Charles Camoin le méditerranéen, fauve parmi les fauves au début du XXème siècle, peintre de la douceur du Midi, garda aussi toute sa vie des attaches avec la butte Montmartre, lieu de ses premières amours artistiques. Depuis plus de quarante ans, absents des cimaises parisiennes, il fait un retour en couleurs et liberté dans une belle exposition que lui consacre le Musée de Montmartre. Ami de Matisse et de Marquet, il reste un peintre encore trop injustement méconnu, à découvrir ou à retrouver dans ce lieu qui fut, en son temps un phalanstère pour artistes.
Exposition « Charles Camoin, un fauve en liberté » au Musée de Montmartre, jusqu’au 11 septembre 2022
Posté le 29 mars 2022
Vue in situ de l’exposition. De gauche à droite : Port de Toulon à la barrière de 1904-1905; Port de Marseille Notre-Dame-de-la-Garde à travers les mâts, 1904-1905 et Vieux-Port aux charrettes, 1906 © Coll. Pierre Bastid / Musée d’Art moderne André Malraux, le Havre / Coll. part. courtesy gal. Fleury / ADAGP Paris 2022 / Ph.: D.R.
À regarder le catalogue des œuvres de Charles Camoin (1879-1965) dressé par sa biographe Danièle Giraudy (Camoin, Édition La Savoisienne, 1972, épuisé), on note que la grande partie de son œuvre a été effectué sur les bords de la Méditerranée, à Saint-Tropez, Cassis, Collioure, Marseille et dans bon nombre de villages de l’arrière-pays. Donc associer Camoin à Montmartre est avant tout de replacer un lieu qui, dans son œuvre, est également d’importance. Et saluons l’initiative de nous permettre de (re)voir tableaux et dessins de ce peintre, fauve bon teint, très peu exposé et qui mériterait, comme ses amis Matisse, Marquet et Manguin, un peu plus de visibilité. L’exposition forte d’une centaine d’œuvres dont certaines inédites ou peu vues comblent admirablement ce manque.
Il faut dire que si le sud est dans ses gènes, Montmartre est dans son esprit. Le sud, les bords de la Méditerranée où il vit le jour le 23 septembre 1879, est d’autant inscrit en lui que sa famille porte le même nom qu’un village rattaché à la commune de Marseille : Les Camoins. Famille attestée dès le milieu du XVème siècle. Une authentique famille marseillaise donc.
Charles naît dans cette famille de quatre enfants, son père est dans la peinture, celle de bâtiment et de décoration, une entreprise fondée dans la cité phocéenne en 1851. Côté maternelle, sa mère – que l’on nous dit « fine pastelliste » – encouragera le don naissant de son rejeton à tenter la carrière artistique. Pourtant, son oncle et tuteur – le père de Charles est décédé en 1885 – plus pragmatique, décide d’envoyer Charles faire ses études dans l’École de commerce de Marseille afin de le préparer à seconder son frère qui dirige un commerce de grains. Charles, peu doué pour les études, s’y ennuie ferme.
Un trio d’amis pour la vie
Ses seuls moments d’exaltation, il les vit à l’École des Beaux-Arts de Marseille où il se rend le matin de 6h à 8h pour faire ses gammes sur les modèles antiques en plâtre, avant de se rendre à ses cours de commerce ! Là, il commence à développer son don et y obtient même un premier prix de figure un an après. Sur les instances maternelles, d’une mère qui vit entre Paris et Marseille, Charles « monte » à Paris et sa mère, usant de ce premier prix marseillais, l’inscrit d’entrée à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts dans l’atelier de Gustave Moreau. Là, il va se nouer d’amitié avec Albert Marquet qui lui présente Henri Matisse. Dès lors, le trio ne se quittera guère.
Et comme ses amis, auxquels s’adjoindront Vlaminck, Manguin, Othon-Friesz ou Derain, il prend la vague fauve, et tous trois seront de la salle VII de ce Salon d’Automne de 1905 qui fit scandale et sonnera la naissance du mouvement. Même si son nom n’est pas aussi facilement accolé à ce mouvement que ceux susnommés, il n’en est pas moins l’un des représentant les plus emblématiques comme dans cette vue du Port de Toulon à la barrière de 1904-1905 ou cette Vue de Cassis de la même date.
