Si vous avez une appétence pour la haute bibliophilie, cet ouvrage est un régal, si cette trop méconnue passion vous est étrangère mais que vous êtes un brin curieux, il s’agit ici d’une merveilleuse porte d’entrée dans ce monde feutré. Un monde, une passion plutôt, qui prend non seulement le livre comme œuvre de l’esprit mais aussi et surtout en tant qu’objet précieux, écrins pour grands textes que sont les éditions souvent originales, imprimés sur « grand papier » et truffés d’envois, de manuscrits, de gravures et reliés par les plus grands noms de cet autre art rare, qu’est la reliure.
Mais il n’est pas ici question que de ces attraits bibliophiliques et c’est là tout l’intérêt de cet ouvrage qui se penche sur l’histoire de ce mariage entre texte et illustration. Un très intéressant mariage qui nous est présenté par thèmes chronologiques et nous entraîne dans les méandres de ces créations en prenant appui sur ceux qui, les premiers, dans leur époque, leur école ou manière mêlèrent au texte leur vision graphique. Il s’agit donc plus qu’un répertoire puisqu’ici nous est livrée une véritable histoire de ce partenariat qui donna au texte une fenêtre sur un autre imaginaire : l’illustration. Et, à l’arrivée, ce mariage se révèle souvent si parfait, si pertinent, si évident que l’écrit sublime l’image et vice-versa.
De Delacroix aux surréalistes, on survole donc un bon siècle, si propice à beaucoup de grands auteurs et si fécond dans ses révélations artistiques que sont le romantisme, le symbolisme, l’impressionnisme, le postimpressionnisme, les nabis jusqu’aux avant-gardes du siècle : dadaïsme, cubisme et surréalisme. Aux côtés d’écrivains comme Gautier, Nerval, Baudelaire, Mallarmé, Zola, Apollinaire, Cendrars, Jacob, Reverdy Éluard, Céline ou Tanguy, sont convoqués Delacroix, Corot, Courbet, Daumier, Manet, Cézanne, Gauguin, Kandinsky, les Delaunay, Gris, l’incontournable Picasso, Tanguy, Dalí les uns éclairant les autres. Au travers d’anecdotes et d’histoires, nous pénétrons au cœur du processus de création de ces ouvrages, côtoyons les auteurs et les artistes qui se donnent la réplique par gravures, estampes et autres pour une finalité d’exception souvent.
Quelques chapitres annexes viennent situer le débat nous racontant l’émergence du livre illustré, l’attrait qu’eurent certains ouvrages sur les peintres, la position des critiques et des artistes ou encore une tentative de définition du « livre d’artiste », complètent cet ouvrage dans lequel la curiosité comme l’érudition nous permettent un palpitant voyage dans un genre qui vit son apogée alors et qui, aujourd’hui, heureusement, perdure mais d’une manière beaucoup plus confidentielle. Une belle somme, une exploration vivante et très documentée par un neurologue bibliophile et passionné.
De Delacroix aux surréalistes. Un siècle de livres par Julien Bogousslavsky
Editions Ides et Calendes. 364 p. 320 ill. 45