Femme libre, indépendante, visionnaire, Charlotte Perriand, architecte et designer, fut à l’origine de bons nombres de créations qui ont marquées le XXe siècle. Femme engagée, elle sera de tous les combats pour une architecture et un modèle de vie plaçant l’homme et son bien-être au centre de ses préoccupations. La Fondation Louis Vuitton lui prête ses salles pour une première et importante exposition.
Posté le 30 novembre 2019.
Exposition à visiter jusqu’au 24 février 2020.
Le Corbusier, Pierre Jeanneret, Charlotte Perriand (!), Chaise longue basculante B 306, 1928, tôle d’acier laquée, tube en acier © Courtesy of Vitra Design Museum / Adagp, Paris 2019
Charlotte Perriand sur la « Chaise longue basculante, B306 », Le Corbusier, P. Jeanneret, C. Perriand, vers 1928 © F.L.C. / ADAGP, Paris 2019 / AChP : ADAGP, Paris 2019

Charlotte Perriand. Bibliothèque de Maison de la Tunisie, 1952. © Adagp, Paris, 2019 / Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Audrey Laurans

Charlotte Perriand. Mobilier et scénographie, La galerie Steph Simon, 1956 © Adagp, Paris, 2019 / Gaston Karquel / AChP

Fernand Léger. La salle de culture physique. Le sport, 1935 © Collection Privée / Adagp, Paris, 2019 / Silvia Ros

Le Corbusier, Pierre Jeanneret, Charlotte Perriand. Fauteuil grand confort, grand modèle,1928 © F.L.C.: Adagp, Paris, 2019 / AChP : Adagp, Paris 2019

Joan Miró. Hirondelle d’amour, 1980. Paris, Mobilier National © Successió Miró / Adagp, Paris, 2019 / I.Bideau

