Retour à Paris de Giovanni Boldini, la ville qui l’avait consacré comme l’un des plus grands portraitistes de son temps, de ces années au tournant du XXème siècle. Sa virtuosité, son grand art du portrait, cette manière d’entraîner ses modèles dans le tourbillon des années d’insouciance de la fin du XIXème siècle font de son art un marqueur sociétal, essentiel pour entrevoir la bourgeoisie de son temps, de cette époque décrite par Marcel Proust, et qui a nourri A la Recherche du temps perdu.
Exposition « Boldini. Les plaisirs et les jours » au Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, jusqu’au 24 juillet 2022
Posté le 29 avril 2022
La marquise Luisa Casati avec des plumes de paon, 1911-1913 © Rome, Galleria nazionale d’arte moderna e contemporanea
Omnibus de la place Pigalle, vers 1882 © Collection particulière
Portrait d’Emiliana Concha de Ossa, vers 1888 © Collection particulière
Feu d’artifice, 1892-1895 © Ferrare, Museo Giovanni Boldini
Portrait de Rita de Acosta Lydig assise, 1911 © Collection Mr and Mrs James O. Coleman
La Promenade au Bois, vers 1909 © Ferrare, Museo Giovanni Boldini
Portrait de Georges Goursat, dit Sem, 1902 © MAD, Paris /Jean Tholance
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En cette année qui marque le centenaire de la disparition de Marcel Proust, le mythique auteur de A la Recherche du Temps perdu, cette rétrospective de l’œuvre du peintre Giovanni Boldini (1842-1931) ne pouvait mieux tomber. Après le fond et l’œuvre de l’écrivain présentés par trois institutions (la BNF, le Musée Carnavalet et le Musée d’Art et d’histoire du Judaïsme) c’est au tour de la forme avec le Petit Palais qui nous entraine dans la société décrite par Proust où évoluaient le baron Charlus, Albertine, Oriane la duchesse des Guermantes et autre Charles Swann, ces personnages clés de A la Recherche… Du reste, les commissaires de l’exposition ne s’en cachent pas en empruntant à Proust le titre de l’exposition : Les plaisirs et les jours.
Froufrous, bals mondains, cocottes, promenades au bois et robes de bal à foison, la vie de Boldini semble n’avoir été qu’une grande plongée mondaine dans ce monde de la fin du XIXème siècle au premier tiers du XXème. Ces années vraiment folles – excepté la parenthèse de la Première Guerre mondiale – où le tout Paris des nantis s’enivrait de leur puissance et de leur richesse font que l’œuvre de Boldini est aussi à regarder à l’aune sociétal comme un véritable témoignage sur cette facette du monde reflétant tant les goûts, les mœurs et les personnages de cette frange bourgeoise et aristocratique de la société.
Ci-dessus : Scène de fête au Moulin Rouge, vers 1889 © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Ci-contre : Berthe fumant, 1874 © Collection particulière, courtesy Concezione Ltd
Fils d’un père peintre, Boldini naît à Ferrare le 31 décembre 1842. Il va devenir également peintre à son tour en intégrant l’atelier florentin du peintre portraitiste Michele Gord qui lui présente les Macchiaioli, un groupe de peintres formé en réaction à l’académisme, professant une sorte de postimpressionnisme qui augure d’un nouveau réalisme ouvrant l’Italie à l’art moderne. Dès lors le pli semble pris et avec un ami peintre il commence, à tout juste 22 ans, à fréquenter la haute société de Florence et semble prendre goût à ces fastes puisqu’on le retrouve trois ans plus tard en train de visiter la Côte d’Azur au bras d’Isabella Robinson Falconer, une richissime Anglaise, la première à reconnaître ses dons exceptionnels. Elle devient son mécène.
Il porte beau, une photo le montrant, à 24 ans, avec son ami de goguette Cristiano Banti qui nous le montre le port altier, le front haut et malgré sa petit taille – 1,54 m – une allure et une prestance qui sied parfaitement à ce Rastignac et au monde qu’il s’apprête à conquérir. Dans un autoportrait de la même époque (Autoportrait de l’artiste observant un tableau, vers 1865) il se campe d’une manière docte, reflètant parfaitement la haute estime qu’il semble avoir de lui.
Isabella Robinson Falconer, qui vit entre Florence, une villa à la campagne et des incursions sur la Riviera, le présente à de riches familles qui séjournent sur la Côte, lui ouvrant ainsi les portes des palais florentins et des notables de la ville. Son talent de portraitiste va faire le reste. Très vite le succès est au rendez-vous et il devient le portraitiste couru de la gentry locale.
En 1871, on le voit à Londres pour quelques mois où il acquiert très vite une belle renommée où les commandes affluent ! Pourtant, en octobre de la même année, il part pour Paris, participe au Salon officiel et s’installe définitivement dans l’ancien atelier de John Singer Sargent dans le 17ème arrondissement.
Un atelier très couru !
