Deux journées et donc deux ventes pour terminer la dispersion de la bibliothèque du grand bibliophile que fut Paul Destribats. Avec toujours, en majeur, les grands surréalistes, mais assortis d’une ouverture vers les avant-gardes des années 60-70. Comme toujours, des choix intelligents et éclairés qui donnent à cet ensemble intelligence et âme.
Ventes chez Christie’s Paris les 3 et 4 novembre 2022
Posté le 22 octobre
Hans Bellmer, La Poupée. Paris, G.L.M., 1936. L’exemplaire de Paul Éluard (est. : 30/40 000 €) © Christie’s Images
Guillaume Apollinaire. Les Mamelles de Tirésias. Paris, SIC, 1918. Superbe reliure cubiste de Paul Bonet © Christie’s Images
Tristan Tzara et Hans Arp. Cinéma calendrier du cœur abstrait, maisons. Paris, Au Sans Pareil, 1920 © Christie’s Images
André Breton, Paul Éluard et Salvador Dali. L'Immaculée conception. Paris, Éditions Surréalistes, chez José Corti, 1930 © Christie’s Images
Filippo Tommaso Marinetti. Parole en libertà Futuriste. Rome, Edizioni Futuriste di Poesia, 1932 © Christie’s Images
René Magritte et Alain Jouffroy. Aube à l’antipode. Paris, Le Soleil Noir, 1966. Dessins de René Magritte © Christie’s Images
Jean Dubuffet. Bonpiet beau neuille. Paris, Éditions Jeanne Bucher, 1983 © Christie’s Images
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Il faudra donc encore – et l’on ne s’en plaindra pas ! – deux dernières vacations fortes de 447 lots, pour finir de mettre en vente, toujours chez Christie’s, cette extraordinaire bibliothèque (totalisant pour les 5 ventes pas moins de 1832 lots), l’œuvre d’une vie de Paul Destribats. Un homme au parcours étonnant et qui va se révéler l’un des plus importants collectionneurs d’ouvrages consacrés aux avant-gardes du XXe siècle avec, toutefois, une prédilection évidente pour le surréalisme qui reste, au siècle dernier, le grand mouvement autant littéraire qu’artistique. Il y a peu, sinon plus, de collectionneurs bibliophiles de ce niveau, avec une telle érudition, pour constituer un ensemble aussi cohérent. En cela, il rejoint les grandes bibliothèques dispersées de ces dernières années, celle Daniel Filipacchi, l’autre grand collectionneur sur ce thème dont, rappelons-le, une partie de l’extraordinaire collection fut dispersée en 2004 et 2005 déjà chez Christie’s ou Pierre Bergé dont la sienne fit l’objet de 6 vacations chez PBA entre 2015 et 2022.
Cette cinquième vacation ne fait en rien « les fonds de tiroirs » de la collection, et soyons reconnaissant à l’auctioneer d’avoir parfaitement géré et réparti, sur les quatre premières vacations, des pièces maîtresses, et gardé pour ces deux dernières ventes des œuvres certes plus confidentielles – rassurons, il y a aussi des œuvres majeures – qui confèrent à ce rendez-vous tout autant d’attrait que lors des premières ventes. Nous sommes en fait ici au centre de l’esprit de cette collection comme nous le fûmes lors de la dispersion des avant-gardes russes de la 4e vente. D’autant que l’on notera dans cette vente une ouverture vers les années 70 et l’apport d’écrivains, poètes et artistes de ces années-là.
Aventurier, baroudeur, entrepreneur puis… bibliophile !
