Le musée de Céret nous propose une rencontre avec l’œuvre d’André Masson, l’un des artistes les plus importants du XXe siècle. On nous y entraîne à sa suite dans sa vision de la nature, tour à tour édénique, dionysiaque mais aussi lieu de toutes les barbaries. Une exposition capitale.
Posté le 9 septembre ➡ À voir jusqu’au 27 octobre 2019
On ne se rend pas encore bien compte aujourd’hui de toute l’importance du peintre André Masson dans l’art du XXe siècle. Peu, voire pas, d’expositions d’importance (la dernière, à Paris, il y a plus de 40 ans) et peu représenté en galerie. On attend donc la grande rétrospective que son art mérite à Pompidou (qui lui rendit toutefois un timide hommage en 1982 pour son 85e anniversaire) ou au Grand Palais pour le remettre à sa juste place. Car, on peut dire sans se tromper, que son œuvre a l’équivalence dans son siècle de celle d’un Miró, d’un Dali, d’un Soutine. C’est dire. Il est donc à saluer qu’un musée de province, celui de Céret, ait pris l’initiative de convoquer de grands musées et de grandes institutions et collections pour nous offrir en un parcours chronologique et thématique –
Le couvent des Capucins à Céret, 1919 © Musée d’art moderne de Céret / Ph.: R. Townsend / Adagp, Paris 2019
la nature – une vision en 140 œuvres (peintures, dessins et sculptures) assez large pour bien comprendre le travail et surtout le propos de cet artiste d’une extrême importance.
Rue de Céret, 1919 © Musée d’art moderne de Céret / Ph.: Robin Townsend / Adagp, Paris 2019

Le faucheur, 1934 © Die Galerie, Frankfurt am Main / Adagp, Paris 2019

Le Labyrinthe,1938 © Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne / CCI. / Ph. : Centre Pompidou, MNAM-CCI / Ph. Migeat/Dist. RMN-GP © Adagp, Paris 2019

La Pythie, 1943 © Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne / CCI. / Ph. : Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-GP / A. Rzepka / Adagp, Paris 2019

La Montagne Sainte Victoire, 1948 © Belfort, Musée d’art moderne / Donation Maurice Jardot / Adagp, Paris 2019

Engloutissement, 1968 © Musée d’art moderne de la Ville de Paris / Ph.: J.-Y. Trocaz / Parisienne de Photographie / Roger-Viollet / Adagp, Paris 2019

