Au travers de la figure de Maya, la fille que le peintre eut avec Marie-Thérèse Walter en 1935, c’est à la découverte d’une tranche de la vie intime de Picasso à laquelle nous convie le musée Picasso, avec cette double exposition. Un premier volet autour de la dation par Maya de neuf œuvres d’importance, et l’évocation du rapport père-fille que le peintre entretint avec cette petite fille arrivée dans sa vie, à 54 ans. Une manière aussi de voir dans le démiurge, un père tendre, aimant, attentif aux premières années de sa première fille, celle qui, des quatre enfants du peintre, eue sûrement les relations les plus étroites avec son père. Peintures, dessins, photos et objets dévoilent, ici, le culte Maya.
Exposition « Maya Ruiz-Picasso, fille de Pablo » au musée Picasso Paris, jusqu’au 31 décembre 2022
Posté le 31 août 2022
Vue in-situ d’une des salles de l’exposition. Au premier plan : 3 sculptures, Tête(s) de femme et Buste de femme. Boisgeloup 1931-1932. Au mur, de gauche à droite : Maya en costume marin, 1938 (© The Museum of Modern Art, New York) ; Fillette couronnée au bateau, 1939 (© Würth Collection, Allemagne) ; Maya au bateau, 1938 (© Yageo Foundation collection, Taïwan) et Maya au bateau, 1938 (© Yageo Foundation collection, Taïwan). Toutes œuvres © Succession Picasso 2022
Pablo Picasso. El Bobo, Vauvenargues, avril 1959 © Musée national Picasso-Paris / Dation Maya Ruiz-Picasso 2021 / Succession Picasso 2022
Pablo Picasso. La Vénus du gaz Paris, janvier 1945 © Musée national Picasso-Paris / Dation Maya Ruiz-Picasso 2021 / Succession Picasso 2022
Pablo Picasso. Maya à la poupée et au cheval 1938 © Succession Picasso 2022
Pablo Picasso. Maternité 1938 © Succession Picasso 2022
Pablo Picasso. Portrait de Maya, Paris août 1944 © Coll. part. / Succession Picasso 2022
Picasso et Maya, Golfe Juan 1954 © Succession Picasso 2022
Maya à trois mois, Maya à la poupée, Maya au tablier, Maya sur une chaise, Maya au bateau… Dans la famille Picasso je voudrais… la fille, Maya (Maria), née en 1935 de son union avec Marie-Thérèse Walter. Une chronologie amoureuse du maître s’impose pour s’y reconnaitre et la situer. Dans la succession des femmes et amantes de Picasso, après Fernande Olivier et Eva Gouel qui occupent les années du début du siècle, on trouve en premier lieu Olga Kokhlova, russe née en 1891, danseuse dans la troupe des Ballets russes, qu’il épouse en 1918 dont il aura un fils Paulo né en 1921. Olga décédera en 1955. S’ensuit Marie-Thérèse Walter rencontrée en 1927, elle n’a alors que 17 ans (Picasso 46), elle sera sa compagne pendant plus d’une dizaine d’années. Marie-Thérèse Walter sera délaissée au profit (?) de Dora Maar à la fin des années 30.
Sa liaison avec Marie-Thérèse est d’abord une liaison cachée, pour deux raisons : Olga veille et aussi et surtout le jeune âge de Marie-Thérèse. Une liaison qui, vers la fin, se chevauchera avec celle de Dora Maar. De ces premières années cachées, Pierre Daix, le biographe et ami du peintre, en a tout de même trouvé des signes de cette présence dès 1927 dans ses œuvres, mais d’une manière discrète ou symbolique et qui sera décelée plus tard à l’aune de son visage devenu connu. Une coutume qu’il avait déjà pratiqué avec l’une de ses conquêtes, Eva Gouel, dans les années 10, se cachant alors de Fernande Olivier sa compagne « officielle » ! Marie-Thérèse Walter se suicidera en 1977 quatre ans après la disparition de Picasso.
