La fondation Custodia nous propose un bel accrochage de dessins du XIXe siècle, mais aussi et surtout d’aller à la rencontre de Léon Bonvin, artiste peu connu, à l’œuvre rare qui disparut à l’âge de 31 ans, laissant en héritage des dessins et des aquarelles parmi les plus émouvants et poétiques qui soit. Des œuvres, dont la plupart sont conservées aux États-Unis, et qui, pour la première fois, peuvent être contemplées ici. Une belle découverte.
Exposition Dessins français du XIXe siècle et Léon Bonvin (1834-1866) à la Fondation Custodia jusqu’au 8 janvier 2023.
Fortuné Delarue (actif vers 1794), La Famille Ciceri, 1829 © Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris

Attribué à François Marius Granet (1775 – 1849), Terrasse à Castellar, 1846 © Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris

Eugène Isabey (1803 – 1886), Vue d’un village de la côte normande © Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris

Louis Cabat (1812-1893) Paysage avec une fontaine à Ariccia, 1839 © Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris

Gustave Doré (1832-1883) Paysage montagneux sous la neige © Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris

Théophile Narcisse Chauvel (1831-1909) La Mare aux Fées, 1854 © Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris

Léon Bonvin, Route dans la plaine de Vaugirard, 1863 © Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris

Léon Bonvin, Portrait du père de l’artiste, 1856 © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Tony Querrec

Léon Bonvin, Nature morte à la grenade, 1864 © Baltimore, The Walters Art Museum

François Bonvin (1817-1887), Vue du comptoir de l’auberge de Vaugirard s.d. © New York, Collection particulière

Léon Bonvin, Deux figures au bord d’une route de campagne, 1861 © Baltimore, The Walters Art Museum

Léon Bonvin, Route de campagne avec un paysan, 1863 © Baltimore, The Walters Art Museum

