S’il existe pléthore d’ouvrages sur Mondrian (1872-1944), ceux-ci ont souvent tendance à occulter la genèse de son travail, ces années où il forge la radicalité de son œuvre connu. Années qui vont le mener de ses peintures proche de l’École de la Haye à ses théories néoplastiques qui donneront ces tableaux faits de figures géométriques utilisant que trois couleurs. Si pour beaucoup d’artistes les premières années sont souvent attendues, il n’en est pas de même pour Mondrian. C’est le sujet d’une exposition actuelle au musée Marmottan et le sujet de cet ouvrage catalogue de l’exposition éponyme.
On nous conte ici par le menu ces premières années avec, pour fil rouge, une rencontre que fit Mondrian en 1912 avec celui qui allait devenir son plus fidèle collectionneur de cette période figurative. Installé à Paris depuis cette année-là, Mondrian retourne dans son pays natal au chevet de son père souffrant. La guerre l’empêchant de rentrer, il prend alors pension dans une auberge de campagne, Les Tilleuls à Laren où, peu argenté, il paie sa pension avec quelques tableaux que la propriétaire du lieu accroche sur ses murs. Ce sont ces tableaux que va découvrir un certain Salomon Bernard Slijper, de passage à Laren pour quelques semaines de vacances durant l’été 1915.
C’est sur les murs de la résidence Les Tilleuls que Slijper voit sur les murs de l’auberge les œuvres figuratives, des débuts de Mondrian. Il tombe sous le charme et ira jusqu’à lui acheter 60 œuvres, la totalité de ses tableaux, lorsqu’enfin Mondrian pourra rentrer à Paris et recouvrer son atelier.
« J’ai commencé comme n’importe qui d’autre » a déclarer un jour Mondrian et la première œuvre qui ouvre le catalogue lui donne raison, elle représente un…lapin dans la plus pure tradition du Siècle d’or hollandais. Puis, les années de construction de son œuvre nous donnent à voir des œuvres qui ne sont pas étrangères à l’effervescence artistique du temps. Influencé par l’École de la Haye qui sévissait dans les années 1870, ses premiers tableaux flirtent avec les barbizonniens que sont Rousseau, Daubigny ou Troyon. Des couleurs sourdes exaltant le romantisme d’une nature presque tragique. Il peint ce qu’il a sous ses yeux : moulins, canaux, fermes, prés et bois.
Puis, la couleur s’invite sur sa palette vers 1907-08, sa palette alors s’éclaircit, les rouges et roses font leur apparition, une manière faite dans la roue de l’Impressionnisme qui a, dès le dernier quart du XIXe siècle, dénoué les carcans. Suivi par l’exemple de son congénère Van Gogh, Mondrian va dès lors oser s’aventurer sur des sentiers divers bifurquant peu à peu vers une fragmentation et une juxtaposition des touches, utilisant la couleur comme les divisionnistes et surtout les fauves la conçoivent. C’est la découverte du cubisme lorsqu’en 1911 à Paris qui va faire basculer son travail vers des contrastes exacerbés, une déstructuration des formes et l’emploi de couleurs primaires qui annoncent déjà les années néoplastiques à venir. Il oriente ses recherches vers le cubisme « dur » d’un Picasso plus que le cubisme doucereux d’un Metzinger, Delaunay ou Gris. Peu à peu, il en simplifie la construction, divise la surface, réintroduit les formes réalistes dans une géométrie qui, peu à peu prend le dessus. Un travail qu’il faut aussi rechercher parmi les façades et les toits gris de Paris et d’évidence le cubisme de Picasso dont il semble pourtant vouloir à tout prix se détacher. Le cubisme chez Mondrian n’est en rien une fin mais une passerelle à la recherche d’un nouveau langage, d’une nouvelle grammaire plastique. À 40 ans il est prêt pour son grand œuvre.
Cet ouvrage est tout à la fois l’histoire de cette amitié née entre le peintre et son collectionneur et une plongée réaliste autant qu’anecdotique et historique dans ces années de construction qui font passer un peintre de paysage à une radicalité qui signe le siècle. À découvrir cet autre Mondrian.
Mondrian figuratif sous la direction de Marianne Mathieu et des contributions de Hans Janssen, Wietse Coppes et Leo Jansen
Editions Hazan. 168 p. 170 ill. 29 €