Revenons à Maya, dont la naissance fut cachée jusqu’à son premier anniversaire, le temps que Picasso règle ses problèmes de séparation avec Olga. Elle fut ensuite des plus chéries et fit l’objet de nombreuses œuvres et de très nombreuses photographies comme nous le montrent celles présentées dans le deuxième volet de l’exposition. On y célèbre plus une tranche de vie, celle de Picasso dans ces années charnière de sa vie, qu’une réelle réflexion sur son art d’alors… Par ailleurs déjà tant vu et étudié. Et ce n’est sûrement pas terminé.
Marie-Thérèse Walter, Pablo Picasso et Maya, Clinique du Belvédère, Boulogne-Billancourt, 6 septembre 1935 © Archives Maya Widmaier-Ruiz-Picasso / Succession Picasso 2022
Pablo Picasso, Maya au bateau. 5 février 1938 © Yageo Foundation Collection / Succession Picasso 2022
Nouveaux chefs-d’œuvre. La Dation Maya Ruiz-Picasso
Dans un premier volet on nous présente neuf œuvres reçues en dation par le musée, grâce à cette loi permettant de s’acquitter, par un don, de droits de succession. C’est le même principe qui, à la mort du peintre, et suite à une dation confortable des héritiers, permit d’enrichir les collections nationales et par suite l’ouverture du musée parisien. Cette nouvelle dation de la fille du peintre voit entrer dans les collections du musée : six peintures, deux sculptures et un carnet de dessins.
Une dation qui couvre plusieurs périodes puisque l’exposition s’ouvre avec un portrait du père de l’artiste, peint en 1895, alors que Picasso n’a que 14 ans ! S’ensuit deux œuvres des années 30 (Enfant à la sucette assis sur une chaise, juillet 1938 et Portrait d’Émilie Marguerite Walter (dite « Mémé »), octobre 1939). Datée de février 1932, cette Étude pour une joueuse de mandoline est une des nombreuses œuvres dans laquelle, cette année-là (Picasso peindra en 1932 plus d’une centaine d’œuvres !), il inclura la figure de Marie Thérèse. Il s’agit d’une esquisse sur laquelle le peintre a indiqué des annotations de couleurs. L’œuvre n’a jamais été exécutée par ailleurs. Il pourrait s’agir d’un carton en vue d’une tapisserie. S’ensuit un chef d’œuvre absolu daté avril 1959 : El Bobo, une digression autour d’un Vélasquez portant le même titre (El Bobo de Coria ou El Buffón el Primo) voire du Mendiant de Murillo.
On y trouve aussi un carnet de dessins consacrés au Déjeuner sur l’herbe de Manet, là encore une digression autour de l’œuvre du grand impressionniste et qui donnera une série de peintures dans ces années du début 60. La dation se complète d’un portrait (Tête d’homme, juillet 1971) qui fut révélé après son décès dans l’exposition d’œuvres inédites au Palais des Papes en mai 1973. Une œuvre flamboyante, aux couleurs franches, le portrait d’un homme brossé à grands traits, preuve ultime de la maîtrise d’un Picasso alors âgé de 90 ans et qui pourtant, dans ses dernières œuvres ne faisait pas alors l’unanimité. Une dernière période depuis réhabilitée. Preuve encore si besoin était de son avance sur son temps.
Dans cette dation, on trouve aussi une sculpture (La Vénus du gaz, janvier 1945) assemblage hétéroclite de brûleurs de réchaud à gaz, à l’image de cette iconique Tête de taureau de 1942 faite d’un guidon et d’une selle de vélo. Et, clôture la dation, un Tiki des Iles Marquises daté du XIXème siècle. Figure importante quand on sait le jeu que les arts premiers ont joué dans l’élaboration du cubisme.
Cette dation est soutenue ici par l’accrochage en regard d’un ensemble de peintures, sculptures et arts graphiques de Picasso, d’œuvres issues de sa collection personnelle et une sélection de prêts remarquables.
