Six musées se sont associés pour présenter des créations du grand couturier en regard d’œuvres de grands peintres. Célébrant les 60 ans de sa première collection, cette déambulation entre mode et peinture donne à voir tout le génie de l’un des plus grands couturiers du siècle dernier, associé aux plus grands noms de l’art moderne, ses maîtres.
Exposition « Yves Saint Laurent aux musées » au Centre Pompidou, au musée d’Art Moderne de Paris, au musée du Louvre, au musée d’Orsay, au musée national Picasso-Paris et au musée Yves Saint Laurent Paris, jusqu’au 15 mai 2022
Posté le 3 mai 2022
Au Centre Pompidou, entouré d’œuvres de Robert Delaunay, robe Hommage à Robert Delaunay, automne-hiver 1979 © Yves Saint Laurent / Musée Yves Saint Laurent Paris
Pour paraphraser Magritte on pourrait dire que « ceci n’est pas une exposition », mais le saupoudrage dans six musées parisiens de créations du couturier Yves Saint Laurent mises en regard d’œuvres d’artistes les ayant inspirées. « Mon propos n’a pas été de me mesurer aux maîtres, tout au plus de les approcher et de tirer des leçons de leur génie. » disait-il en 2004 dans l’introduction du catalogue de l’exposition Yves Saint Laurent, Dialogue avec l’art (2004). Cette présentation, dans les six plus grands musées de la capitale, célèbre le 60ème anniversaire du premier défilé d’Yves Saint Laurent. Le couturier, alors tout juste âgé de 26 ans, signe le 29 janvier 1962 sa première collection sous son propre nom.
Six musées, et pas des moindres, qui ont donc sortis de leur réserve – quand celles-ci n’étaient pas déjà présentées – des œuvres souvent de grande importance, preuve que le couturier ne « s’attaquait » pas à n’importe quel créateur pour façonner les siennes. « J’ai tout le temps été passionné par la peinture, il était donc naturel qu’elle inspire mes créations » expliquait-il dans le même catalogue.
Robe Hommage à Piet Mondrian, Automne-hiver 1965 © Yves Saint Laurent / Musée Yves Saint Laurent Paris / Nicolas Mathéus
Veste Hommage à Pablo Picasso, Printemps-été 1990 © Yves Saint Laurent / Collection Musée Yves Saint Laurent Paris / Nicolas Mathéus
Musée d’Art moderne du Centre Pompidou
Commençons par le musée d’Art moderne du Centre Pompidou avec la présentation de trois robes. Robes iconiques très sixties, droites sans manche (1965), faisant référence aux œuvres néo-plastiques de Mondrian. Véritable coup de génie, bien qu’en fait d’une simplicité biblique que de reporter sur une robe les créations géométriques du génial hollandais. Une robe, crée en 1966, qui eut surtout pour elle de faire sortir de l’ombre, pour un public non averti, l’œuvre de Mondrian largement méconnue alors en France. Le couturier avoua l’avoir découvert dans l’indispensable monographie que Michel Seuphor, un ami du peintre, avait publié en 1956 (Piet Mondrian, sa vie, son œuvre. Flammarion. Épuisé et jamais réédité). Dans le même esprit, mais avec toutefois une réelle création de sa part, ces deux autres robes inspirées l’une par Fernand Léger l’autre par Robert Delaunay. La première est une robe du soir au boléro noir dont le bas de la jupe blanche est agrémenté de motifs (1981) dont la forme comme les couleurs franches reprennent celles qu’affectionnait le peintre du Grand déjeuner. Même remarque concernant la robe de cocktail (1979) comme sortie d’un tableau de Robert Delaunay. Et enfin, ces deux autres reprennent sur l’ensemble de leur confection, un confetti de motifs s’apparentant à des œuvres de Vasarely comme d‘Agam. Le cubisme n’échappe pas aux créations avec cette cape (1966) en hommage à Braque et cet autre s’inspirant d’une œuvre tout en noir, blanc et gris de Picasso que l’on retrouve sur ce long fourreau du soir (1979) très janséniste. L’emprunt peut être aussi plus du premier degré quand il reprend quasiment à l’identique dans cette blouse aux manches bouffantes (1981), la sublime Blouse roumaine de Matisse, une œuvre dont on pourrait dire qu’elle lui tendait les bras ! Jackson Pollock, Martial Raysse, Ellsworth Kelly ou encore Tom Wesselmann furent d’autres inspirateurs et complètent, sur le plateau Beaubourg, cette présentation.