Dès lors, commandes et expositions vont se succéder. Il faut dire qu’il n’a pas son pareil pour arranger au mieux ses portraits. Il veille à tout. Pour les portraits féminins, il court chez les grands couturiers du moment, arrange la scène, les tentures, les objets donnant à l’ensemble des accents d’une grande spontanéité. Pour les hommes, il privilégie les poses. Légèrement cambré en arrière, le regard posé au loin dans une attitude aussi aristocratique que vaniteuse pour son iconique portrait du comte Robert de Montesquiou ou celui en pied et frontal, une jambe en avant et le manteau flottant au vent les mains sur les hanches en signe d’impertinence, pour le portrait de son ami le caricaturiste Sem, comme surpris en pleine sortie mondaine.
Mais on ne prête qu’aux riches, et tenaillé entre les aigris, les envieux, les jaloux et les réformateurs qui le jalousent sûrement et le vouent aux gémonies, il doit aussi faire front à certains critiques comme Arsène Alexandre et Camille Mauclair qui voient en lui l’un des rares artistes à avoir exprimé la vanité, la coquetterie d’âme, la névrose de ces temps décadents reflétant les mœurs d’une certaine frange de la société… Ce qu’il fait d’évidence !
Portrait de Lady Colin Campbell, née Gertrude Elizabeth Blood, 1894 © National Portrait Gallery, London
Portrait du comte Robert de Montesquiou, 1897 © Musée d’Ortsay / Photo RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Mais sa dextérité est reconnue par tous, elle agace aussi. Le succès ne fait pas que des laudateurs. On le trouve trop exubérant, pas dans son temps où se développe les avant-gardes, de toujours faire les mêmes portraits sans se remettre en cause. C’est ce que recherche toute la faune qui fréquente son atelier, une pléthore de femmes du monde, de demi-monde aussi, de figures de la mode – certaines fashionistas du moment se targueront même de s’habiller « à la Boldini » ! -, de princesses, comédiennes et toutes les célébrités du temps. Il donne aussi de la femme une image peu en rapport avec les mœurs acceptées de son époque. Il leur donne une place de conquérante. Ses femmes fument, semblent choisir leur compagnie, provoquent, regardent le peintre – le spectateur – droit dans les yeux, osent toutes les folies à l’image de Luisa Casari, une aristocrate, mécène, et collectionneuse qui se promène avec des léopards et porte, lors des soirées mondaines, des serpents vivants en guise de collier !
La tentation de la modernité
Et puis, il gagne beaucoup d’argent ! Impardonnable pour certains qui pense qu’art et argent ne sont pas compatibles. Le mythe de l’artiste bohème perdure toujours.
La place qu’il occupait alors – le portrait mondain – ne pouvait l’être alors que par lui, rejoignant avec brio cette caste formée par les Wintherhalter, Ingres, Bonnat, Singer Sargent, Helleu et autre Blanche. Et malgré des esprits chagrins qui le pense homme du passé et des académismes ; il faut, à bien y regarder voir qu’il est différent de ses pairs, qu’il se joue aussi et surtout des avancées de son temps. Dans certaines de ses œuvres on voit, dans le tourbillon des envolées, une véritable tentation de l’abstraction, un prodigieux travail sur le mouvement que les futuristes théoriseront quelques années plus tard, voir même du « non finito » qui devient, comme chez Rodin, une expression artistique.
Et si on retrouve les sempiternels portraits sagement posés, alanguies sur un canapé pour les dames ou dans un bureau ou une bibliothèque pour les hommes – sûrement à la demande de ses clients – transparaît aussi et surtout tout l’esprit de son temps : les bals, la mode, la folie, la joie, les divertissements, les sorties en ville, au bois comme sur les champs de courses ou les boudoirs propices à l’intime. Sans oublier cette admirable façon de rendre à chacun de ses modèles (ses clients ?) un caractère qui est, depuis Goya, l’apanage des grands portraitistes pour lesquels la simple ressemblance n’est pas le but ultime du portraitiste. Il sert à merveille ses élégantes, corrigeant leur silhouette, affinant les tailles, allongeant bras et mains et les enveloppants dans des halos vaporeux. Elles ne pouvaient que glorifier ce talent qui les rendait encore plus belles qu’elles étaient déjà.
Soyons heureux de voir Boldini revenir dans la ville qui l’a consacré comme l’un des plus grands de son temps. Redécouvrir l’art extrême de ce génie est une occasion merveilleuse de plonger dans un monde de joie et d’insouciance. Ce qui nous manque tant aujourd’hui…
Musée des Beaux-Arts / Petit Palais, avenue Winston Churchill (8e).
À voir jusqu’au 24 juillet 2022
Tous les jours sauf le lundi de 10h à 18h. Nocturne le vendredi jusqu’à 21h.
Accès :
Métro : lignes 1 et 13, station Champs-Elysées Clemenceau ; ligne 9, station Franklin-Roosevelt
RER : ligne C, station Invalides
Bus : 28, 42, 72, 73, 80, 83, 93
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Boldini. Les plaisirs et les jours
Éditions Paris Musées. 256 pages, 240 ill. 39,90 euros