Dans la galaxie des photographes humanistes qui eurent leur heure de gloire durant les années 50/60, Frank Horvat (1928-2020) est resté étonnement peu connu du public et pourtant, son œuvre n’a en rien à pâlir à côté de celles des « stars » de l’époque et du genre que furent les Robert Doisneau et Willy Ronis. De plus, il partage avec le premier, d’avoir lui aussi fait de la photo de mode. Si chez Doisneau cette parenthèse dans sa carrière est dû en grande partie d’avoir été, un temps, sollicité par Vogue. Horvat, par contre, fit de cette discipline l’un des fondements de son travail et de son art. Et soi dit, sans chauvinisme, son travail sur la mode ne rougit pas d’être placé en regard de celui d’un Avedon ou d’un Parkinson.
Paris étant la capitale de la mode, il était donc normal, voire évident, que la photographie en rendit compte avec des photographes du cru. Horvat (avec Willy Maywald) fut l’un des pionniers qui fit sortir la mode dans la rue, ne négligeant pas, pour autant, le travail en studio. À regarder aujourd’hui ses clichés, on constate qu’il définit parfaitement les canons classiques du genre en étant nullement daté comme peut l’être le travail d’un Horst ou d’un Beaton et qu’il tient allègrement la comparaison avec les grands noms du genre. Son regard humaniste, l’autre facette d’importance de son œuvre, cerne au plus près, dans des cadrages serrés, la rue. On le suit partout : une exposition florale à Londres, des mineurs dans le Borinage, une fête de Pâques en Cisjordanie, des fumeurs de haschich pakistanais, des adolescents dans une soirée à Tokyo, des amoureux australiens, etc.
Un tour du monde avec son regard dans lequel son humanisme rejoint celui d’un Cartier-Bresson avec toutefois une réelle volonté de témoignage et de documentation sans cette volonté, toujours présente et affichée d’HCB, de vouloir soigner son cadre. Le travail d’Horvat, sur ses rencontres aux quatre coins du monde, est fait d’instantanés qui révèlent des moments de vie. Une manière qui le situe plus du côté de William Klein (qui, voyant les photos d’Horvat, lui aurait demandé un conseil technique !) avec cette volonté d’occupation complète de son cadre, focalisant sur le sujet toute son attention.
Du Jardin des Modes à Vogue !
Frank Horvat est né dans une famille juive à Abbazia en Italie (aujourd’hui Opatija en Croatie) d’un père médecin. Ses parents se séparent alors qu’il a six ans. Ballotté par l’Histoire, il se retrouve en Suisse en 1939 avec sa sœur. En 1944, il échange sa collection de timbres contre un appareil photo et, quatre ans plus tard, il embauché dans une petite agence de publicité. En 1949, il émigre en Israël, où il effectue ses premiers reportages. En 1951, il est à Paris, rencontre Cartier-Bresson qui lui donne quelques conseils et dès lors il commence une carrière de reporter-photographe et se spécialise dans des reportages documentaires.
En 1957, avec l’aide de William Klein, il rentre dans la mode en commençant à collaborer au magazine Jardin des Modes, commençant ainsi à fréquenter le tout Paris des arts.
Dès lors, tout semble s’emballer, la mode toujours, avec un pied dans le magazine Elle, puis l’on voit peu à peu sa signature dans les prestigieux Harper’s Bazaar, Queen, et naturellement dans le mythique Vogue ! Son entrée dans la prestigieuse agence Magnum le voit alors parallèlement sur tous les fronts : de la campagne Nixon/Kennedy aux États-Unis à un sujet sur le Grand Nord, un autre sur la drogue au Pakistan et le voilà au Népal pour la première ascension de l’Everest ! Ses reportages couvrent les pages des plus grands magazines du monde.
Horvat, c’est une carrière qui commence en Italie dans les années 40 et qui s’achève à sa disparition, soit plus de 70 ans à regarder, ausculter, témoigner de la beauté comme des désordres du monde.
Cet ouvrage est le catalogue d’une exposition qui eut lieu au château de Tours, exposition axée sur ces années 50-65 et qui fait la part belle aux deux facettes de son travail. Deux intéressants textes accompagnent notre parcours au sein de son œuvre. Virginie Chardin nous trace un portrait intime du photographe tandis que Susanna Brown nous entraîne, elle, dans les arcanes de la mode vue par ce grand photographe. L’indispensable ouvrage sur ce photographe encore par trop méconnu.
FRANCK HORVAT 50-65
Sous la direction de Virginie Chardin, Susanna Brown et Bernard Wooding
Éditions de La Martinière. 288 pages, 250 ill., 45 €