Spectateur de sa propre vie, Picasso fut, des artistes de son temps, celui qui utilisa le plus le média photographique pour asseoir sa notoriété. Il s’en amusa aussi souvent tant dans sa vie professionnelle, que privée. Les plus grands photographes se sont faits les témoins et les complices de la vie de ce démiurge du XXe siècle. Le musée Picasso de Barcelone nous expose plus de 200 clichés retraçant cet incessant jeu du chat et de la souris.
Posté le 17 août ➡ À voir jusqu’au 24 septembre 2019
David Douglas Duncan, Picasso à Cannes. 1957 © Museu Picasso Barcelona
Emmanuel Guigon qui préside aux destinées du musée Picasso de Barcelone, n’est jamais à court de bonnes idées. Reconnaissons que son sujet, Picasso, s’y prêtant à merveille. L’an passé il nous avait concocté une exposition sur les rapports que le peintre entretenait avec la cuisine et la nourriture ; cette année il vient nous exposer ceux qu’il entretenait avec la photographie. Non pas seulement celle qu’il pratiquait ou utilisait (le musée Picasso de Paris, sous l’égide d’Anne Baldassari et suite au legs des archives photographiques du peintre, nous l’avait montré en trois expositions en 1994, 1995 et 1997) mais surtout son image dans la sphère publique et son rapport avec les photographes qui ne manquaient pas une miette de sa vie.
Picasso avec l’uniforme de Georges Braque. 1911 © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Fr. Raux / Adagp, Paris 2019 / Succession Picasso 2019
Brassaï, Picasso à côté du grand poêle dans l’atelier des Grands-Augustin, Paris. Septembre 1939 © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Fr. Raux
Robert Doisneau. La Ligne de chance. Picasso à Vallauris, 1952 © Robert Doisneau / Gamma Rapho
Il fut surement, de tous ses pairs, celui qui a été le plus photographié. La photographie et Picasso est une histoire de « je t’aime moi non plus » qui a contribué à en faire, au-delà de son art, un personnage public, un « people » dirait-on aujourd’hui, allant même jusqu’à une scission entre l’homme et l’artiste, entre la vie et l’œuvre ! Et cela non contre son gré mais avec sa complicité. « La photographie – résume Emmanuel Guigon – dévoilant toutes les facettes d’un créateur, tour à tour auteur, modèle, témoin et spectateur de son œuvre et de sa vie »
Il ne faudra pas attendre très longtemps, dès ses premières années parisiennes, pour que l’on voit Picasso à l’œuvre, dans ses différents ateliers devant ses toiles, sollicitant lui-même les prises de vue et s’y prêtant avec attention. Il faut dire aussi qu’il connaitra, sinon la gloire, du moins une reconnaissance de ses pairs, de ses marchands et quelques collectionneurs très tôt, dès les premières années du XXe siècle, conscient qu’il y aura notoriété que si son nom et son image étaient connus. Et lui même, achètera un appareil afin de photographier ses ateliers, ses œuvres et ses amis, comme Braque ou Apollinaire posant pour lui Les images qui ouvrent l’accrochage installent Picasso dans la sphère photographique.
Brassaï et Dora Maar
Et c’est à cette époque aussi, après sa rencontre avec la danseuse Olga Khokhlova qu’il documentera lui-même sa vie privée. Femme, enfant, appartement, vacances qu’il fixe en bon père de famille sur la pellicule, des images qui sortiront de l’album familial et deviendront publique.
Dès les années 10 du XXe siècle, la révolution cubiste aidant, il est très vite repéré et lui ne s’en offusque pas et tout au long de sa vie il répondra souvent par l’affirmative aux nombreuses sollicitations des photographes les laissant s’insinuer autant dans sa sphère privée et familiale que pour documenter son processus d’élaboration de son œuvre. Deux photographes vont le plus contribuer à cela. Brassaï, l’ami, convié à l’atelier des Grands-Augustins et à Boisgeloup pour faire un remarquable travail sur les sculptures de Picasso. Un travail qui débouchera sur un ouvrage emblématique et un autre d’entretiens. Et naturellement, la photographe Dora Maar, sa compagne des années noires – à laquelle le Centre Pompidou vient de rendre un bel hommage – qui, elle, documentera, entre autre, l’élaboration du tableau Guernica, photographiant en un pas à pas toute l’avancée de l’œuvre.
Sollicité par tous les photographes
Dora Maar, Picasso en train de peindre Guernica. Atelier des Grands-Augustin à Paris, mai-juin 1937 © RMN Grand-Palais (Musée national Picasso Paris) Image RMN-GP / Adagp 2019
Dès que connu, tous les grands noms de l’image sont présents dans le corpus des clichés le représentant, en plus des Brassaï et Dora Maar déjà cités, toute l’aristocratie de l’image argentique est là : Man Ray, Robert Capa, Henri Cartier Bresson, Robert Doisneau, Lucien Clergue, André Villiers, Bill Brandt, Nick de Morgoli, Cecil Beaton Gjon Mili, Michel Sima, David Douglas Duncan, Arnold Newman, Edward Quinn, Joan Fontcuberta et tant d’autres sans oublier toute une nuée de paparazzi qui s’agitait sans cesse autour de lui. Et ainsi, qu’il soit dans son atelier, dans sa baignoire, à la corrida, dans la rue, en famille, avec des amis ou simplement seul, il pose sans état d’âme devant l’objectif acceptant même parfois de jouer avec le photographe, de se déguiser, d’être simplement en… slip, de faire une pitrerie ou un pas de danse avec sa compagne. Une chose qui aujourd’hui en notre époque de réseaux sociaux et d’images à foison paraît « normal » mais c’était loin d’être le cas alors. Picasso, là encore devança son temps, il fut le premier à comprendre l’impact de l’image et le seul de son époque à en jouer sans complexe.
À voir jusqu’au 24 septembre
Musée Picasso de Barcelone, Carrer de Montcada 15-23, Barcelone, Espagne
Ouvert le lundi de 10h à 17h, du mardi au dimanche de 9h à 20h30 et le jeudi de 10h à 21h30
Site du musée : http://www.museupicasso.bcn.cat/en
Catalogue (catalan / français et aussi en espagnol / anglais) : Editions Musueu Picasso / La Fabrica. 248 p. 220 ill. 36 €