Au seuil de ces dernières vacations, il est bon de rappeler quel homme et quel collectionneur fut Paul Destribats. L’homme déjà, au parcours assez inattendu tant on n’attend pas d’un grand bibliophile d’être autrement qu’un chercheur, un intellectuel voire un professeur émérite ! Paul Destribats est tout autre. Né en 1926 à Vendôme dans le Loir-et-Cher, il fait ses humanités dans une école religieuse. Balayant, semble-t-il, cette éducation, il devient une sorte d’aventurier, baroudeur, entrepreneur. S’engageant après-guerre dans les mouvements trotskistes, il devient steward pour Air France, voyage dans le monde entier, se fixe en Amérique du Sud, devient courtier en
Wassily Kandinsky et Franz Marc. Der Blaue Reiter. Munich, R. Piper & Co.,1912. Rarissime exemplaire de luxe (est.: 30/50 000 €) © Christie’s Images
pierres précieuses et ouvre une… boîte de nuit à Copacabana, le « Club 36 » qui deviendra une référence pour la bossa nova ! Puis il devient courtier sur le marché des matières premières ce qui lui assure de très confortables revenus. Il rentre à Paris à l’aube des années soixante, fréquente Saint-Germain-des-Prés et commence alors à s’intéresser de très près aux mouvements artistiques, dont le surréalisme. La légende voudrait qu’il ait découvert le mouvement de Breton dès 1943, grâce à un ami de son école qui lui aurait prêté quelques ouvrages, dont ceux de Lautréamont, Breton et la Petite anthologie du surréalisme de Georges Hugnet. Dès lors ce boulimique va acquérir, pendant près de 60 ans, en salle des ventes et dans les librairies spécialisées cette collection, la plus désirable au monde, en main privée. Une course d’achats que Claude Oterelo, expert et marchand qui l’a bien connu, décrit ainsi : « Il a construit de façon méthodique, je dirais même furieuse, un ensemble qui n’a pas d’équivalent au monde. ».
Une bibliothèque d’érudit
Le grand intérêt de sa bibliothèque est d’évidence lié à sa grande culture, à cette intelligence qui fait la grandeur d’un collectionneur : le choix éclairé de ses emplettes. Car, somme toute, il est relativement « facile » d’acquérir tout ce qui fait le dessus du panier d’un thème et d’amasser – ce qui nécessite, il est vrai, de grands moyens – le meilleur dans ce qu’il a de plus désirable. Cela donnerait une belle collection, mais sans réelle âme. Dans le cas de Paul Destribats, on sent qu’il a acquis de grandes pièces (on a pu s’en rendre compte dans les vacations précédentes), sûrement aussi à une époque où celles-ci étaient encore abordables, mais que ses choix se sont aussi portés avec discernement sur des ouvrages moins recherchés d’un aussi grand intérêt.
André BRETON. Épreuves corrigées du Manifeste du surréalisme, juillet 1924. Ces épreuves complètes sont les seules aujourd’hui connues (est.: 70/100 000 €) © Christie’s Images
Une quête qui lui a fait dénicher, à côté des grands noms du surréalisme, des auteurs moins collectionnés, des ouvrages alliant, avec recherche, un auteur à un illustrateur plus confidentiel. Des textes, dont certains sont marginaux, mais signent parfaitement une époque, une école, un état d’esprit ou une philosophie.
Tout cela donne à cet ensemble une cohérence et une âme qui ne doit rien à l’épate, mais tout à l’amour de ces auteurs et artistes qui souvent, révolutionnèrent le regard et l’esprit. Cette bibliothèque semble être le fruit autant d’un érudit que d’un bibliophile dont les recherches l’ont amené à acquérir des manuscrits, des éditions originales, souvent avec des envois (dédicaces) prestigieux, mais aussi et surtout des ouvrages et des ensembles d’études, truffés de très nombreux ajouts, des placards de correction, des ouvrages dont beaucoup ne sont pas reliés, mais « tel que parus », des dossiers regroupant cent photos, essais raturés, manuscrits, brouillons.
De Breton à Penone !
