Les galeries Perrotin et Diane de Polignac nous révèlent l’œuvre, un peu oubliée et peu vue, de Gérard Schneider qui est, avec Hartung et Soulages, le co-fondateur de l’abstraction lyrique française. Artiste majeur de la scène abstraite du XXe siècle, il a eu un parcours des plus enviables. Représenté par de prestigieuses galeries, exposé dans le monde entier, présent dans les plus grands musées, son œuvre est devenue discrète et reste étonnement peu connue et peu représentée. Ces deux accrochages le remettent enfin en lumière.
Accrochage « Gérard Schneider : la fureur de peindre » Galerie Perrotin Second marché, jusqu’au 17 décembre 2022
Accrochage « Gérard Schneider. Lyrisme(s) » à la Galerie Diane de Polignac, jusqu’au 17 décembre 2022
Posté le 12 février 2023
Vue in-situ de l’exposition Gérard Schneider Galerie Perrotin Second marché © Schneider / Adagp, Paris, 2022. Courtesy of the Estate of Gérard Schneider et Perrotin / Photo: Tanguy Beurdeley.
Sans titre, 1938 © Schneider / Adagp, Paris, 2022. Courtesy of the Estate of Gérard Schneider et Galerie Diane de Polignac

Opus 343 - 1947 © Schneider / Adagp, Paris, 2022. Courtesy of the Estate of Gérard Schneider / Courtesy Galerie Diane de Polignac

Opus 64B - 1954 © Schneider / Adagp, Paris, 2022. Courtesy of the Estate of Gérard Schneider / Courtesy Galerie Perrotin

Vue in-situ de l'exposition à la Galerie Perrotin © Schneider / Adagp, Paris, 2022. Courtesy of the Estate of Gérard Schneider / Courtesy Galerie Perrotin

Sans titre - 1959 © Schneider / Adagp, Paris, 2022. Courtesy of the Estate of Gérard Schneider / Courtesy Galerie Diane de Polignac

Vue in-situ de l'exposition galerie Perrotin. Œuves de 1983 et 1985 © Schneider / Adagp, Paris, 2022. Courtesy of the Estate of Gérard Schneider et Galerie Perrotin