Maisons à Montmartre, vers 1908 © Courtesy Galerie de la Présidence, Paris / ADAGP, Paris 2022
Deux Pins dans les calanques de Piana, Corse, 1910 © Coll. part. / AGAGP Paris 2022
Montmartre, avant que Montparnasse devienne l’Olympe des peintres, attirait les rapins et les peintres en mal de reconnaissance comme de logements bon marché, certains aussi d’y trouver le couvert, quelques cabarets et lieux de plaisir accessibles à leur bourse. La Butte sera le quotidien des Renoir, Othon Friesz, Dufy, Bernard, sans oublier le trio infernal : Valadon, Maurice Utrillo, André Utter qui habitèrent dans cette maison aux allures campagnardes et son agréable jardin de curé qui abritent aujourd’hui ce Musée de Montmartre.
Ce bout de campagne au nord de la capitale attira aussi, dès les premières années du siècle, Camoin et ses amis qui aiment à s’échapper de la rive gauche de leurs études. Ils y laissèrent quelques toiles. Camoin s’y installe à partir de 1907, déménageant à maintes reprises puisqu’on ne compte pas moins de quatre adresses entre cette date et 1925 ! Du Montmartre d’alors, il nous en a laissé une petite huile qui nous offre une vision presque provinciale de la butte (Maisons à Montmartre vers 1908) ainsi qu’une belle évocation du Moulin-Rouge (Le Moulin-Rouge aux fiacres, 1910).
Un nu qui fait scandale !
Dès 1920, attiré par le sud de son enfance et au vu de ses amis qui ont investi cette Côte d’Azur encore peu fréquentée – Matisse, Marquet et leur ami Manguin la fréquentent régulièrement depuis 1905 – il se partage entre son atelier de l’avenue Junot sur le flanc de la Butte et Saint-Tropez. Les bords de la Méditerranée deviendront son motif d’élection. Avec Marquet, l’inséparable compagnon des sorties et des escapades méditerranéennes, il parcourt la côte l’été, Agay et surtout Saint Tropez. On lui doit du petit port de pêcheurs, découvert et mis à la mode par le peintre et navigateur Signac, sûrement la plus belle vue de la Place aux herbes de Saint-Tropez (non présentée ici), mais aussi une autre vue, plus naturaliste, celle d’une des filles du Bar-des-roses, petit estaminet tropézien dans lequel une kyrielle de filles viennent se frotter aux habitués.
Cette Saltimbanque au repos (aussi titrée La Fille endormie, 1905), que n’aurait pas désavoué le Courbet de L’Origine du monde, Camoin voulait d’abord la titrer, comme il s’en ouvre à Matisse : La Nouvelle Olympia – faisant allusion à une toile de Matisse portant le titre proche d’Une moderne Olympia – et avouant au peintre nordiste vouloir la présenter au prochain Salon des Indépendants, n’oubliant pas de préciser avec clairvoyance « Je crains que la censure nous l’interdise ! ». Ce que la censure fit en ne retenant pas la toile ! Mais, en plus du comité de sélection du salon, sûrement scandalisé, un quidam, choqué lui aussi, la lacèrera ! Camoin mettra quelques années à en faire la restauration ! Et enfin, Marquet, en compagnon de route s’attèlera au même modèle sous le titre un brin provocateur de La Cible ! « Mais il était moins bien placé » précisera malicieusement Camoin. Cette autre version a malheureusement disparu…
Très vite reconnu
Le nu sera une des composantes, mineure certes, de son œuvre. Loin de cette pochade faite dans l’emballement de la jeunesse et des tournées au Bar-des-Roses tropézien, il tente aussi de « moderniser » le nu en faisant poser des filles de bordels dans une optique autant naturaliste qu’en réaction au traitement académique du thème. Il explorera aussi, tout au long de sa vie, le thème récurrent des « baigneuses », porté au pinacle, ces années-là, par un Cézanne qui avait toute l’admiration de Camoin.