Dans cette cinquième et dernière vacation, on ne retrouvera pas toute la flamboyance des première et deuxième avec leur cohorte d’ouvrages parmi les plus mythiques et recherchés, dans leur état associant souvent à un texte primordial des gravures et ajouts les rendant uniques et souvent habillés de
reliures dues aux plus grands noms de cet art encore par trop méconnu. Non, et après une 4e vente consacrée aux avant-gardes russes, cette ultime vacation recèle peut-être ce qui a fait le cœur de la démarche de Paul Destribats, à savoir des textes, souvent confidentiels, d‘auteurs d’une autre importance qu’il est bon de remettre en lumière.
Pour citer quelques noms présents ici : Robert Ganzo, Tita, Jean-Pierre Duprey, Henri Pichette, Nora Mitrani, Claude Tarnaud, Luca Ghérasim et beaucoup d’autres preuves de l’esprit affuté et curieux de ce grand bibliophile. Il en est de même avec les illustrateurs, car si on trouve les très attendus Miró, Picasso, Dali, Matta ou Lam, on y découvre aussi de nombreux artistes dépassant les limites du surréalisme puisque cette dernière vente fait des incursions dans le futurisme, la pataphysique, le lettrisme ou l’École de Nice.
Naturellement, la vente laisse une large place au maître du mouvement, André Breton, avec de nombreux ouvrages, de la correspondance, des manuscrits et surtout, acmé de cette vente, les épreuves corrigées complètes de son mythique Manifeste du Surréalisme truffé de quelques pages manuscrites et de collages originaux auxquels sont joints les épreuves avec corrections de Poisson soluble, le tout habillé en maroquin janséniste par Jean-Paul Miguet (est. 70 / 100 000 €).
Breton, Éluard, Dali…
Les estimations, quant à elles permettent de rêver puisqu’elles commencent à quelques centaines d’euros pour des ouvrages en édition originale signés Desnos, Ribemont-Dessaignes ou Crevel, pour monter, à plusieurs milliers d’euros comme pour ce désirable exemplaire de L’Immaculée conception signé Breton, Éluard et Dali avec un envoi à René Char, l’édition originale de 1930 sur papier saumon (est. 6 / 8 000 €) ou cet étrange ouvrage de 15 « pages » en aluminium Marinetti, Parole en libertà Futuriste. Tattili-Termiche olfattive Rome, Edizioni Futuriste di Poesia, 1932 dont on ne connaît que très peu d’exemplaires (est. 8 / 12 000 €), sans oublier naturellement l’indispensable ouvrage de Bellmer, La Poupée. Rappelons que la première édition originale (Die Puppe) vit le jour à Karlsruhe en 1934 à compte d’auteur et à très peu d’exemplaires. La vente ici en recèle deux exemplaires dans l’édition originale française éditée par GLM en 1936. L’un étant un des 5 de tête sur Japon avec une photographie originale dans une reliure de Leroux, l’autre n’étant (!) qu’un des 80 sur papier rose mais truffé d’une photo originale supplémentaire, d’un dessin original et d’une longue lettre autographe adressée à Paul Éluard ! (est. de chaque 30 / 40 000 €).
Il s’agit donc d’une vente dans laquelle l’attention sera autant de mise pour y trouver de grands textes par de grands auteurs surréalistes (ils sont tous là) que pour dénicher la perle rare, l’écrit d’un auteur confidentiel et découvrir de très nombreux artistes illustrateurs des plus évidents à certains modernes et même contemporains comme Fontana, Alechinsky, Toroni, Penone, Ben, Messager, Monory, Titus-Carmel, Fontana, Veličković ou Traquandi. Preuve, si besoin était, de la grande richesse de cette ultime vente.
Paul Destribats. Une bibliothèque des Avant-gardes, partie V
En vente chez Christie’s 9 avenue Matignon (Paris 8e)
le 3 novembre 2022 à 10h30 (lots 1 à 80) et 14h30 (lots de 81 à 249)
le 4 novembre 2022 à 10h30 (lots 250 à 330) et 14h30 (lots de 331 à 447)
Expositions publique : du 26 au 31 octobre de 10h à 18h et le 2 novembre de 10h à 16h
Site de la vente : ici