Musée d’Art moderne de Paris
Au Musée d’Art moderne de Paris, installé dans une aile du Palais de Tokyo, c’est Matisse qui ouvre le bal avec cet étonnant ensemble (1984) inspiré par les couleurs d’une version inachevée de La Danse tout en pastel bleu, gris et noir. On le sait, YSL aimait la couleur – on connaît ces magnifiques et éclatantes vestes inspirées par Les Iris et Les Tournesols de van Gogh – il ne pouvait donc pas passer à côté de ce chantre de la couleur que fut Bonnard qu’on retrouve sur une très vaporeuse blouse en organza associée à une jupe de même reprenant les couleurs de la toile Le Jardin du peintre du Cannet. Les couleurs vives et très électriques de quelques robes et paletots de satin (1992 et 1995) sont, elles, empruntées à La Fée électricité, l’immense œuvre de Dufy qui trône dans l’atrium du musée. De Jacquet et son travail optique sur la trame de son Déjeuner sur l’herbe, se retrouve lui sur quelques bousons et vestes (1966 et 1969).
Au musée Picasso Paris, entourée d’œuvres de Picasso, robe Hommage à Pablo Picasso, automne-hiver 1979 © Yves Saint Laurent / Musée Yves Saint Laurent Paris @ Nicolas Mathéus
Au musée Picasso Paris, entourée d’œuvres de Bonnatrd, robes Hommage à Pierre Bonnard, printemps-été 2001 © Yves Saint Laurent / Musée Yves Saint Laurent Paris @ Nicolas Mathéus
Musée du Louvre
Passons au Louvre où sous les ors de la Galerie d’Apollon trônent quatre vestes au baroquisme assumé (1978 à 1980). Ces caracos supportant de lourds motifs faits de fil d’or et d’argent voir même de cristal, souvent en relief, auraient sûrement plu à Versailles à la grande époque lorsque le style rocaille faisait fureur !
Musée d’Orsay
Le musée d’Orsay fait un peu exception puisque l’on nous présente ici plutôt la réminiscence d’un temps, celui de Proust, avec naturellement les iconiques smokings féminins qui firent tant pour sa renommée et que le couturier proposa dès les années 60. Une révolution qui, à l’époque, semblait rejeter dans le passé les sempiternelles robes du soir. Pourtant, il ne délaissa pas pour autant ces éléments importants de la garde-robe de toute femme du monde. Pour preuve ces deux robes très « fin de siècle » crées pour le bal Proust de 1971, fêtant le centenaire de la naissance de l’auteur de À la recherche du temps perdu. Toutes deux faites de satin ou de crêpe ivoire, l’une destinée à Marie-Hélène de Rothschild et l’autre pour… Jane Birkin ! Toujours à Orsay quelques créations, très pique-nique à la campagne, inspirées du Déjeuner sur l’herbe de Monet.
Musée Picasso Paris
Picasso ne pouvait échapper à cette revue de détail et son musée éponyme a fourni matière à deux vestes (1988) reprenant les motifs de l’œuvre du malaguène des années 15. Plus surprenant cette reprise quasiment à l’identique – comme dans le cas de La Blouse roumaine – d’une veste (1979) portée par Nusch Éluard dans le portrait qu’en fit Picasso. Emprunt aussi sans ambiguïté que ce profil sur le plastron d’une ample robe du soir (1979) de satin et velours, motif inspiré par Buste de femme au chapeau rayé, une œuvre de 1939 de l’espagnol.
Musée Yves Saint Laurent
Et enfin au musée Yves Saint Laurent en plus d’une présentation de dessins et croquis de modèles, on nous présente ce que l’on appelle des « toiles », ces mises en volume du dessin du créateur, trait d’union entre le croquis et la réalisation finale du modèle. Ces « toiles », sorte d’épure permettant de visualiser le futur modèle, sont faites d’un tissu blanc, découpées et grossièrement assemblées pour donner à travailler forme et volume. Ces modèles en volume peuvent être agrémentées de ruban, tissu découpé, crayonnage au pastel, voire d’une photocopie d’une œuvre, d’un dessin ou du motif qui sera après brodé ou façonné dans une autre matière lors de la réalisation finale.
Il restera, plus que jamais de cet échange entre mode et grands noms de la peinture, ce catalogue indispensable, qui fait la part belle à ces deux entités et explore les ponts entre elles. De nombreuses contributions éclairent l’œuvre de Saint Laurent et explique son cheminement, son travail comme son indéfectible attachement aux créateurs dont il s’est inspiré. Ces six présentations sont un beau tour d’horizon permettant de mieux appréhender et comprendre tout le génie et l’imagination d’un des plus grands couturiers du siècle dernier, amoureux de l’art de son temps.
Adresses, horaires et accès à trouver sur le site de chaque musée.
Catalogue
Yves Saint Laurent aux musées
Sous la direction de Madison Cox, Stephan Janson et Mouna Mekouar
Éditions Gallimard. 304 pages, plus de 350 ill. 39 €