L’ancienne galerie Thessa Herold rouvre ses portes avec un nouveau propriétaire et un nouveau nom : Orbis Pictus qui, en exposant Michaux et Sima, marche sur les brisées de cette galerie historique.
Posté le 27 octobre ➡ À voir jusqu’au 31 décembre 2019
Henri Michaux, Peinture, 1976 © Succession Henri Michaux / Courtesy galerie Orbis Pictus / Adagp 2019
Dans ce quartier, le Marais, où lorsqu’un espace se libère il est en général de suite investi par une boutique de vêtements ou un commerce de restauration, il est agréable de souligner la renaissance d’une galerie. Au coin de la rue des Coutures Saint-Gervais et de la rue de Thorigny, à toucher le musée Picasso, l’ancienne galerie Thessa Herold vient de rouvrir, reprise sous le patronyme d’Orbis Pictus, en référence, peut-on supposer, à la locution latine signifiant « images du monde » et faisant référence aux ouvrages du XVIe siècle expliquant, en images, dans une époque où savoir lire était réservé à une élite, l’organisation du monde.
Orbis Pictus, pour son ouverture, décide de marcher sur les brisées de l’ancienne propriétaire du lieu proposant d’accrocher deux figures emblématiques qui ont fait les beaux jours des cimaises de l’endroit pendant plus de vingt ans : le tchèque Joseph Sima (1891-1971) et le belge Henri Michaux (1899-1984), tous deux parisiens d’adoption et amis proches. L’association fait aussi référence à un poème que le second avait dédié au premier sous le titre de « Lumière : autre terre ». Deux acteurs « majeurs de la revendication plastique, des phares de leur époque » comme l’écrit Yves Peyré dans le catalogue qui accompagne l’accrochage de cette exposition inaugurale.
Deux acteurs que pourtant beaucoup de choses séparent mais qui vont trouver plus qu’une complicité, une véritable admiration réciproque. Une « camaraderie » comme qualifie Yves Peyré, une connivence qui va se nourrir à Paris, ville qui sera le ciment de leur amitié. Séparent déjà leurs origines : paysages des Ardennes, « plat pays » et brouhaha du port d’Anvers pour le Belge ; quant à Sima il porte en lui le spleen d’une bohème riche qui va s’effacer devant les bouleversements de l’Histoire et qui donnera à son art une aura évanescente, vaporeuse, comme s’il voulait capter un monde en déréliction.
Michaux, lui, deviendra autant un homme d’écrit que dessinateur et
Joseph Sima, Iles, 1961 © Succession Joseph Sima / Courtesy galerie Orbis Pictus / Adagp 2019
peintre à l’œuvre en noir dominée par ses fameuses « encres ». Mais il est aussi un homme pour qui la couleur pourrait sembler être en contradiction avec l’œuvre écrit et cela la galerie nous l’expose en majesté. Une production graphique qui va même dès la fin des années 30, prendre le pas sur son œuvre poétique. Quant à Sima, s’il fut un moment un surréaliste dissident (entendons par là, hostile aux diktats du pape Breton) il resta un homme d’images et illustra bon nombre d’écrits de ses amitiés littéraires comme Char, Jouve, Callois et Ribemont-Dessaignes entre autres.
Une amitié de… pas de porte !
Une complicité qui fut avant tout de « pas de porte », comme le dit joliment Yves Peyré, puisque tous deux habitent la même rue, cette petite rue Séguier qui mène de la rue Saint-André-des-Arts à la Seine. Sima au 14 et Michaux au 16. Un hasard qui les rapproche déjà. Puis une complicité amicale, Michaux admire l’œuvre de Sima découverte en 1955 dans une exposition de galerie. Il dit toute l’admiration qu’il a de l’art du tchèque, et enfin une complicité artistique née chez Jean Hughes, qui animait la mythique galerie du Point Cardinal, où les deux amis furent camarades de cimaises.
Thessa Herold avait repris ce flambeau faisant des deux complices les fondements de sa galerie rue de Seine d’abord, puis ici dans le Marais. Et les voilà donc de nouveau réunis. De Michaux on admira une de ses grandes encres qui firent beaucoup pour sa renommée. On ne soulignera pas la foison de ce travail pléthorique, et l’on est reconnaissant au nouveau maître des lieux d’en avoir accroché qu’un exemplaire comme un rappel.
Henri Michaux, Sans titre, 1984 © Succession Henri Michaux / Courtesy galerie Orbis Pictus / Adagp 2019
Mais en revanche on lui est gré de nous présenter le travail de Michaux sur la couleur : des aquarelles et acryliques sur papier, qui révèlent le coloriste peu connu qu’il fut dans des compositions abstraites, sortes de paysages mentaux. Elles sont accompagnées ici de quelques raretés comme ces « Mouvements », silhouettes graciles et sautillantes ou encore ces dessins dits « mescaliniens » sorte de dessins labyrinthiques tracés sous l’influence d’une drogue, la mescaline.
Un art aux accents mystiques
De Sima, ici, il est question de toute l’étendue de son œuvre, une œuvre dans laquelle le paysage est traité souvent comme un décor de théâtre nimbé d’une lumière qui semble venue d’ailleurs. L’accrochage nous montre tout le champ de ses inspirations : des scènes de genre à la figuration évanescente qu’on dirait faites du bout du pinceau, aux dessins à la noirceur surréaliste pour arriver à ces huiles et aquarelles transparentes,
légères, dépeintes par une palette réduite au vert d’eau, au beige et au bleu, compositions éthérées semblant flotter dans un espace infini. Il se dégage de l’oeuvre de Sima une indéniable poésie, une grande intériorité qui confine parfois son art au mysticisme.
Il est étonnant que ces deux-là, au parcours si différent, à l’art si opposé – terrien pour le belge, évanescent pour le tchèque – ait forgé une telle amitié. « S’éloignant l’un de l’autre dans le rendu captivant de leur expérience – explique Yves Peyré – chez Sima domine une lenteur, chez Michaux une turbulence ». Faudrait-il y voir de la complémentarité ? On serait tenté de le dire. Ces deux grands « anonymes » trouvent ici dans cet accrochage une belle preuve de leur grande amitié, de la grandeur de leur art et de leur indéfectible complicité.
Joseph Sima / Henri Michaux. Lumière : autre terre
Galerie Orbis Pictus. 7, rue de Thorigny Paris 3e
À voir jusqu’au 31 décembre 2019-10-07 Ouvert du mardi au samedi de 11h à 19h
Site de la galerie : https://orbispictus.art/
Catalogue
Joseph Sima / Henri Michaux. Lumière : autre terre
Introduction par Yves Peyré
Editions Orbis Pictus. 120p. 97 ill. 25 €