Il est non pas difficile mais un brin fastidieux d’essayer en quelques lignes, d’affronter cette œuvre sans avoir à l’esprit toutes les composantes et paramètres qui l’agitent. Masson a une vision à la fois mythologique et dionysiaque de la nature en en faisant la toile de fond et le prétexte à y réduire les bouleversements, les conflits et la barbarie humaine. Un état d’esprit, une philosophie presque, contracté sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale où il fut laissé pour mort dans la boue d’un trou d’obus et sauvé in extrémiste par des compagnons qui le tirèrent de sa gangue mortelle. Il en a retiré avec raison une aversion pour cette barbarie. Elle ne le quittera jamais. N’étant plus dupe des tourments du genre humain.
Marqué par le Sud
D’origine picarde, né dans l’Oise en janvier 1896, c’est à Bruxelles – où ses parents déménagent alors qu’il est adolescent – qu’il est confronté pour la première fois à l’art. James Ensor découvert là, le bouleverse et c’est le poète Émile Verhaeren, ami de la famille, qui décide celle-ci de l’envoyer à Paris faire ses études aux Beaux-Arts. Nous sommes en 1912. Deux ans plus tard la guerre le cueille et en 1917, blessé au Chemin des Dames, il se reconstruit lentement avant qu’accompagné d’un ami, il part pour le sud.
Martigues puis Céret. Là il fait la connaissance de Soutine avec lequel il se dispute au sujet de Van Gogh que le russe n’aima pas et que Masson vénère. Il restera moins d’un an dans la petite cité des Pyrénées-Orientales située à une encablure de Collioure. Cette année le marquera. Il prend conscience de son devenir : « Là, je peins. Je peins comme un homme qui veut faire carrière de peintre… ».
Là, il a retenu les leçons du maître d’Aix et développe un cubisme cézanien en des paysages mâtinés quelques fois d’accents dus à Soutine dans la distorsion des perspectives et l’aménagement de son espace pictural. Le sud imprime sa marque comme il le fait à tous ceux qui viennent se frotter à son soleil et à sa nature délirante. Cette nature et son peuple est le fil rouge de son œuvre et donc celui de l’exposition, tant il est vrai qu’elle n’est pas dissociable de l’œuvre de Masson.
Breton et les surréalistes
Retour à Paris en 1922, petit boulots alimentaires entrecoupés naturellement d’heures à peindre et dessiner qui l’amènent à faire la connaissance du marchand de Braque et Picasso, Daniel-Henri Kahnweiler. Ce dernier, très à l’écoute des avant-gardes de son temps, lui ouvre grand les portes de sa galerie de la rue Vignon. Et tout commence là. Le phalanstère du 45 rue Blomet – qui fut au surréalisme ce que le Bateau-lavoir fut au cubisme – où il loue un atelier lui offre comme voisins Miró, Artaud, Leiris, Limbour et il fait la connaissance de Breton, Aragon, Jacob, Dubuffet habitués du lieu. Le surréalisme entre dans sa vie et son œuvre.
C’est l’époque de ses dessins automatiques dans des actions chères au pape du surréalisme. C’est l’époque aussi de ses tableaux de sable, sur lesquels de la colle posée aléatoirement ou non, est recouverte de sable. Sa « ligne devient errante » comme l’écrit Gertrude Stein mécène et amie de tout ce petit
Les insectes matadors, 1936 © Würth Collection, Germany / Ph.: Peter Falk, Schwäbisch Hall / Adagp, Paris 2019
monde. Si, à cette époque, ses œuvres sont d’une belle eau surréaliste, il va rompre dès 1928 avec Breton pour des raisons aussi philosophiques que de rapports, mais son œuvre reste hantée par les symboles, éros et thanatos, accouplements, animaux, captives, métamorphoses et surtout massacres en tous genres en amateur « obligatoire » de Sade et de Bataille.
La nature comme scène de vie
Cette nature qu’il exploite est pour lui comme le théâtre de la vie. Une nature merveilleuse mais peu vue comme apaisée, idyllique ou rousseauiste. Une nature opposée à la pensée rationaliste. C’est une nature, champ des bouleversements et des conflits qu’agite la barbarie humaine qui est au centre de son œuvre, à l’image de ce faucheur emportant avec lui, du plat de sa faux, tout un peuple d’insectes. Voire aussi ce symbole qu’est la mante religieuse qui hante ses œuvres, dévoreuse de sa propre humanité. Les années quarante sonnent semble-t-il, une véritable conscience de la nature elle-même comme entité. Masson se penche sur la Sainte Victoire chère à Cézanne, c’est l’époque où ses toiles ont pour titre Le Terrier, Le Ruisseau couvert, Au creux de l’arbre, La pluie, Les perdrix, dans la brume ou encore La Source de la Loue. Un apaisement après les horreurs de la Seconde guerre mondiale qu’il passera comme beaucoup de ses pairs aux États-Unis après un passage en Martinique où la végétation abondante lui permet de reprendre contact avec cette nature luxuriante. « … je dessinais d’après le motif, imaginant tout le temps une nouvelle mythologie végétale. » écrit-il dans un texte avec la complicité de Breton et publié en 42, rendant compte de son éblouissement devant cette nature généreuse et grandiose.
Cette thématique n’englobe pas l’ensemble de l’œuvre, mais c’est ici celle qui nous intéresse. Délivré des mythes et des symboles et même de l’imaginaire, en ces années de retour, Masson peint « des arbres, des rochers, des collines, des cascades, des femmes, des oiseaux – écrit son ami de toujours Georges Limbour – partant du réel et, s’appuyant sur ses qualités les plus fondamentales, il le dépasse et nous entraîne, sans que nous puissions dire où nous avons franchi la frontière, dans un monde poétique. ». Il ira même jusqu’à manifester de l’intérêt pour l’impressionnisme !
Les dernières années son art tend vers l’abstraction, ou plus exactement se rapproche de la peinture chinoise et extrême orientale et comme débarrassée enfin des tourments. L’art asiatique, un choc reçu en 1942 à Boston. Dans cette peinture, il y trouve le « paysage essentiel » débarrassé de toute trace humaine où, comme chez Cézanne note-t-il « les silences visuels sont donnés par la blancheur inviolée du papier ». Son art alors devient presque éthéré, comme un pas vers l’au-delà. Il décède à Paris en 1987, il avait 91 ans.
Musée d’art moderne de Céret 8, Bd Maréchal Joffre, Céret (66)
Du 22 juin au 30 septembre : ouvert tous les jours de 10h à 19h
Le reste de l’année : ouvert de 10h à 17h, fermé le lundi
Site du musée : www.musee-ceret.com
Catalogue :
André Masson, une mythologie de l’être et de la nature
Coédition Musée d’art moderne de Céret /Silvana Editoriale
Sous la direction de Nathalie Gallissot et Jean-Michel Bouhours
200 p. 180 ill. 30 €