À la Conciergerie, où elle vécut ses derniers jours, nous est présentée une évocation de la perception de Marie-Antoinette, de sa disparition à nos jours. En plus de deux siècles, l’image de la « reine martyre » a peu à peu cédé la place à celle d’icône, de femme libre, héroïne moderne adulée autant par les fashionistas que par les tenants de la pop culture.
Posté le 20 novembre ➡ À voir jusqu’au 26 janvier 2020
La vie de Marie-Antoinette suit les courbes d’une sinusoïde. Dauphine touchante, reine aimée avant d’être détestée, scélérate, martyre, réhabilitée au retour de la royauté au XIXe siècle avant le temps passant, d’être aujourd’hui une icône adulée dont le mythe a très largement dépassé nos frontières.
Dès l’annonce de son futur mariage avec le dauphin Louis, la petite princesse autrichienne emballe les foules. Son arrivée en France, en 1770 à l’âge de quinze ans, accueillie par le vieux Louis XV accompagné de son benêt de petit-fils, future Louis XVI, réjouit le royaume. Reine quatre ans plus tard, elle devient vite une figure de mode, copiée par la cour, guettée par les gazettes dont le moindre de ses gestes et attitudes est commenté. Véritable « planche à images », on la « portraitise » sous toutes les coutures, dans tous les atours, avec ou sans ses enfants, une image colportée à travers toute l’Europe avec la production sérielle des gravures et autres estampes. Reine frivole dans cette cour insouciante qui va vite déchanter les prémices de la Révolution arrivant. La révolte ternit son image.
On la dit dépensière, on lui prête des amant(e)s, on lui fait dire des mots qu’elle n’a pas prononcé (« Qu’ils mangent de la brioche » aurait-elle répondu lorsqu’on l’interrogeait sur le manque de pain… Réplique inventée de toute pièce par Rousseau !), on lui prête des traîtrises qu’elle n’a jamais eues. Elle n’est plus la reine de France mais « l’Autrichienne » voire « l’autre chienne », la Ministre des colifichets, la Catin royale, la Fureur utérine ! Les pamphlets et les libelles circulent, les feuilles de chou révolutionnaires en disent tant que le peuple suit dans une détestation amplifiée par le rejet de la royauté.
Dans ce microcosme versaillais hors du monde, loin du peuple, on ne peut lui reprocher son ignorance du dehors, du monde.
Élisabeth Louise Vigée Lebrun, (1779-1788) (d’après), Marie-Antoinette en grand habit © Château de Versailles, Dist. RMN / Ph.: Christophe Fouin
Dernière lettre de Marie-Antoinette à Madame Elisabeth © Archives nationales

William Hamilton (1751-1801) Marie Antoinette quittant la Conciergerie, le 16 octobre 1793 © Coll. Musée de la Révolution française – Domaine de Vizille.

Joseph-Emmanuel van den Büssche (1837-1908) Le peintre David dessinant Marie-Antoinette conduite au supplice, 1900 © Coll. Musée de la Révolution française – Domaine de Vizille.

Der Tod Maria Antoinetta (La fin tragique de Marie Antoinette), estampe 1793 © BNF Département des estampes

Maike van Den Dries, Madebymaike, Poupée Marie-Antoinette, 2018 © Centre des Monuments nationaux

Pierre et Gilles, Marie-Antoinette : Le hameau de la Reine, 2014 © Pierre et Gilles