Ci-dessus : Pablo Picasso, Portrait de Maya de profil. 1943 © Succession Picasso 2022
Ci-contre : par Marie-Thérèse Walter, Picasso et Maya avec leur chien Riki, Boulevard Henri IV, Paris, 25 août 1944 © Archives Maya Widmaier-Ruiz-Picasso / Succession Picasso 2022
Maya Ruiz-Picasso, fille de Pablo
La seconde partie de l’exposition, se trouve à l’étage du musée et est entièrement axée sur la figure de Maya. L’exploration de la « dynastie » Picasso n’est pas chose nouvelle puisqu’en 2017 une exposition avait été consacrée à Olga, en 2002 Marie-Thérèse était le pivot central de l’exposition consacrée à l’année 1932, en 2006 c’était au tour de Dora Maar et si on remonte à 1991 avait été célébrée à Arles la régionale de l’étape Jacqueline Roque dernière compagne (et seconde épouse) du peintre. Sans oublier la monumentale exposition au Kunstsammlungen de Chemnitz consacrée à Picasso et les femmes ! Preuve de l’importance de celles-ci dans sa vie, et toujours présente dans l’œuvre, de ce Minotaure. Les enfants sont eux aussi très présents et firent l’objet de présentation comme à Tokyo et Genève en 1981 (Picasso intime) ou encore à Tokyo en 2000 (Picasso’s World of Children) faisant la part belle aux quatre enfants du peintre : Paulo, Maya, Claude et Paloma. Ces deux derniers sont nés de sa liaison avec Françoise Gilot rencontrée en 1944.
Dans cette seconde partie, on découvre un père aimant, attentif, tendre pour cette fille qui lui tombe du ciel à 54 ans. Elle sera le modèle préféré du peintre de sa naissance jusqu’aux années cinquante. L’exposition nous présente de nombreux portraits d’elle mais aussi un récit de cette paternité en photos*. Les premières années de Maya sont idylliques à ses dires, elles sont pourtant l’objet de tension dans la vie du peintre. Déjà, le conflit qui oppose le peintre à son épouse légitime Olga à qui il a naturellement caché sa liaison avec Marie-Thérèse et la naissance de Maya. La chose avouée, Olga le poursuit (elle le poursuivra toute sa vie !) puis s’ajoute à cela les démêlés concernant un divorce potentiel. Les époux n’ayant pas fait de contrat, Picasso, dont la côte est déjà bien assise et les avoirs conséquents, s’interroge sur le fait qu’il devrait tout partager avec son épouse délaissée. Le divorce écarté, le tribunal valide en février 1940 la séparation de corps et Picasso ne divorcera jamais d’Olga. Elle décèdera en 1955.
S’ajoute à cela la Seconde guerre mondiale, qui bouleverse sa vie comme celle de beaucoup. Excepté le fait qu’il est espagnol avec une Espagne alliée alors aux forces de l’Axe et qu’il est, de plus, surveillé par la police depuis les années 10** car fiché comme sympathisant anarchiste ! La guerre, il l’a vécue d’abord à Royan, puis à Paris.
Mais un autre « problème » va surgir. Deux mois après la naissance de Maya le peintre fait la connaissance, au café des Deux Magots à Saint-Germain-des-Prés, de la photographe Dora Maar qui devient sa maîtresse et ce, jusqu’en 1943 ! À Royan durant l’été 39, Marie-Thérèse et Maya sont installées dans une villa et Dora Maar dans un hôtel de la même cité balnéaire. Picasso va de l’une à l’autre ! De retour à Paris, il installe Marie-Thérèse et Maya dans un appartement boulevard Henri IV et lui et vit son nouvel amour de son côté avec Dora ! Une vie ballotée que semble supporter la petite Maya. Après-guerre, cette relation se distendra un peu, elle ne verra, dès lors, son père uniquement pendant les vacances sur la Côte d’Azur, à Vallauris, Antibes et Cannes, où elle partagera ces périodes estivales avec ses frères et sœurs : Paulo, Claude et Paloma. De nombreuses photos documentent ces années de bonheur estival. Début septembre 1953, à l’aube de ses 18 ans, Picasso peindra un dernier portrait de Maya, comme pour clore cette partie de sa vie, Maya devenue une jeune femme va voler de ses propres ailes en restant toutefois proche de son père comme lorsqu’elle est l’assistante d’Henri-Georges Clouzot sur le film Le Mystère Picasso, un film mettant en scène le peintre.
