Comme avec Picasso, on n’en a jamais terminé avec Raymond Depardon (né en 1942). Déjà à la tête d’une bibliographie conséquente – environ une bonne cinquantaine d’ouvrages et de catalogues au compteur – fruit aussi de ses très nombreuses expositions chez nous et peu partout ailleurs. Dernière facette de l’œuvre de ce grand photographe ses clichés pris pendant son service militaire, « réquisitionné pour faire ce qu’il aime » comme le dit joliment Pascal Ory dans la préface de l’ouvrage-catalogue d’une exposition présente encore pour quelques jours au Val-de-Grâce. Son « sapin » il l’a fait en 1962-63 tout juste après que nous nous soyons désengagés de la nasse algérienne.
Mais le jeune Depardon – il avait 20 ans à l’époque – n’a pas commencé sous les drapeaux sa carrière de photographe. Le virus l’a pris jeune comme il nous l’a raconté dans son ouvrage La Ferme du Garet (Éditions Carré 1995 réédition Actes Sud 2006). Il est à peine âgé d’une dizaine d’année lorsque son père lui offre un petit appareil Lumière et de suite, il se passionne pour l’image, photographiant, dans la ferme familiale, chats, vaches, chevaux et les travaux des champs. Poursuivant sa passion il avait même bricolé un petit labo dans un grenier. Il n’en fallait guère au jeune Raymond pour qu’il se sente photographe.
D’abord apprenti dans une boutique de Villefranche-sur-Saône, il « monte » à Paris et fonde avec un certain Louis Delmas une agence de photo. Puis, alors âgé d’à peine 17 ans, il part pour le Sahara suivre l’expédition SOS Sahara et enchaine bon nombre de reportages dont la construction du mur de Berlin ! À son retour ses photos sont publiées par France-Soir et Match ! La suite nous est connue.
« Prenez des instantanés et non des cartes postales ! »
Le service militaire le cueille en mars 1962 et vu ses antécédents, il est affecté au service photographique et cinématographique des armées (ECPAD). Là, la consigne est claire « Prenez des instantanés et non des cartes postales ! » et ses photos feront les belles pages de TAM (Terre Air Mer) le magazine institutionnel de l’armée. Il va, pendant un an, prendre deux mille clichés au cours d’une cinquantaine de reportages sur les activités d’une armée redevenue sereine. Exercices, entraînements, reportages institutionnels, bref tout ce qu’un service photo d’une administration demande à ses « employés ».
Sous l’œil et le Rollei de Depardon la consigne se traduit, comme le dit joliment Pascal Ory en « des corps bondissants, des parachutes en corolle, des escalades enneigées, comme s’il avait traduit la commande en termes de sports et de loisirs ». Sur terre, dans les airs, en montagne, sur mer on sent qu’il sort souvent du cadre (c’est aussi sûrement le choix des commissaires de l’exposition et de l’ouvrage) pour nous montrer souvent plus les hommes que l’institution. Des témoignages d’amitiés de la population, des soldats au repos, d’autres jouant aux cartes, des portraits complices voire amusants comme cette poignée d’officiers tous montés sur des tabourets observant un exercice, ou ce char qui, lors d’une manœuvre, se range sur le bas côté afin de laisser passer un troupeau de moutons.
Des images redécouvertes
Il est certain que nombre des clichés sélectionnés ici restèrent à l’état de planches-contacts n’étant pas de ceux qui servirent l’armée. Mais ils donnent à voir le photographe prendre le pas sur le soldat, l’homme sur le militaire.
Oubliés, et surtout peu considérés, ces clichés dormaient dans les archives de l’ECPAD au milieu des 12 millions de clichés conservés au Fort d’Ivry. C’est le documentariste Laurent Roth qui tombe dessus, en 1986, alors qu’il faisait des recherches en vue d’un documentaire commandé par l’armée. Depardon, lui, les redécouvre en visionnant ce documentaire dans lequel certains de ses clichés sont montrés.
Il n’en fallait pas plus – le nom de Depardon est magique – pour qu’une exposition soit montée avec ces images dont la plupart sont inédites. Et donc qu’un catalogue la complète avec des textes qui ratissent large autour du thème. En plus de nous raconter les années Depardon sous les drapeaux, il aborde aussi l’histoire du magazine TAM, de la politique de communication de la « grande muette » et pendant qu’on y est un paragraphe est consacré au service appelé alors militaire. Dans la foulée, Labro et Séguéla viennent nous parler de leur passage dans l’armée et enfin, Depardon lui-même y va de sa contribution en jetant un regard sur sa jeunesse.
Un ouvrage qui complète notre regard sur l’œuvre de Depardon et vient apporter une pierre de plus à la liste déjà impressionnante de la bibliographie de l’un des plus importants photographes de notre temps.
Raymond Depardon, photographe militaire 1962/1963
Préface de Pascal Ory
Coédition Gallimard / Ministère des armées. 208p. 230 ill. 35 €