Il y a plus de 70 ans, Cartier-Bresson découvrait la Chine, une Chine en plein bouleversement avec l’arrivée des maoïstes au pouvoir. De ce pays alors méconnu des occidentaux, il en ramena une moisson d’images documentant ce bouleversement. Il y a retourna dix ans plus tard pour y constater la vie sous le régime de Mao. Avec de nombreux inédits la Fondation Cartier-Bresson nous plonge dans cette Chine à regarder à l’aune de ce que nous savons aujourd’hui de cette période.
Posté le 26 novembre ➡ À voir jusqu’au 2 février 2020
Gold Rush. En fin de journée, bousculades devant une banque pour acheter de l’or. Derniers jours du Kuomintang, Shanghai, 23 décembre 1948 © Fondation Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos
À une époque où la Chine était fermée, deux photographes nous ouvrirent les yeux sur ce pays à l’antipode, dans tous les sens du mot, de chez nous. Marc Riboud qui en tira un ouvrage « Les trois bannières de la Chine », fruit de plusieurs voyages dont le premier en 1957. Dix ans plus tôt, un autre grand photographe était aller voir sur place ce pays mystérieux – à l’époque même où Le Grand Timonier Mao installait son pouvoir – c’était Henri Cartier-Bresson qui a alors parfaitement documenté cette époque de transition. Ce passage entre une Chine féodale tiraillée entre les seigneurs de guerre, le conflit avec le Japon et la montée du communisme. Puis, ensuite, l’installation du pouvoir maoïste. C’est cette Chine là que nous raconte cette très intéressante exposition dans les locaux tout neufs de la Fondation Henri Cartier-Bresson, fondation chargée de montrer et promouvoir l’œuvre du grand photographe disparu en 2004.
Sa biographie nous renseigne : c’est le 25 novembre 1948 que l’agence Magnum (qu’il a co-créée avec Robert Capa, David « Chim » Seymour et George Rodgers entre autres) lui demande de partir au plus vite pour Pékin dont « la chute est imminente », reportage commandité par le magazine Life pour rendre compte « des derniers jours de Pékin » avant que débarque les troupes d’un Mao terminant sa « longue marche ». HCB part pour la Chine avec l’intention d’y rester deux semaines, il y restera… dix mois ! Là, il sera témoin de la chute de Nankin et sera bloqué à Shanghai plusieurs mois. Il part enfin quelques jours avant la proclamation de la République populaire de Chine du 1er octobre 1949.
« Pékin est merveilleux »
Tel un touriste, il arpente les rues en marge de son reportage. Il écrit à Eli son épouse le 4 décembre 48 : « Pékin est merveilleux.
À l’entrée d’une taverne, Pékin, décembre 1948 © Fondation Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos
Passé la matinée dans des tea shops où de vieux messieurs viennent s’asseoir apportant leur oiseau dans une cage et un grillon dans une petite boîte ». La ville effectivement est encore indolente, vivant au même rythme depuis la nuit des temps et Cartier-Bresson fait du… Cartier-Bresson, s’intéressant aux gens, assistant à des funérailles et photographiant les pékinois dans leur pratique quotidienne du tai-chi dans un parc. Ces dix mois nous les suivons ici pas à pas, mois après mois : Pékin d’abord, puis Shanghai, avec cette ruée vers l’or le 23 décembre 1948, image iconique, surement l’une des plus connue du photographe, montrant la foule qui se presse devant une banque pour acheter de l’or contre une monnaie qui ne vaudra plus rien.
A Shanghai peu encore touchée par la vague communiste, HCB s’intéresse aux gens qui vivent misérablement sur une nuée de sampans emmêlés. Cartier-Bresson restera là jusqu’en avril 1949, puis ira à Nankin, alors la capitale de cette Chine nationaliste. Il espère aller au-devant des troupes communistes, de rencontrer ces rouges, nouveaux hommes fort de cette Chine en mutation. Là il croise des réfugiés en déshérence. Puis les troupes de Mao arrivent enfin, accueillies avec enthousiasme par la foule. Ce long séjour va avoir deux répercussions. La première de nous entraîner dans ce pays inconnu. Des photos publiées dans de nombreux journaux et magazines tant en France – dans Paris Match qui vient d’être créé – que dans Life l’hebdomadaire américain de référence, mais aussi dans de nombreux organes internationaux. Les photos de Cartier Bresson donnent à voir non seulement le bouleversement que va connaître la Chine, mais aussi et surtout la vie quotidienne des chinois, partagée entre un monde qui s’écroule et un autre à venir plein de promesses.
L’autre aspect d’importance de ces mois passés là, c’est l’émergence d’une certaine forme de photojournalisme. Un regard moins événementiel, plus factuel et humaniste sur les à-côtés des grands événements, regardant souvent avec une certaine poésie les habitants, la rue, le quotidien avec, de plus, un souci évident du cadrage, de la lumière qui sont les éléments fondateurs d’une nouvelle
Célébrations du 9ème anniversaire de la République populaire, Pékin, 1er octobre 1958 © Fondation Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos
manière de rendre compte au plus près, de prendre le pouls du monde.
De retour en 1958
Cette plongée dans une Chine alors peu connue a aussi fait l’objet, en 1954, d’un ouvrage « D’une Chine à l’autre » ouvrage précédé d’une préface assez militante de Jean-Paul Sartre. Dix ans plus tard, pour « l’an X » de la révolution Cartier-Bresson retourne en Chine, revoir ce pays, alors fermé. Ce retour doit être « vu dans la ligne politico sociale procommuniste de Cartier-Bresson » nous renseigne les auteurs de l’indispensable catalogue qui accompagne l’exposition. Tout est différent. Tant sur place que dans l’organisation (et l’encadrement) de ces mois passés à constater les bienfaits de
la révolution. Coaché par un guide-interprète qui semble ne pas lui laisser l’espace de liberté que le photographe espérait, Cartier-Bresson devient le témoin… de ce que l’on lui permet de voir et qui, il faut le reconnaître, sert le régime. Nous sommes à la veille du « Grand bond en avant » et il n’est pas question que soit porté, hors des frontières, une autre vision que celle que le gouvernement veut donner au monde. Les images de HCB sont magnifiques, pleines d’entrain et d’allant et de son habituel engagement anthropologique, elles sont comme il sied aux images d’une certaine propagande. La Chine qui construit, qui travaille, qui apprend, qui défile… mais aussi, en faisant quelques pas de côté on y voit des enfants qui jouent, des gens émerveillés devant un poste de télévision ou rêvant devant un vélo dans une vitrine.
Si bon nombre d’images nous sont connues l’intérêt premier de cet accrochage est de nous en montrer d’autres inédites dont la lecture aujourd’hui prend un autre sens. Les temps ont passé, cette exposition et son catalogue, nous offre l’intemporel regard du grand Cartier-Bresson sur ce peuple, ces égarés d’une société qui les dépasse, avec idéalisme, craintes et peurs. Seul a changé notre regard sur ce monde et sur ceux qui, un moment, « ont cru au matin ».
Fondation Henri Cartier-Bresson 79, rue des Archives Paris 3e
La Fondation est ouverte du mardi au dimanche de 11h à 19h. (dernière entrée : 18h20). Fermée le lundi.
Métro : République, Filles du Calvaire ou Hôtel de Ville
Bus : 20, 29, 69, 67 ou 75
Site de la fondation : www.henricartierbresson.org
Catalogue
Henri Cartier-Bresson Chine 1948-1949 / 1958
Sous la direction de Michel Frizot et Ying-Lung Su
Editions Delpire. 288 p. 150 ill. 65 €