Il est intéressant, voire passionnant, d’étudier les rapports entre peinture et photographie. Non pas dans leur état actuel où ils ont, depuis longtemps déjà, leur existence propre, avec toutefois quelques passerelles entre eux, mais à l’aube de l’existence de ce nouveau média que fut la photographe en une époque de la peinture triomphante. Nous assistons d’entrée, dès la naissance de la photographie, aux alentours des années 30 du XIXe siècle, à un pas de deux du « je t’aime, moi non plus ». C’est le sujet superbement traité par Dominique de Font-Réaulx dans ce passionnant ouvrage qui tient autant de l’encyclopédie que de l’essai.
L’auteur nous décrypte les tenants, aboutissants et autres enjeux de cette rencontre dès le deuxième tiers du XIXe siècle. La peinture, art impérial, tenait alors le haut du pavé avec ses classifications où la nature morte et le portrait étaient moins prisés que la peinture d’histoire, cette peinture avec ses Salons, commandes et surtout sans rivale ! Elle vit d’un sale œil l’arrivée de ce petit frère que lui amenait science, progrès et une approche de la réalité alors jamais atteinte. Fustigée, la photo n’en avait pas moins ses adorateurs émerveillés, et certains peintres eux-mêmes – dans la quiétude de leur atelier – utilisèrent sa capacité à figer une scène ou un mouvement qu’ensuite ils pouvaient à loisir travailler sur leur chevalet. Degas ou Delacroix se firent les chantes de cette technique nouvelle – pas encore reconnue comme art – qu’ils utilisèrent sans s’en cacher du reste.
Dès 1857, Théophile Gautier résumait ainsi l’esprit de l’époque face à cette révolution : « La photographie accueillie d’abord avec enthousiasme a soulevé, comme toute invention, une multitude de critiques. Des esprits, bien intentionnés sans doute, ont voulu voir dans cette découverte un péril pour l’art ; ils ont craint que la main humaine devînt inhabile, sachant qu’une machine serait là travaillant pour elle… Tout ce que touche l’homme reçoit son empreinte ; l’âme y est visible par quelques rayons… ».
C’est là le prologue à l’ouvrage qui, en plus d’un indispensable point historique, dissèque les genres dans leur acceptation artistique, du paysage au portrait en passant par la nature morte ou la scène de genre quand les photographes – reprenant un des thèmes majeurs de la peinture – élaborent de façon narrative, des tableaux vivants mettant en scène le quotidien, l’Histoire ou l’anecdote voire des tableaux d’un Orient fantasmé très en vogue alors.
Et naturellement le nu, qui bien souvent sous le couvert « d’études ou d’académies » permettait de transgresser la morale, ce qui n’échappa pas à Émile Bernard, alors inspecteur d’académie, qui écrivait à la fin du XIXe siècle – preuve que le genre n’était pas encore accepté plus de 60 ans après l’annonce de la découverte de la photo par Arago en 1839 – « Le nu qui est le fond nécessaire des arts du dessin, de la sculpture et de la peinture, serait, en photographie inavouable ». Il est vrai que la frontière entre étude académique et érotisme est des plus floues et même carrément inexistante à l’image de ces nus représentés en peinture et qui, sous couvert de représentations mythologiques ou autre servaient avant tout à « se rincer l’œil » ! Si la peinture permettait encore une certaine distanciation, la photographie avec son réalisme cru ne pouvait que choquer les tenants (souvent seulement qu’affichée) d’une certaine morale. Et en ces temps les tribunaux n’hésitaient pas à condamner durement photographes et revendeurs de ces images que la morale réprouvait. Le réalisme photographique – et sa kyrielle d’images carrément pornographiques – ne laissaient planer aucun doute sur leur destination.
Dû à Dominique de Font-Réaulx, conservatrice générale au musée du Louvre, cet ouvrage complet – ici dans une réédition mise à jour – est une somme de référence sur ce thème rarement étudié, qui l’est ici avec une grande acuité et illustré, comme il se doit, de très nombreux exemples.
Peinture & photographie, Les enjeux d’une rencontre, 1839-1914 par Dominique de Font-Réaulx.
Editions Flammarion. 336 p. 180 ill. 25 €.