Photographe ayant parcouru le monde, Patrick Zachmann se met, il y a deux décennies, en quête de son identité sur laquelle il ne s’était jamais interrogé. Partant des communautés juives d’Europe et d’Afrique du Nord, il va dans ce voyage mémoriel revenir vers sa communauté proche en un voyage concentrique vers son point de départ. Documentant la communauté juive de France, il nous en trace un portrait tendre, touchant et quelquefois gentiment cocasse.
Exposition Patrick Zachmann, voyage de mémoire, au musée d’art et d’histoire du Judaïsme, jusqu’au 6 mars 2022.
Posté le 29 janvier 2022
Salle Gaveau, Paris, 16 mars 1981 © Patrick Zachmann / mahJ
Soirée privée, Paris, 1981 © Patrick Zachmann / Magnum Photos

Monsieur et Madame Friedmann, Paris, 1981 © Patrick Zachmann / Magnum Photos

Parc des Buttes-Chaumont, 1983 À droite, Jacques et Hélène Grabstock © Patrick Zachmann / Magnum Photos

Prière, rue des Rosiers, Paris, 1979 © Patrick Zachmann / Magnum Photos

Rue Saulnier, Paris, 1979 © Patrick Zachmann / Magnum Photos

Une photographie de ma mère datant des années 1940 Nice, 2011 © Patrick Zachmann / Magnum Photos

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Pendant deux décennies, Patrick Zackmann (né en 1955), photographe, est parti à la recherche de lui-même. De ses racines plus exactement. Ce juif de naissance, ignorant tout de sa culture, de la religion de sa communauté eu soudain une interrogation. Qu’est exactement cette identité cachée au fond de lui et sur laquelle il ne s’était apparemment jamais penché ? « Je ne savais encore rien sur l’histoire de ma famille, ni sur le judaïsme… Je m’accrochais alors à une certitude : tout cela ne me concernait pas. À mes yeux, les juifs, c’étaient eux, pas moi ! » justifie-t-il cette ignorance.
De plus il est vrai que souvent les familles taisent leur parcours, d’autant quand celui-ci fut marqué par un drame comme la Shoah du côté de son père et d’une certaine misère du côté de sa mère, juive d’Algérie. C’est ainsi que les familles tentent quelque fois d’oublier leur passé pour construire leur futur. « C‘est cette double amnésie que le photographe va tenter de réparer dans un long processus de reconstruction mémoriel » note Paul Salmona, directeur du mahJ, dans la préface du catalogue. Et puis il y a la vie, son maelström qui nous entraîne loin de ces considérations que longtemps on délaisse au profit du quotidien. Et la vie de Patrick Zackmann fut tellement prenante, palpitante, pleine de découvertes, d’interrogations, de rencontres qu’il s’était un peu laissé sur le bord de son chemin identitaire. Et un jour, il se retourne sur les siens et nous entraîne ici, sur les traces de cette communauté qu’il nous offre à découvrir avec lui dans cette touchante exposition.
Mais avant cela, tenté par ce métier qui fait toujours un peu rêver, il va parcourir la planète comme témoin de certains grands bouleversements du monde. Entre autres en Afrique du Sud en 1990 pour la libération de Nelson Mandela, où il assiste à une manifestation de partisans de l’Apartheid, avec croix gammées et chemises brunes. Il parcourt le Chili en 1999 à la recherche des traces des camps de prisonniers politiques dans le désert d’Atacama. Du Rwanda en 2000, six ans après le génocide des Tutsis, il rapporte des portraits de survivants et des images d’ossuaires qui évoquent implacablement l’ampleur du crime de masse.
Ce génocide en rappelle forcément un autre, d’une autre ampleur qui fait remonter ses racines et il entreprend l’émouvant voyage d’Auschwitz-Birkenau, où furent assassinés ses grands-parents paternels. Il en revient bouleversé comme tous ceux qui firent ce voyage souvent comme un pèlerinage non avoué.
Un voyage concentrique
Dès lors, pour tenter de cerner sa propre judéité, il entreprend une quête concentrique qui le pousse à revenir aux siens comme dans un appel communautaire. Ce sera d’abord ces fêtes si joyeuses de pèlerins juifs orthodoxes sur les tombes des fondateurs de l’hassidisme en Pologne et en Ukraine, patrie de ses ancêtres paternels. Puis, il s’élance en Afrique du nord sur les traces de ses origines maternelles « pour retrouver les traces de ce judaïsme d’Afrique du Nord présent depuis des temps immémoriaux, et qui constitue aujourd’hui au Maghreb un « monde disparu » ». Il sera aussi le témoin du premier
Cimetière de Bagneux, 1981 © Patrick Zachmann / Magnum Photos
rassemblement de survivants de la Shoah à Jérusalem en 1981.
Ces voyages concentriques vont le ramener à se pencher sur la communauté juive de France et de revenir à son point de part en documentant la vie de la rue des Rosiers aux Buttes-Chaumont, des plus orthodoxes aux plus laïques, de la communauté loubavitch aux grossistes du Sentier, des derniers typographes communistes du quotidien yiddish Naye Prese aux juifs les plus « invisibles ».
« Je voulais photographier toutes sortes de juifs, des ashkénazes, des séfarades, des religieux, des non croyants, des communautaristes, des électrons libres, des intellectuels, des artistes, des ouvriers, des commerçants, des intelligents, des stupides, des riches, des pauvres… Je voulais déconstruire certains clichés et dresser un portrait subjectif des juifs de France qui les montrerait dans leur diversité et, finalement, dans leurs identités multiples. »
Mémorial de Yad Vashem, Jérusalem, 1981 © Patrick Zachmann / Magnum Photos
Ce sont ces « voyages de mémoire » qui nous sont exposés ici dans cette première grande exposition (300 œuvres et un film) que le musée d’art et d’histoire du Judaïsme consacre à un photographe vivant. Cette quête d’identité nous offre un saisissant portrait de sa communauté, à la fois tendre, par moment gentiment cocasse, mais aussi assez distancié pour ne pas être hagiographique mais tenter de révéler un visage le plus juste possible d’une communauté qui, souvent, nourrit tant de faux fantasmes.
Et Patrick Zachmann de conclure : « Je suis devenu photographe parce que je n’ai pas de mémoire. La photographie m’a permis de reconstituer les albums de famille que je n’ai jamais eus, les images manquantes devenant le moteur de ma recherche. Les planches-contacts sont mon journal intime. ».
Patrick Zachmann. Voyages de mémoire
Musée d’art et d’histoire du Judaïsme. 71, rue du Temple (3e)
À voir jusqu’au 6 mars 2022
Du mardi au vendredi : 11 h à 18 h et les samedi et dimanche : 10 h à 18 h
Métro : Rambuteau (lignes 1 et 11), Hôtel de Ville (lignes 1 et 11).
Bus : 29, 38, 47, 75
RER : Châtelet-Les Halles
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Patrick Zachmann. Voyages de mémoire
Éditions mahJ/Atelier EXB. 224 pages. 190 ill. 39 €