Ballottée entre tous, elle va, peu à peu, devenir une femme de tête, épouse modèle, mère attentive et se révéler autre que l’image qu’on en avait alors. Lors de son procès, sans réelles charges, dans un dossier vide on ira même jusqu’à faire pression sur son fils de 7 ans, enfermé au Temple sous le joug d’un gardien abruti et pervers, pour que le pauvre gamin avoue sans comprendre avoir eu des relations incestueuses avec sa mère. Puis la condamnation et la mort. Pour paraphraser Henri III devant la dépouille du duc de Guise qu’il venait de faire assassiner, Marie Antoinette est « plus grande morte que vivante ».
En la réhabilitant, Louis XVIII, son beau-frère, fit d’une martyre une légende. Cette image et cette métamorphose est le sujet de cette magnifique et très intelligente exposition présentée à la Conciergerie, l’endroit même où elle passa ses derniers jours avant d’être conduite à l’échafaud. Et là encore, l’image la suit par delà la mort. Son exécution donne lieu à des centaines de gravures et dessins représentant l’impensable : la mort d’une reine en direct et en public ! Des spectateurs tremperont même leur mouchoir dans son sang, signe d’une passion à venir…
François Flameng (1856–1923), Marie-Antoinette conduite à son exécution. Une évocation des derniers instants de la reine avec une erreur. En sortant de la Conciergerie pour être conduite place de la Révolution (aujourd’hui place de la Concorde), la charrette a tourné à gauche vers le Pont-Neuf et donc n’est passée devant l’horloge sise boulevard du Palais. © Coll. Musée de la Révolution française – Domaine de Vizille / Ph.: D.R.
Que sa vie fut romanesque à souhait, presque à la perfection, est évident, mais cette dimension réelle n’est apparue que depuis peu. Figure de proue de cette nouvelle « lecture » de sa vie, Pierre de Nolhac, ce conservateur de Versailles entre 1892 et 1919, vole déjà au secours de la famille royale traçant un autre et nouveau portrait de la reine martyre. Jetant sur cette période un regard autre que celui qui veut que l’histoire soit toujours écrite par les vainqueurs. Naturellement, inutile de préciser sa farouche détestation de la Révolution. Signalons enfin que l’on doit à Stefan Zweig en 1932, la première et sérieuse biographie de Marie-Antoinette et qui reste une référence. Depuis, de nombreuses autres biographes se sont penchés sur sa vie, preuve que le personnage fascine, même si beaucoup de ces écrits n’ont pas une vraie rigueur historique. À signaler aussi le travail sérieux, de l‘américaine Antonia Fraser qui servit de support au scénario de Sofia Coppola pour son film.
De détestée à adulée !
Le cinéma ne pouvait laisser passer une si belle histoire, mais étonnement si elle est évoquée dans quelques films dès le début du XXe siècle, c’est pour en faire un personnage effacé, transparent, falot ou, au contraire, elle se retrouve villipendée comme dans La Marseillaise de Jean Renoir qui fait de notre Révolution un événement marquant, symbolique et intouchable. Alors pourquoi ce « revival » ? Antoine de Baecque, commissaire de l’exposition, a, là dessus, sa petite idée qui replace Marie-Antoinette dans notre époque : « Sans doute parce qu’elle est devenue le symbole d’une féminité malmenée, condamnée au malheur et qui pourtant tente de s’affirmer et de se construire indépendamment du pouvoir et du monde des hommes ».
Il est effectivement intéressant, et c’est tout le sujet de cette exposition, de voir comment ce personnage historique est peu à peu devenu autre le temps passant. Princesse adulée puis reine détestée, image qu’elle a trimballé pendant pas mal de temps, elle est devenue la martyre d’une époque à la terreur dénoncée,
puis la femme a pris le dessus pour ensuite et maintenant devenir l’icône martyre, la femme symbole à qui on prête beaucoup. Son prénom est presque devenu une marque tant au travers de l’image qu’elle suscite d’une époque avec ses magnificences et son style de vie, qu’une égérie pour fashonista que notre époque met à toutes les sauces ! Et ici nous est bien rendu compte de ce glissement.
Marie-Antoinette à toutes les sauces !
En quatre sections l’exposition nous présente d’abord la reine versaillaise. Des tableaux, gravures et objets nous rappellent son goût pour la mode et la décoration en une sorte d’influenceuse avant l’heure.
Vient ensuite son attitude martyre face à la Révolution, son culte entretenu par les chevaliers servant de la monarchie pour enfin nous la présenter comme symbole d’une certaine résistance. Des toiles nous la montrent digne, les mains attachées dans la charrette qui l’emmène au martyre. Le culte commence, le fétichisme aussi. Vient enfin notre temps, son image un brin galvaudée par le Muppet Show, les mangas, des peintures (Botero), des photos (Pierre et Gilles qui transforme Zahia en reine sur fond du hameau de Versailles) ou Erwin Olaf qui, en un respect sanglant, nous la montrant tenant sa tête décapitée et saignante ! Et les nombreuses poupées dont la tête de certaines sont détachables du corps, artefact mémoriel du martyre tel le crucifix ! Sans oublier les escarpins Marie-Antoinette de Louboutin, création extravagante répondant au film de Coppola qui nous l’évoquait telle à grand renfort de frou-frou et nageant dans les pâtisseries et les macarons !
Une « Marie-Antoinette mania » s’est emparé de notre époque, de son image, de sa vie fantasmée, passée en l’espace de deux siècle d’une reine martyre à une icône planétaire et… kitschissime !
Erwin Olaf, Royal Blood Marie Antoinette † 1793, 2000 © Courtesy Rabouan Moussion et Erwin Olaf.
Conciergerie 2, boulevard du Palais, Paris 1er
Exposition visible jusqu’au 26 janvier 2020
Ouvert tous les jours de 9h30 à 18h00 (dernier accès 17h). Nocturne le mercredi jusqu’à 20h30 (dernier accès 19h45)
Métro : ligne 4, station Cité, lignes 1, 7, 11 et 14, station Châtelet
RER : ligne B et C, station Saint-Michel
En BUS : lignes 21, 24, 27, 38, 58, 81, 85, 96
Site de la Conciergerie : www.paris-conciergerie.fr/
Catalogue :
Marie-Antoinette, métamorphose d’une image
Sous la direction d’Antoine de Baecque
Editions du Patrimoine / Centre des Monuments nationaux. 216 p. 161 ill. 39 €