Sur Léonard de Vinci, deux travaux d’importance ont été faits. Celui de Daniel Arasse et maintes fois réédité (Éditions Hazan) et celui-ci, dû à Serge Bramly, une biographie importante, étoffée, fouillée, capitale (parue une première fois en 1988) dont on nous présente aujourd‘hui une réédition fortement revue et corrigée avec des addenda prenant en compte les dernières découvertes faites sur le génie florentin. Et pour cause, depuis la première édition beaucoup d’eau a coulé sous le Ponte Vecchio et les connaissances sur Vinci ont progressé.
Et enfin, il est intéressant d’avoir un regard contemporain sur celui qui est mondialement considéré comme le plus grand génie de tous les temps. Si on ne connaît en définitive que peu de choses sur l’homme, avec l’ouvrage de Serge Bramly on peut avancer sans coup férir que maintenant on connaît tout ce qui est possible sur lui.
L’intérêt premier de l’ouvrage c’est qu’il approche au plus près l’homme et son temps, les sociétés dans lesquelles il évolue, les étapes de son parcours, les personnes côtoyées et la manière dont il se coule dans son époque. On y découvre comment il va, à force de curiosité, d’intelligence et d’entregent acquérir son immense savoir, développer des solutions inédites aux choses, réfléchir là où personne ne s’aventurait et savoir faire siennes les opportunités. Et pourtant rien n’était joué d’entrée.
Né des amours ancillaires d’un père notaire et ambassadeur peu présent et d’une douce mère, paysanne, restée dans sa famille, le jeune Léonard est tiraillé entre Vinci où réside son père et Anchiano là où habite sa mère. Il y a aussi des oncles, tantes, parrains, marraines… Bref une famille présente. Doué pour le dessin son père le met en apprentissage chez Andrea del Verrochio qui tient un important atelier à Florence au service de Laurent de Médicis. Là, le jeune Léonard a pour condisciple un certain Botticelli. Il y apprend les rudiments techniques de la peinture, de la sculpture et même de l’architecture. Mais son esprit galope déjà ailleurs.
Serge Bramly, d’entrée nous offre un portrait physique de Léonard, dont on ne connaît vraiment que cette épure le représentant barbu et blanchi sous le harnais alors que sous la plume de l’auteur on y apprend qu’en fait il aurait été beau, qu’il portait bien et qu’il serait peut-être peint jeune dans certaines œuvres.
Au bout de quelques années, il ouvre à Florence son propre atelier, répond à quelques commandes, part pour Milan se mettre au service des Sforza pour lesquels il ordonne des fêtes, invente des machines de spectacle, met son grain de sel au dôme de la cathédrale si tant est qu’il devient une sorte d’ingénieur s’intéressant à tout, de l’urbanisme, à l’anatomie, au vol des oiseaux comme à la navigation fluviale ! Sans pour autant abandonner la peinture, domaine dans lequel il a acquis une grande renommée qui a traversé les siècles et qui reste aujourd’hui ce qui le signe le mieux. Cet art serait en somme la concrétisation de ses recherches dans tous les domaines.
Après moult péripéties, contées ici dans le détail, et toujours à la recherche d’un mécène il se met une première fois au service de Louis XII le roi de France qui conquis le milanais. Les Français chassés, il retourne à Florence et part, en 1515, pour la France emportant avec lui ses fameux carnets et trois tableaux dont La Joconde. Accueilli par François Ier il est nommé « premier peintre du roi », et installé à Amboise, au manoir de Cloux (aujourd’hui Clos Lucé), c’est là qu’il décède en 1519.
Non seulement Serge Bramly nous évoque le peintre, l’homme de science, mais aussi l’opportuniste, à une époque dans laquelle bien se placer était gage de réussite et de subsistance, et nous fait découvrir tous les à-côtés de l’homme, son caractère ombrageux osant critiquer Michel-Ange (faillait oser !), ses nombreux procès contre lui et par lui attentés pour retard, non paiements, non exécutions et son caractère que l’on suppose bien trempé… Des touches qui rendent cette biographie palpitante à lire, permettant une étonnante incarnation de celui qu’on ne connaît qu’à peine. On ne peut que saluer ici la somme incroyable de recherches, lectures, consultations et autres, fruit de la fouille dans de nombreuses archives, afin de les recouper et de tenter de cerner au plus près cet homme étonnant et son époque avec ses mœurs et coutumes. Un homme qui semble n’avoir son équivalent dans le temps.
Alors que l’œuvre peint et dessiné triomphe au Louvre, il est temps de se pencher plus en avant sur l’homme. Ce qui est fait ici dans une langue claire, laissant place autant à l’anecdote qu’à l’analyse et complété par une chronologie très fouillée et un copieux index des noms cités. La biographie définitive et de référence, traduite dans de nombreuses langues est enrichie de nombreuses illustrations in-texte. Que demander de plus ?
Léonard de Vinci, une biographie par Serge Bramly
Editions Lattès. 630 p. 24. €