On sait combien les musées, centres d’art, galeries et expositions ont souffert de ce confinement. A tel point que si certaines expositions ont été fermées pour rouvrir depuis le déconfinement, d’autres, en revanche, sont carrément passées à la trappe pour des causes diverses (laisser la place pour l’exposition suivante, prêts terminés, assurances, etc.). C’est le cas de cette intéressante et prometteuse exposition sur la peinture en plein air qui devait avoir lieu ce printemps au Musée des Impressionnismes à Giverny.
En plus de nous priver d’une virée dans cette charmante bourgade qui, rappelons-le, séduisit le grand Monet au point de faire de sa propriété le sujet quasi exclusif de ses dernières années, cette exposition, au vu de ce catalogue – seule trace qu’il en reste – nous permettait une plongée dans la peinture de paysage de la fin du XVIIIe au XIXe siècle. Un sujet un peu bateau direz-vous, et bien détrompons-nous ! Car à « petit » musée (rien naturellement de péjoratif dans ce qualificatif, mais à entendre simplement par là plus petite collection et plus petit budget), la mission est plus ardue et demande une plus grande volonté d’exigence. Cette exigence qui oblige les commissaires et conservateurs à faire preuve d’idées, de recherches, d’études pour pallier aux évidences qui leur sont imposées mais souvent difficilement réalisables. Le sous-titre de l’exposition, alléchant naturellement, borne le sujet : de Corot à Monet mais va bien au-delà !
Peindre au cœur de la nature
La peinture en plein air, sur le « motif » est l’une des caractéristiques de l’Impressionnisme qui non seulement – rappelons que ses initiateurs sont des « jeunots » ayant pour la plupart dans la vingtaine – veut s’affranchir du classicisme, de la peinture d’atelier. Pour faire leur « révolution », celle-ci passe tout d’abord par s’affranchir de l’atelier. « …en s’extrayant de ses murs pour prendre pied au cœur de la nature » dixit Vincent Pomarède, conservateur au Musée du Louvre. L’époque, très bien décrite par Maupassant, est celle où l’on découvre la campagne, les sorties en yole sur la Seine, et les impressionnistes ne sont pas en reste, envahissant cette banlieue encore verte aux abords de Paris, poussant, grâce au chemin de fer naissant, jusqu’aux bords de mer, ils exaltent cette nature en une liberté autant physique que picturale. D’où le bien-fondé de cette exposition.
C’est dans les détails que se niche non le diable mais plutôt l’âme de cette exposition, puisque qu‘elle nous permet de (re)découvrir certains de ces maîtres du XIXe siècle peu, sinon pas, souvent vus car considérés comme petits. Naturellement rien de dépréciatif le terme de « petit », bien au contraire. Car si effectivement on retrouve dans les pages de ce catalogue les attendus Corot, Monet, Boudin et autre Bazille, l’exposition regorge de noms qui font tout l’intérêt de cette exposition… ou plus exactement de son catalogue maintenant.
Le paysage : l’ADN de l’impressionnisme
Chapitré de façon chronologique de la fin du XVIIIe siècle, à l’époque où le « grand tour » était de rigueur à tout impétrants peintre, on y découvre donc quelques œuvres romaines de Corot mais aussi de Valenciennes, Michalon, Coignet, du aixois Granet comme du Bayonnais Bonnat. Mettant l’accent sur cette révolution qui touche non seulement la France mais aussi l’Europe, des sections sont consacrées, l’une à la grande Albion avec les signatures des incontournables Turner et Constable, l’autre à l’Italie avec les macchiaioli Abbati et Fattori.
La suite explore les contreforts de l’Impressionnisme avec le paysage français de Corot à Courbet abordant donc les œuvres de quelques barbizonniens comme Daubigny, Rousseau (Théodore pas le Douanier), avant d’entrée dans le vif du sujet : l’Impressionnisme. Sa naissance d’abord avec le néerlandais Jongkind, l’italien De Nittis, Boudin naturellement représenté à sa juste importance avec 11 œuvres. Suivent Monet, Manet, Degas, Renoir, Sisley représentés symboliquement avec chacun une œuvre. Texte explicatif, études, témoignages, documents et notices… Bref, tout cela complète l’ouvrage, offrant un bel aperçu de cette idée de nature dont Philippe Piguet commissaire de l’exposition tient à souligner que l’intérêt premier des Impressionnistes « réside dans une peinture qui représente la vie… et que le paysage représente l’ADN de l’impressionnisme. ». Une très belle approche du sujet par des chemins de traverse.
Plein air. De Corot à Monet
Édition publiée sous la direction de Marina Ferretti Bocquillon
Coédition Gallimard / Musée des impressionnismes Giverny. 224 p. 130 ill. 29 €