Il est toujours étrange de vouloir comparer un artiste à un autre ou voire, comme ici, à plusieurs au fait que l’un, Cézanne le maître aixois à qui l’on doit d’avoir ouvert le XXe siècle au modernisme, aurait profité de sa proximité avec l’Italie pour s’inspirer des peintres italiens du XVIe au XXe siècle. Oui l’idée est pour le moins étrange et, si on était mauvaise langue, on avancerait que c’est plus une idée marketing que réellement du domaine de l’histoire de l’art. Et sur les cimaises du musée Marmottan qui nous a accroché tout ce petit monde, l’ensemble est des plus surprenant.
Pour vraiment s’y retrouver, à part jouer au jeu des 7 ressemblances, le catalogue devient ici plus qu’indispensable pour démêler tout ça, permettant surtout d’avancer et de justifier la présentation par tout un argumentaire autre que plastique.
Cézanne a, tout au long de sa carrière de peintre, tel Monet, développé des séries dont son iconique Montagne Sainte Victoire – on en compte pas moins de 22 sur toile s’étendant entre 1885 et 1905 et de nombreuses aquarelles – sa carrière de Bibémus, ses vues de l’Estaque, ce village (à l’époque) aux portes de Marseille et ses baigneuses qui trouvent effectivement écho dans des paysages ou des scènes de genre voire des illustrations de la Bible ou de la mythologie, à chercher chez d’autres peintres. Mais ce n’est pas en posant côte à côte La Montagne Sainte-Victoire et la silhouette des monts Albains que Francisque (Jean-François) Millet place dans son Paysage classique que l’on dénoue avec un simple regard les liens qui pourraient peut-être (ou sûrement) y avoir entre eux. Tout comme d’avancer que « les nymphes du Paysage de Bacchus et Cérès et les figures du Moïse sauvé des eaux (tous deux de Poussin) préfigureraient les baigneuses sans que celles-ci ne les copient jamais » avancent les commissaires Marianne Mathieu et Alain Tapié. Et pour cause… Le catalogue lève le voile.
Un indispensable compagnon de visite
Mais revenons au catalogue. Lui, prend son temps pour nous décortiquer à loisir tout ça et de se pencher plus en avant sur les liens organiques, influenceurs entre Cézanne et ses anciens. Comme de rapprocher non d’une manière plastique tous ces artistes mais plutôt de tenter de comprendre comment un paysage, une lumière, une organisation et « la recherche et l’expérience de la nature dans l’art vers l’art de la nature » écrit Alain Tapié pourraient expliciter la chose. Grâce à cela et à d’autres contributions, le catalogue nous donne à comprendre la véritable intention des commissaires, intention que ne laisse pas souvent entrevoir la simple visite. À moins d’être un érudit en la chose. Les visites de Cézanne comme copieur au Louvre, sa découverte du sensualisme vénitien lié aux « grands nus puissants et sereins » du Titien trouvent, par exemple, le véritable sens dans une approche de ses baigneuses. Tout comme sa découverte du baroque et du romantisme peut effectivement se comprendre entre un aller et retour des anciens vers lui, le moderne. Ici les exemples abondent et le regard de Cézanne vers le passé et son ouverture vers le siècle à venir deviennent plus limpide.
De nombreuses contributions émaillent le catalogue ainsi qu’une longue biographie de Cézanne, et de chaque peintre ici convié avec le peintre aixois, qui complètent l’ouvrage. Comme souvent, et peut-être plus ici, le catalogue reste l’indispensable compagnon d’une visite « intelligente » permettant une nouvelle fois une approche plus en profondeur de la simple visite, qui passe alors de la déambulation à la compréhension.
Cézanne et les maîtres. Rêve d’Italie
Sous la direction d’Alain Tapié
Editions Hazan. 239 p. 180 ill. 29,95 €