Maya, ici, est donc célébrée au travers de 200 pièces : tableaux, documents, photos, lettres, souvenirs en tous genres (mèches de cheveux, objets du quotidien, vêtements d’enfants), pliages, petits croquis, cahiers et carnets « gribouillés » à quatre mains et autres petites attentions que le peintre raffolait à créer à tous moments et qui sont comme des reliques de ces années-là. Témoignages touchants d’un père aimant.
Le peintre n’est pas absent de cette adoration. Il croque et peint sa gamine dans toutes les poses et moments intimes de sa vie. Comme il l’avait fait une quinzaine d’années auparavant pour Paulo (né en 1921) et comme il le fera pour Claude et Paloma. Ces moments privilégiés de l’enfance représentent un corpus important dans l’œuvre de Picasso dont la vie intime a toujours eu des répercussions dans son travail, multipliant aussi les portraits de ses différentes compagnes, les associant à toutes les étapes de son art et documentant ainsi sa vie. Dès que sortie de celle-ci, les portraits et allusions disparaissent et les paysages, natures mortes, portraits et autres digressions autour d’œuvres de grands maîtres (Vélasquez, Delacroix, Manet, etc.) reprennent le dessus.
Maya fit l’objet entre janvier 1938 et novembre 1939 de pas moins de 14 portraits peints auxquels s’ajoutent bon nombre de dessins. Elle fut de tous les enfants du peintre celle qui, sûrement, eue les relations les plus étroites avec son père, ce qui lui permis d’organiser en 1981 une magnifique exposition titrée Picasso intime à Tokyo puis à Genève. « Avec ses yeux il regardait. Avec ses mains il dessinait ou modelait. Avec sa peau, ses narines, son cœur, son esprit, ses tripes même il ressentait ce que nous étions, ce que nous cachions, notre être. C’est, je pense, pourquoi il fut capable de comprendre l’être humain, si jeune soit-il, avec tant de vérité » écrivait-elle dans le catalogue de l’exposition Picasso’s World of Children***.
* (qui fit l’objet déjà d’une très complète exposition à la galerie Gagosian sous le titre Picasso and Maya, Father and daughter, en 2017)
** cf. Picasso étranger expo au musée de l’Émigration de novembre 2021 à février 2022
*** National Museum of Western Art, Tokyo. 2000
Musée Picasso, 5 rue de Thorigny (3e).
À voir jusqu’au 31 décembre 2022
Du mardi au vendredi : 10h30 – 18h Samedis, dimanches et Jours fériés (sauf les lundis) : 9h30 -18h00.
Accès :
Métro : ligne 8 stations Saint-Sébastien-Froissart ou Chemin Vert
Bus : 20 : Saint-Claude ou Saint-Gilles Chemin Vert, 29 : Rue Vieille Du Temple, 65 : Rue Vieille Du Temple, 75 : Archives – Rambuteau, 69 : Rue Vieille du Temple – Mairie 4e et 96 : Bretagne
Site de l’exposition : ici
Catalogues
Maya Ruiz-Picasso, fille de Pablo
Co-éditions Skira / Musée Picasso. 288 pages. 400 ill. 45 €
Nouveaux Chefs-d’œuvre. La dation Maya Ruiz-Picasso
Co-éditions Skira / Musée Picasso. 128 pages. 65 ill. 25 €