupe composé d’une trentaine d‘artistes trouve refuge dans l’atelier du photographe Nadar, boulevard des Capucines pour leur première exposition. Berthe Morisot y est admise au même titre que les autres avec une vingtaine d’œuvres dont Le Berceau, l’une de ses icônes. Et bien que son art est l’égal de celui des autres membres, il déclenche les lazzis de la critique allant même jusqu’à l’accuser « de se donner en spectacle » ! Et certains vont qualifier son travail de « charmant, naïf voire exquis » alors qu’avec raison l’écrivaine Dominique Bona, l’une des commissaires de l’exposition affirme : « Claude Monet et Berthe Morisot sont peut-être les deux peintres les plus impressionnistes. Ce sont eux qui donnent sens au mot « impression » ».
Berthe Morisot sera des huit expositions du groupe (excepté de la quatrième, l’année de la naissance de sa fille Julie) qui assoiront le mouvement dans le public et à son nom sera vite associé celui de deux autres femmes qui la rejoindront, l’Américaine Mary Cassatt et Marie Bracquemont.
Le berceau, 1872 © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Michel Urtado
Légèreté, douceur et délicatesse
Et même si certains voient entre Manet et Morisot des apports et échanges, il faut surtout remarquer dans la manière de Berthe Morisot, une légèreté, une douceur, une grande délicatesse, un travail sur la touche et l’utilisation de couleurs claires et éclatantes, se désolidarisant en cela de sa formation au sein de l’École de Barbizon et de Corot plus particulièrement. Son art de plus en plus novateur va, au fil des ans, jouer avec une imprécision des formes, un « non finito » qui n’était pas pour calmer ses détracteurs !
Dans son art, reconnaissable d’entre tous les impressionnistes, Berthe Morisot a une façon toute à elle de traiter les portraits et les scènes de genre prenant très souvent pour modèle sa sœur, sa fille Julie, ses nièces et quelques autres enfants et jeunes filles. Le portrait constitue la grande majorité de son corpus d’œuvres – 70 % – et c’est la thématique retenue par Orsay dans cette présentation. Le parcours thématique (le travail, la mode, la toilette, l’extérieur) brosse un certain statut de la femme – bourgeoise – au XIXe siècle.
Sans… profession !
Degas ne s’y était pas trompé en la considérant comme membre à part entière du groupe au même titre que les artistes masculins. N’ayant nul besoin de « gagner » sa vie par son art,
elle assumait parfaitement son statut bourgeois et n’ayant pas d’atelier elle peignait dans son salon ce qui donnait à son travail des allures de passe-temps bourgeois. Elle sollicita peu de collectionneurs et marchands et vendit peu, puisqu’à sa mort quasiment toute sa production de plus de 400 tableaux et pastels, étaient encore aux mains de sa famille. Et pour exemple, Caillebotte, peintre, ami mais surtout mécène et collectionneur des Impressionnistes n’avait pas une seule de ses œuvres dans sa collection !
Elle mourut le 2 mars 1895, à l’âge de 54 ans. Et malgré qu’elle fut finalement en grande partie reconnue, du moins de ses pairs, qu’une certaine critique, enfin, semblait la prendre en considération, son certificat de décès mentionnait : « Sans profession » et sur sa tombe au cimetière de Passy on peut lire sans autre précision qu’elle fut la « veuve d’Eugène Manet » !
Musée d’Orsay. 1, rue de la Légion d’Honneur (7e)
À voir jusqu’au 22 septembre
Tous les jours sauf le lundi de 9h30 à 18h. Nocturne le jeudi jusqu’à 21h45.
Site du musée : http://www.musee-orsay.fr/