Le musée de Montmartre nous offre une présentation de 150 œuvres retraçant la vie de la Butte en ses heures de gloire, de la fin du XIXe siècle au début du XXe. Une belle collection réunie par un couple d’américains, David Weisman et Jacqueline Michel. Une plongée étonnante dans la véritable âme montmartroise.
Posté le 4novembre 2019 ➡ Exposition à voir au Musée de Montmartre jusqu’au 19 janvier 2020
Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923), La Goulue et Valentin le Désossé dansant au Moulin-Rouge, 1895 © Collection Weiman & Michel / Ph.: Christopher Fay
Couturier (1871-1903), Moulin de la Galette, vers 1895 © © Collection Weiman & Michel / Ph. : D.R.

Suzanne Valadon (1865-1938) Jeune fille au bain, vers 1919 © Collection Weiman & Michel / Ph. : Christopher Fay

Louis Valtat (1869 – 1952) Au Café , vers 1895 © Collection Weiman & Michel / Ph. : Stephane Pons / Adagp 2019

Georges Tiret-Bognet (1855-1935) Intérieur du Lapin agile, vers 1910 © Collection Weiman & Michel / Ph. : Stephane Pons

George Luks (1867-1933) Scène de rue, vers 1900 © Collection Weiman & Michel / Ph. : Stephane Pons

Edmond Lempereur (1876-1909) Yvette Guilbert, vers 1895-1900 © Collection Weiman & Michel / Ph. : Stephane Pons