Un temps, quelques-unes de ses créations iconiques furent attribuées à son maître et mentor Le Corbusier qui s’en était « galamment » octroyé la paternité. Aujourd’hui les choses sont remises à leur place et Charlotte Perriand (1903-1999), dont la fondation Louis Vuitton nous propose une déambulation dans son œuvre, est reconnue comme l’une des plus importantes créatrices et « designer » du XXe siècle. Si le nom de Charlotte Perriand fut longtemps « accessoirisé » à celui de Le Corbusier comme une assistante, et s’il est vrai que les femmes ont toujours eu des difficultés à s’inscrire dans la grande Histoire, le cas de Charlotte Perriand est emblématique autant que paradoxal. C’est elle qui, au sortir de l’École de l’Union centrale des arts décoratifs – où elle étudia entre 1920 et 1925 – sollicita le grand architecte suisse pour travailler à ses côtés. S’il est indéniable que Le Corbusier fut un grand architecte, sa personnalité, elle est des plus
contestables. Un homme avec l’esprit de son temps, un brin machiste, un tantinet imbu, sûr de son combat moderniste lui qui abhorre l’Art déco, le style en vogue alors, style qui signe des meubles en acajou dans des lignes très stylisées s’inspirant de la révolution cubiste. Le Corbusier se tourne plutôt vers le Bauhaus, pépinière de talents qui révolutionnent les formes, utilisant le verre, l’acier, l’aluminium, l’inox. En revanche, il ne brille pas par son empathie, il est même « dur et gougnafier », accueillant la jeune Charlotte, se présentant carton en main en 1927, d’un « Ici on ne brode pas des coussins ! ». Elle restera dix ans dans son agence, se coulant avec délice dans l’ambiance du studio. Sous la figure paternaliste du Suisse, elle est tout de
Charlotte Perriand, Noyau central de l’exposition Proposition d’une synthèse des arts, Paris 1955. Le Corbusier, Fernand Léger, Charlotte Perriand, Tokyo 1955. Reconstitution 2019, vue de l’exposition © Adagp, Paris, 2019 / Ph. : Fondation Louis Vuitton / Marc Domage
même vite promue responsable de l’équipement de l’habitation, preuve intuitive de la reconnaissance de ses dons. Là, elle créera bon nombre de meubles, aujourd’hui des classiques du genre. Le Corbusier eu pourtant du mal à lui octroyer aux yeux de tous la place qu’elle méritait, recouvrant – terme employé par Laure Adler qui signe une épatante bio de Charlotte Perriand chez Gallimard – de son nom le sien, et l’inscrivant dans l’Histoire presque comme une sous-fifre de son atelier.
Pour exemple, cette présentation en 1931 d’une étude sur l’habitat minimum titrée Ville radieuse signée par Le Corbusier. Une étude accompagnée de près de 200 plans et dessins qui furent retrouvés, non dans les archives du studio de l’architecte, mais dans celles de Charlotte Perriand ! La réédition de cette étude comportant aujourd’hui leurs deux noms. Et que dire de la paternité de cette chaise-longue appelée « LC4 », sûrement la création la plus connue de Charlotte Perriand, pensée par elle et développée au sein de l’agence de l’architecte. Lors du dépôt du brevet, nous explique Laure Adler (opus cité) les trois noms avaient été déposés par ordre d’importance de la création, à savoir : Perriand, Le Corbusier et Jeanneret. Mais Le Corbusier, sous prétexte de respecter l’ordre alphabétique mis le sien en premier et la chaise porte toujours ses initiales dans sa référence. Un exemple parmi tant d’autres ! Et aujourd’hui encore, dans le catalogue de la société qui édite cette chaise longue, le nom de Charlotte Perriand est en dernier !
Une pionnière de l’émancipation
Le temps a – en partie – remis les choses en place et la Fondation Louis Vuitton nous offre ici la preuve éclatante de l’énorme talent innovant de cette pionnière du design. Charlotte Perriand, cette « une fille solaire, radieuse, souvent téméraire dans sa vie et dans ses choix artistiques », soucieuse du progrès, œuvra dans des secteurs plutôt réservés alors aux hommes, dans une société d’hommes, dans des métiers d’hommes dont elle fut leur alter égo tant dans son comportement que dans cette affirmation de soi et de son esprit créatif. En cela, Charlotte Perriand, au-delà de l’importance de son travail sur la modernité fut aussi une pionnière de l’émancipation bousculant beaucoup de tabous tant dans sa vie professionnelle que personnelle voire intime. Très vite, dès l’âge de 24 ans, elle se fait remarquer
Charlotte Perriand, Le Corbusier, Pierre Jeanneret. Un équipement intérieur d’une habitation – Salon d’automne 1929. Reconstitution 2019, vue de l’installation Fondation Louis Vuitton © F.L.C. : Adagp, Paris, 2019 / PJ : Adagp, Paris, 2019 / Charlotte Perriand : Adagp, Paris, 2019 / Ph. : Fondation Louis Vuitton / David Bordes