Dans ces mêmes années, de Marquet, l’ami fidèle, le compagnon de route inlassable, il laissera un magnifique portrait, très simple, pénétrant dans lequel le « Père Marquet » est saisi dans une pose simple et des effets de couleurs très cézanniens saisissant parfaitement le caractère humble du gentil Marquet (Portrait d’Albert Marquet, vers 1904-1905).
Le Moulin-Rouge aux fiacres, 1910 © Centre Pompidou / MAM en dépôt au Musée des Beaux-Arts de Menton / ADAGP, Paris 2022
La Saltimbanque au repos, 1905 © Musée d’Art Moderne de Paris / RMN–Grand Palais (Agence Bulloz) / ADAGP, Paris 2022
À l’image des autres membres du trio, Camoin fait son chemin. Dès 1904, la charmante Berthe Weill, qui découvrit tant de futurs géants, l’accueillit dans une exposition de groupe, mais c’est surtout en 1907 que la galerie Druet lui offre sa première exposition personnelle, mais il se fâche avec ce dernier et se tourne alors vers Daniel-Henry Kahnweiler, le marchand des cubistes Picasso, Braque, Gris et du fauve Derain qui accueille sa première grande exposition d’importance. Il reviendra chez Druet en 1914 pour présenter ses œuvres « marocaines » faites lors d’un séjour avec Matisse. Dès lors et jusqu’à sa disparition – et même après – il ne disparaîtra rarement des cimaises de galeries et de musées. À Paris, on ne l’avait vu depuis 40 ans ! D’où l’importance de cette présentation.
Il lacère 80 de ses œuvres !
Cette anecdote de la toile lacérée de son nu provocateur par un bigot scandalisé, permet à l’exposition de revenir aussi sur une autre étonnante histoire des « toiles coupées ». Suite à sa rupture avec Emily Charmy (sa compagne également peintre, rencontrée en 1906 chez Berthe Weill), Camoin rejoint Matisse à Tanger. À son retour en juin 1914, Camoin détruit près de 80 œuvres présentes dans son atelier du 46, rue Lepic ! Sans distinction de sujets ou de dates et sans que l’on ne sache pour sûr la raison encore aujourd’hui. Il les lacère en quatre ou huit morceaux, et jette dans la poubelle de l’immeuble. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Apollinaire note dans son journal : « Mais leur destin n’est pas terminé car elles furent recueillies et vendues à un amateur qui les fit arranger… Ces tableaux sont parmi les œuvres les plus intéressantes de ce peintre… ». Effectivement, le chiffonnier de la rue, qui avait l’œil, les récupère et les porte aux Puces de Saint-Ouen… Elles y sont restaurées avant de passer de mains en mains de marchands.
Camoin intente finalement un procès en 1925 au poète Francis Carco qui tente d’en revendre certaines à Drouot et dont Camoin réclame la restitution. Le procès aboutit en 1931 et donne raison à Camoin. Les Archives Camoin ont pu identifier jusqu’à présent 15 peintures, qui présentent tous les stigmates de la destruction de 1914, camouflés par de plus ou moins habiles reconstitutions. Trois figurent dans l’exposition et, en s’en approchant on distingue encore parfaitement les stigmates de ces lacérations. Apollinaire avait raison, ce sont parmi les toiles les plus intéressantes du peintre comme cette magnifique évocation du Moulin-Rouge (Le Moulin-Rouge aux fiacres, 1910) ou encore ce très cézannien Autoportrait de 1910.
Bien qu’il soit surtout ressenti comme un peintre méditerranéen, Camoin n’a jamais oublié Paris qui reste son deuxième port d’attache. La présentation ici l’ancre bien dans ses deux ateliers et des parcs et vue de Montmartre au bleu de la Méditerranée, il n’a jamais cessé d’interroger le paysage, jouant de la couleur avec une même passion dans ces deux pôles de son œuvre.
Charles Camoin, un fauve en liberté
Musée de Montmartre, 12/14 rue Cortot (Paris 18e).
À voir jusqu’au 11 septembre 2022.
Accès :
Métro : station Lamarck-Caulaincourt ou Abbesses (ligne 12). Station Anvers (ligne 2)
Ouvert tous les jours de 10h à 19h.
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Camoin, un fauve en liberté
Editions in fine / Musée de Montmartre 176 pages, 120 ill., 25 €