Il est toujours touchant de voir des collectionneurs venus d’autres horizons – ici en l’occurrence un couple d’américains – se prendre de passion pour notre pays et notre cher Paris. Ce couple sympathique lui n’a d’yeux que pour Montmartre. Attention pas le Montmartre que des hordes de touristes envahissent entre le Boulevard Rochechouart et la Butte, pas le Montmartre des (faux) cabarets fripons aux enseignes racoleuses aux couleurs criardes qui voudraient nous faire croire que c’est l’esprit du lieu. Non ici nous parlons du Montmartre, du vrai, celui de Briand, Lautrec, Salis, Anquetin, Utrillo, Valadon et Picasso. Celui d’un temps dont les moins de… quatre-vingts ans ne peuvent pas connaître, celui d’une époque où artistes, rapins, personnages pittoresques comme bourgeois nantis fréquentaient la butte, le maquis, le cabaret, le Lapin Agile de Frédé et son âne Aliboron. Le vrai Montmartre qui fit tant pour l’art et pour la réputation de Paris.
Et quel meilleur endroit pour exposer la collection de nos américains que ce Musée de Montmartre, avec son étonnant jardin calme qui a tout d’un jardin de curé de province ? Ce lieu qui abrita les amours tumultueux de Suzanne Valadon, André Utter et du petit Maurice Utrillo qui passa là du biberon à la bouteille ! C’est donc dans ce petit musée qu’ils sont venus nous parler de leur Montmartre, de notre Montmartre. Et d’entrée de jeu on est emporté par une scénographie intime qui se prête à merveille au propos.
On vient donc nous parler de cet endroit, une butte située dans le nord de Paris qui, en cette seconde moitié du XIXe siècle et début du XXe accueillait en son pied cafés-concerts, cabarets, cirques où venaient s’encanailler toute une population, souvent nantie, à la recherche de sensations et de l’âme sœur d’un soir ou d’une nuit. Parmi les phares de cette vie noctambule comment ne pas citer Le Chat noir, sis au 86 du boulevard Rochechouart, cabaret dirigé par Rodolphe Salis, et qui doit son nom au chat que Salis trouva sur le trottoir pendant les travaux.
Suzanne Valadon (1865-1938), L’Acrobate, ou La Roue, 1916 © Collection Weiman & Michel / Ph.: Stéphane Pons
L’enseigne du cabaret, dessinée par Aldolphe Willette, nous accueille d’entrée, comme une invite à pénétrer dans cette évocation de Montmartre. Au dessus du boulevard qui est au pied de cette butte, s’élevait un terrain en partie peu ou pas urbanisée, qui accueillait dans un « maquis » (aujourd’hui on dirait « un terrain vague ») des cabanes faites de bric et de broc, des masures et des bistrots fréquentés par des démunis et surtout de nombreux artistes qui n’avaient qu’à puiser dans le brouhaha du boulevard, plus bas, des sujets pour leurs œuvres. Une période bénie pour l’art et sûrement moins pour la société qui, entre la défaite de 70 et la Belle Époque, sera surtout belle pour certains mais beaucoup moins pour d’autres. L’euphorie est pourtant de mise et au sortir de cette guerre et de ces années qui a vu Paris se déchirer, c’est une époque d’euphorie culturelle et de belle insouciance qui va malheureusement se fracasser sur le premier conflit mondial.
Steinlen, le nabi journaliste
Et pour bien ancrer le lieu dans sa réalité une toile magnifique d’un presque inconnu, Louis Lemanceau, qui nous offre une vue très naturaliste et nostalgique de ce moulin Blutte-fin (souvent confondu avec celui de la Galette) que longe une rue Lepic alors déserte et encore si campagnarde. S’ensuit, dans les plus de 150 pièces que composent cette belle collection, affiches, dessins, peintres, photos et autres documents qui survolent bien cette histoire qui a forgé l’une des mythologies de Paris.
Naturellement ne nous attendons pas à y trouver quelques œuvres de Toulouse-Lautrec, Picasso ou Utrillo, trop cher – nous dit-on – pour la bourse de nos collectionneurs, mais qu’importe, ceux présents suffisent largement à nous raconter cette histoire. Mais aussi heureusement, serait-on tenté de dire, car faute de (grands) moyens leur démarche fut surtout celle de curieux dénichant des œuvres et artéfacts qui n’en sont que plus intéressants car ils éclairent de l’intérieur cette histoire et remettent sur le devant de la scène des acteurs
de ce Montmartre trop mal connus. À l’image de Théophile-Alexandre Steinlen, cet anarchiste amoureux des chats qui a laissé ici deux grandes fresques montrant des Raminagrobis joueurs. Il fut sûrement le meilleur reporter – il était même surnommé le « nabi-journaliste » – de ce Montmartre en ébullition. Ses dessins pour le Chat noir, son évocation du Moulin-Rouge, si cher à Lautrec, Steinlen nous l’évoque avec de nombreux dessins dont le magnifique La Goulue et Valentin le Désossé dansant au Moulin-Rouge en 1885. Incomparables et aujourd’hui si précieux ses instantanés de la vie montmartroise croqués pour La Revue blanche ou L’Assiette au beurre, ses illustrations pour les ouvrages des chansons de Bruant ou pour des poèmes de Rictus et Richepin.
La star Suzanne Valadon
La star de l’exposition est sans conteste Suzanne Valadon, pour laquelle notre couple de collectionneurs semble avoir une vraie passion. Ils ont réuni et sont présentés ici, pas moins de 14 œuvres dont quelques chefs d’œuvre, dont certains furent sûrement peints ici, dans ces murs. Point d’orgue, entourés de quelques nus et portraits, L’Acrobate ou La Roue une œuvre magnifique aux accents fauves de 1916, Nu assis sur un canapé (1916) et Jeune fille au bain (1919) de la même eau.
Entourent ces deux monstres montmartrois une kyrielle d’artistes plus ou moins connus qui ont pourtant participé avec talent à édifier l’aura de la Butte. Citons Charmes Maurin et ses évocations vaporeuses de la danseuse Loïe Fuller, Henri de Groux qui nous a laissé un étonnant portrait de Verlaine,
Hermann-Paul s’est lui intéressé aux élégantes du boulevard, tout comme Louis Legrand et son Élégante à l’éventail, Louis Valtat et son évocation bruyante d’un café ou encore Charles Maurin qui, avec Prostituée en colère évoque les bordels, complément alors indissociable de la vie nocturne.
Bon nombre de ces artistes furent de ceux qui firent par leur dessins et illustrations, la renommée des artistes du cru comme Yvette Guilbert qui avait été croquée par Toulouse-Lautrec et que nous retrouvons ici avec ses mythiques gants noirs dans une magnifique huile d’Edmond Lempereur ; voire, moins connue, la Cosmopolita qu’une saisissante œuvre sur papier fait sortir à jamais de l’incognito. Cirques, baraques foraines, bals firent eux aussi naturellement partie de la vie nocturne de la Butte et des boulevards à son pied. Et enfin que serait Montmartre sans son cabaret du Lapin agile – appelé ainsi parce que son enseigne représentant un lapin sortant d’une casserole avait été peinte par A(ndré) Gill – dont un certain Georges Tiret-Bognet nous offre une saisissante vue de sa salle en 1910. Rarement une si belle évocation de la Butte nous avait été donnée dans ce lieu d’évidence fait pour elle.
Musée de Montmartre, 12/14 rue Cortot (18e).
À voir jusqu’au 19 janvier 2020
Tous les jours de 10h à 18h et de 10h à 19h en haute saison.
Site du musée : http://museedemontmartre.fr/
Accès :
Métro, ligne 12 Lamarck-Caulaincourt
Métro, ligne 2 Anvers (puis funiculaire de Montmartre)
Bus 40 (arrêt Saules-Cortot ou Montcenis-Cortot)
Catalogue :
Collection Weisman & Michel. Fin de siècle – Belle époque (1880-1916)
Editions Hazan. 224 p. 197 ill. 24,95 €