par ses créations mêlant à l’acier, l’inox, le cuir, la tôle peinte. Indépendante, elle ouvre au même âge un appartement-atelier Place Saint Sulpice et présente avec succès ses créations modernistes au Salon d’Automne et à celui des Artistes décorateurs.
En 1929, elle est l’un des membres fondateurs de l’UAM (Union des Artistes modernes) avec René Herbst, Pierre Chareau et Eileen Gray, le meilleur des arts décoratifs d’alors. Et l’on peut dérouler ainsi une vie faite de créations parmi les plus importantes du siècle et de reconnaissance qui, parfois, a eu du mal à être acceptée. Elle sera aussi des combats sociaux et sociétaux, attentifs au mal logement et prônant des solutions pour un « logement ouvrier à budget populaire ». Et enfin, elle fut l’une
des premières adhérentes de l’AEAR (Association des écrivains et artistes révolutionnaire) une émanation du Parti communiste en charge de fédérer les différents courants culturels français à destination des classes populaires.
Repenser le rôle de l’art
L’exposition, dans le grand bateau de verre de Franck Gehry qui abrite la Fondation Louis Vuitton, nous présente non seulement les pièces iconiques et d’autres moins connues couvrant toute l’œuvre de Charlotte Perriand, ses créations, ses apports à l’architecture, et des reconstitutions d’ensembles. Les différentes galeries de la fondation les replacent dans le contexte artistique et intellectuelle de la société de son temps, et ouvrant le futur par leur esprit visionnaire. C’est ainsi qu’ici ses créations sont associées d’œuvres – peintures, sculptures, luminaires… – qu’elle-même avait choisies pour accompagner ses présentations en des décors comme « prêts à vivre » qui ne sont pas sans rappeler les pages des magazines de déco d’alors ou les stands des expositions auxquels du reste ces décors font références. A travers cette exposition, l’œuvre de Charlotte Perriand nous invite à repenser le rôle de l’art dans notre société : objet de délectation, il est aussi fer de lance des transformations sociétales de demain.
Vers l’industrialisation
Les étages déroulent donc un cheminement au travers de son œuvre avec des haltes ponctuant son retour vers la nature, l’amenant à travailler des formes organiques, puis l’influence du Japon découvert lors d’une invitation en 1940 qui l’appelle à repenser l’espace à vivre et l’usage de matériaux traditionnels, tels que le bambou. Elle influencera même toute une génération de designers japonais et puisera dans cette culture de nouvelles sources d’inspiration à l’image de cette Maison du thé, réalisée tardivement en 1993 dans laquelle ses créations dialoguent avec des œuvres d’artistes japonais contemporains.
Charlotte Perriand. Salle de réception, 1955 © Adagp, Paris, 2019 / AChP
On découvrira aussi son travail sur les chambres d’étudiants pour la Maison du Mexique en 1952 et celle de la Tunisie la même année. Et enfin, on la voit réfléchissant tout au long de sa vie autant sur la beauté, la nouveauté que sur l’ancrage de ses créations dans un temps visionnaire. On découvre qu’elle fut aussi de ceux qui, tels Jean Prouvé, ont poussé une réflexion très industrielle sur les matériaux et leur mise en œuvre dans des process d’industrialisation. Les dernières galeries présentent son travail en ce sens. La réflexion qu’elle développe dès 1934 au sein de l’UAM sur la préfabrication, annonce sa démarche vers une certaine modélisation à l’image de ce refuge Tonneau (1938) et ses bâtiments pour la station de ski des Arcs en Savoie pour lesquels elle conçoit des modules préfabriqués s’insérant dans une architecture laissant le meilleur à la montagne grâce à de grandes baies vitrées.
Femme libre, indépendante, visionnaire qui osait avouer alors « je me sens plus apte à construire une ville qu’à élever un enfant » – bien qu’elle deviendra mère en 1944 – a révolutionné d’évidence notre quotidien avec des idées qui ont ouvert la voie à une certain art de vivre dans un souci des plus humanistes, elle qui clamait bien haut : « «Il y a tout un monde nouveau qui nous intéresse au plus haut point, car enfin le métier d’architecture c’est travailler pour l’homme.»
Fondation Louis Vuitton, 8 avenue du Mahatma Gandhi, Paris (16e).
À voir jusqu’au 24 février 2020
Du lundi au samedi de 10h00 à 18h00
Fermeture hebdomadaire le dimanche et jours fériés.
Transports :
En métro : Ligne 1 station Les Sablons. Prendre la sortie Fondation Louis Vuitton. La Fondation se trouve à 10-15 minutes à pied de la station de métro.
En bus : Ligne 244 station Fondation Louis Vuitton desservie uniquement le week-end et les jours fériés.
Site de la fondation : http://www.fondationlouisvuitton.fr/
Catalogue
Le Monde nouveau de Charlotte Perriand
Sous la direction de Jacques Barsac et Sébastien Cherruet
Coédition Gallimard / Fondation Louis Vuitton. 396 p. plus de 500 ill. 49 €