Il est rare que l’on se penche sur la vie de grands photographes sauf à publier des ouvrages de leurs œuvres. Seuls quelques-uns, souvent de « grands classiques » comme Brassaï, Doisneau, Capa ou Cartier-Bresson, ont droit à cette marque d’intérêt. Il faut donc souligner la sortie de cet ouvrage consacré au grand Helmut Newton (1920-2004). Ce photographe de la jet set et des « peoples » a très (trop ?) souvent été regardé à l’aune de ses photos qui se balancent entre un érotisme teinté quelquefois de voyeurisme et d’une goutte de sadisme, de ses photos de femmes – souvent fatales – trimballant leur désinvolture dans des palaces, sur la Côte d’Azur ou la Californie chère à Hockney. Voire une satire de ce monde de richesse et de luxure par trop parfait.
Des images qui souvent se veulent d’une belle eau glamoureuse, mais qui, avec l’emploi d’une prothèse, d’un casque, d’une minerve, de béquilles, de bandages voir dans des poses ou des scènes d’une étrange cruauté sont quelquefois d’une extrême morbidité. Des femmes désirables, froides, puissantes comme soumises. Même ses portraits de personnalités sortent du cadre, partie émergée de l’iceberg Newton. Le décryptage était nécessaire. C’est fait ici.
Mais à bien y regarder tout n’est pas aussi luxuriant. C’est là tout l’intérêt de cet ouvrage qui lève de nombreux voiles sur les vrais buts conscients (ou non) de l’art de cet immense photographe qui révolutionna, tout comme Bettina Rheims, notre perception de ce mystère féminin et des lucidités cachées de notre société. Il était bon de mettre tout ça à la lumière.
Une autre image…
Car Newton, qui semble avoir eu une vie paradisiaque faite de soleil, de riches demeures et de nuits festives, fut au début de sa vie un de ces juifs berlinois qui, par miracle, échappa à la fureur nazie. Passage sombre de sa jeune existence dont il refusa toujours de parler. L’auteure, Dominique Baqué, historienne, critique d’art et maître de conférence – il est bon ici de rappeler ses titres, ils donnent à l’ouvrage tout son appui et son aspect documenté alors que de parler de Newton pourrait l’être à l’aune d’un glacis superficiel que pourrait laisser supposer la couverture de l’ouvrage – analyse et décortique l’art de Newton selon certaines de ses plaies : «Et c’est précisément à l’aune de cette judéité, jamais revendiquée comme telle mais douloureuse, qu’est réexaminé le corpus newtonien : en témoignent ces corps de femmes puissantes qui s’avèrent la réplique du corps aryen glorifié par le nazisme, le fétichisme des uniformes, du cuir et des casques, la présence obsédante des chiens… ». Glorifier pour mieux désamorcer une beauté trompeuse et pervers ?
Un ouvrage essentiel sur l’un des photographes les plus importants de son temps émaillé de reproductions de ses très nombreuses icônes photographiques.
Helmut Newton. Magnifier le désastre
Editions Du regard. 280 p. 150 ill. 29 €