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La présentation par la galerie Perrotin, dans son nouvel espace de l’avenue Matignon, d’un accrochage d’œuvres de Gérard Schneider (1896-1986) ouvre d’entrée une réflexion sur ces galeries du premier marché (celui des artistes vivants, présentés souvent en exclusivité par une galerie) qui investissent le second marché. Ce nouvel espace ne cache pas cette volonté en portant le nom de « Perrotin, second marché ».
Par second marché, on entend les galeries (nombreuses) qui font commerce d’œuvres d’artistes, en général disparus ou dont la représentation n’est plus vraiment représentée en exclusivité par une galerie dite du « premier marché ». Diversifiant ainsi leur portefeuille et leurs revenus face aux aléas de la scène contemporaine par ailleurs dispendieuse.
Étonnant ? Pas vraiment quand on regarde cet appétit qu’ont depuis quelques temps déjà certaines grandes galeries actuelles (Kamel Mennour, Christophe Gaillard, Louis Carré, Almine Rech, Gagosian ou Nathalie Obadia entre autres) de contracter des « estates » auprès de la famille d’un artiste ou des ayants droit afin d’assurer leur assisse financière et de valoriser, si besoin était, l’œuvre du défunt. Et donc de miser sur une valeur sûre et historique – comme c’est le cas d’Hans Hartung aujourd’hui chez Perrotin – dont la côte ne peut qu’évoluer au vu de la demande d’un marché friand d’assurance et d’artistes réputés. Reste toutefois un « travail » à faire pour remettre en piste des artistes quelques fois un peu oubliés.
Ce fut le cas de Georges Mathieu (1921-2012), artiste flamboyant des années Pompidou, abrité de nombreuses années dans la défunte Galerie Rive Droite puis à la galerie Protée et tombé, sinon en désuétude, du moins plus « à la mode » et qui profita d’un regain d’intérêt lors d’une exposition au Jeu de Paume en 2002 (période Daniel Abadie) et du travail de la galerie Applicat-Prazan qui le présenta à la FIAC en 2014. Lui aussi est aujourd’hui représenté par… la galerie Perrotin !
Gérard Schneider, chantre de cette abstraction lyrique aux côtés des Hartung et Soulages, fut, dès 1950, l’un des artistes de la mythique galerie Louis Carré, fondée en 1938 et qui s’enorgueillait d’être l’une des grandes galeries d’après-guerre aux côtés des galeries Louise Leiris, Maeght, de France ou Jeanne Bucher. On peut s’étonner de le retrouver aujourd’hui dans une galerie dont le fonds de commerce est des plus contemporains, galerie de quelques pointures de notre époque comme Maurizio Cattelan, Win Delvoye, Takashi Murakami, JR ou Xavier Veilhan, quelques noms parmi la soixantaine d’artistes qui font les beaux jours des neuf espaces que ce surprenant entrepreneur, d’une cinquantaine d’années, a ouvert sur plusieurs continents.
Le parcours et l’art de Gérard Schneider est donc à reconsidérer, il est l’un de ces artistes injustement déconsidérés dont la côte – qui ne prévaut en rien de la qualité de son travail mais reste toutefois un indicateur des plus fiables de l’engouement sur son
Opus 493 – 1951 © Schneider / Adagp, Paris, 2022. Courtesy of the Estate of Gérard Schneider / Galerie Diane de Polignac / Ph.: D.R.
nom – est plus qu’abordable et pourtant, si l’œuvre est inégale, il y a un corpus d’œuvres d’importance qui, lié à son parcours, coche toutes les cases de l’artiste à remettre sur le devant de la scène.
Élève des Beaux-arts de Paris en 1918, il se cherche dans les années qui suivent, tâtant de l’impressionnisme, du surréalisme, puis devient résolument abstrait au milieu des années 40, une abstraction structurée proche de celle d’un Jean Deyrolle et qui lui ouvre la galerie Denise René. Sa rencontre avec Hartung en 1947 et Soulages deux ans après, aux préoccupations proches des siennes, décide de la suite de son travail. Relatant cette période, Hartung notera dans ses mémoires : « Nous nous sommes développés conjointement d’une manière instinctive et naturelle ».
Ce n’est qu’à l’âge de 50 ans passés qu’il est révélé sur la scène artistique en devenant l’un des pionniers de cette abstraction lyrique qui lui ouvre les cimaises de différentes galeries d’avant-garde de l’époque : Denise René, Lydia Conti, Louis Carré à Paris et Betty Parsons Gallery et Kootz Gallery à New York et de le voir invité dans différentes biennales à travers le monde (1948, 1954, 1964, 1966 à Venise, 1951 et 1953 à São Paulo et Turin, 1955 et 1959 à la Documenta de Cassel) et, dès 1945 le Musée national d’Art moderne lui achète une toile, début de sa présence aux cimaises des plus grands musées. Et pourtant, avec un tel parcours et une œuvre si conséquente, ne devrait-il pas avoir une aura plus brillante ?
Sans titre – 1952 © Schneider / Adagp, Paris, 2022. Courtesy of the Estate of Gérard Schneider et Perrotin / Ph.: D.R..
Chez Perrotin on accroche un ensemble d’une trentaine d’œuvres qui mêle deux périodes de son art. Une première approche, celle des années soixante en une abstraction dramatique, proche de l’expressionnisme américain, que l’on peut trouver par exemple chez Franz Kline, au lyrisme posé ici sur des fonds noirs ou sombres que zèbrent des couleurs sourdes et donnent à ses compositions des accents dramatiques jouant des codes de la calligraphie japonaise comme le relevait le critique et historien de l’art abstrait Michel Seuphor : « Schneider est de tous les peintres abstraits européens sans doute celui qui se rapproche le plus de la calligraphie abstraite japonaise ». D’où probablement sa grande popularité là-bas.
L’autre période est celle qui signe l’arrivée sur sa palette de l’acrylique dans les années 70 qui va donner à son art des fulgurances aux couleurs vives, presque pures voire électriques,
qu’il plaque, d’un geste toujours ample et nerveux, sur des fonds monochromatiques tout aussi colorés. Il ose des chocs de couleurs usant de jaunes qui côtoient des rouges, des verts et des bleus, qui ne sont pas sans rappeler le travail chromatique du Matisse des gouaches découpées. Cette nouvelle manière, moins introspective peut-être se joue sur une gamme plus attrayante et est présentée ici sous forme de grandes compositions accrochées sur un fond d’un bleu profond qui accentue – en bien ou en mal ? – la perception brutale de cette débauche chromatique. La profondeur perd ce que la gaîté gagne.
Une première remise en selle avait eu lieu en 2006 lorsque la galerie Applicat-Prazan lui offre un solo show à la FIAC qui démontre avec force la puissance de son travail. Sa représentation aujourd’hui dans une galerie d’importance et très scrutée, va lui redonner sa place. Cette première pierre posée se double, chez Diane de Polignac, qui s’est aussi attelée à son catalogue raisonné (consultable en ligne ici), par un accrochage d’une dizaine d’œuvres.
Ces deux accrochages auront au moins le mérite premier de remettre en lumière l’œuvre d’un des pionniers français de l’abstraction lyrique, trop longtemps cantonné dans l’ombre des deux géants Hartung et Soulages.
Gérard Schneider : la fureur de peindre
Galerie Perrotin Second marché, 8, avenue Matignon (Paris 8e)
À voir jusqu’au 17 décembre 2022
Site de la galerie : ici
Gérard Schneider. Lyrisme(s)
Galerie Diane de Polignac, 2bis rue de Gribeauval (Paris 7e)
À voir jusqu’au 17 décembre 2022
Site de la galerie : ici