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Une fois n’est pas coutume, la Fondation Custodia qui nous réserve toujours des expositions classiques d’un très haut niveau dans ses salles du 1er étage aime à réserver son sous-sol à la mise en avant d’un artiste contemporain. Cette fois ce sont les salles du sous-sol qui retiennent toute l’attention. Il nous y est présenté une exposition d’œuvres Léon Bonvin (1834-1866), un artiste peu connu, mort à 31 ans et dont la majorité des travaux sont conservés Outre-Atlantique. C’est une véritable découverte à laquelle nous sommes conviés.
Au premier, nous est proposé un accrochage de dessins français du XIXe siècle issus de la collection même de la fondation. Une thématique qui est bien dans l’ADN du lieu et de la fondation, devenue un acteur majeur en ce qui concerne ce média. Le fondateur de la fondation Custodia, Frits Lugt (1884-1970), ne jurait que par la période allant du Moyen Âge à la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ce n’est qu’après sa disparition que les directeurs de la fondation prirent « progressivement conscience que le XIXe siècle offrait de grandes possibilité ». Et s’il arrivait à Frits Lugt de faire quelques emplettes hors de sa période d’élection, il avait le discernement affuté pour choisir des feuilles signées Millet, Ingres ou Degas !
Des achats que l’on retrouve ici. En revanche, il ne fut pas séduit par les Impressionnistes comme Manet, Cézanne, Degas, et négligea même Delacroix et Géricault ! Les successeurs de Frits Lugt à la tête de la Fondation élargirent le cadre de la collection au XIXe siècle avec même des incursions dans le XXe mais restèrent fidèles à l’esprit et aux choix thématiques qui présidaient aux acquisitions du fondateur : le paysage, les figures et le portrait. Des sujets que l’on retrouve donc dans les salles de la Fondation qui a pour valeur première de nous présenter des artistes reconnus comme Gustave Doré, Léon Lhermitte, Gavarni, Johan Barthold Jongkind, Eugène Isabey, Eugène Boudin, Félix Bracquemond, Jean-François Millet ou Ker-Xavier Roussel. Mais la Fondation tient également à présenter bon nombre d’artistes peu vus et moins connus qui trouvent ici une reconnaissance de leur talent.
Mais comme dit plus haut, c’est, dans les salles du sous-sol, espace généralement dévolu à la présentation d’un artiste contemporain, que l’on trouve une véritable révélation, celle d’un artiste injustement oublié, Léon Boivin, une vie courte pour une œuvre dont la tranquille assurance étonne. D’entrée, on sent, par la poésie et la subtilité de son art que Léon Bonvin dû être un homme sage, tranquille et discret. Son art, fait de dessins et d’aquarelles d’une extrême poésie, sont la résultante de la contemplation du monde tranquille qui l’entoure, et engendre de suite la fascination. Avec une précision rare, mais toujours empreint d’une touche de douceur, il nous dépeint un monde, le sien, fait de paysages tranquilles, de scènes de genre simples, d’études poussées d’un rien… un bouton de rose, un bouquet de fleur, une rue déserte embrumée, un jeune garçon lisant, un intérieur d’auberge. Rien ne semble le départir de son calme. On pourrait presque dire son regard s’extasie sur des choses que l’on ne regarde pas et que lui contemple.
De lui on ne connaît que peu d’images. À l’époque, se faire « tirer le portrait » était onéreux. En ouverture de l’exposition, toutefois, on peut le voir photographié à l’occasion de son mariage (son épouse est sur une autre épreuve faisant pendant), et en fin de parcours un émouvant autoportrait, dédicacé à son épouse, daté du 19 janvier 1866… soit quelques jours seulement avant que l’artiste ne mette tragiquement fin à ses jours. Désespéré, pouvait-on lire dans Le Barreau en 1866, « de sacrifier sa muse à la marmite » en travaillant
d’arrache-pied dans l’auberge familiale et malgré cela, pouvant offrir qu’une vie misérable à sa petite famille. Il eut, lit-on, « un moment de défaillance bien pardonnable… las de lutter et n’espérant plus rien. »
Cet autoportrait ultime, ce précieux témoignage, a été acquis par la Fondation Custodia en 2016. Pour le reste, une grande partie des œuvres présentées ici est issue des collections du Walters Art Museum de Baltimore, principal prêteur. Ce fonds abrite en effet l’ensemble d’œuvres de Léon Bonvin le plus important au monde, 57 sur les 116 connues et repérées à ce jour (le catalogue qui accompagne l’exposition est le catalogue raisonné présentant donc l’intégralité de ses œuvres). Un ensemble constitué essentiellement du vivant de l’artiste par un agent américain vivant à Paris qui se portait acquéreur des œuvres pour le collectionneur de Baltimore.
Des sujets puisés alentour
François Boivin, son frère, était un peintre réaliste qui eut son heure de gloire en son temps et œuvra dans le cénacle culturel et artistique de l’époque. Une aura qui cacha peut-être la courte carrière de son frère. Forcé de consacrer son temps à travailler dans l’auberge familiale située à Vaugirard, village qui était alors à la périphérie de Paris, il occupait ses rares loisirs à dessiner et peindre en s’inspirant de son environnement immédiat : l’intérieur de l’auberge familiale, les champs alentours et cette plaine de Vaugirard alors encore très champêtre et ouvrière avant d’être rattachée à Paris.
L’exposition s’ouvre avec une série de dessins à la pierre noire qui ne sont pas sans rappeler les crayons Conté que Seurat exécutera plus de deux décennies plus tard. Des dessins avec des ombres tranchées, des éclairages diffus, des contrastes appuyés qui donnent à ces images une impression de solitude, tout à l’image d’une passion partagée par personne. Pas ou peu de personnages, une femme de dos œuvrant dans l’auberge familiale, un garçon lisant et un portrait, celui de son père, tête baissée comme si ce portrait avait été exécuté furtivement.
Son frère ne s’y était pas trompé en encourageant son cadet à continuer dans cette voie, d’autant que c’était lui « qui avait mis le premier crayon à la main de son jeune frère » pouvait-on lire dans La Gazette des Beaux-Arts en 1888. Suite aux conseils de François, Léon va oser la couleur, les thèmes sont identiques. La couleur permet de jouer sur la lumière, apporter des fulgurances de vert, rouge, orange. L’auberge toujours, son espace de vie, donne ce magnifique portrait d’une cuisinière (Cuisinière au tablier rouge dans l’auberge à Vaugirard, 1862) tout à son travail. Encre, gouache et aquarelle enchantent sa palette et en 1863 ses natures mortes apparaissent. Fruits, légumes, tables dressées qui font penser à Chardin et ses bouquets de fleurs à Fantin-Latour.
Toujours partagé entre l’auberge familiale et son environnement direct, il se rapproche du sol et décrit, à la plume et l’aquarelle, rosiers sauvages, chardons, fleurs des champs nuançant son propos selon la lumière du jour et ce, avec la précision
d’un botaniste et la poésie d’un naturaliste. Ernest Chesneau, critique et ami de Boivin, qui lorsqu’il fréquentait l’auberge de Vaugirard, se voyait entraîné par Boivin dans une pièce, son atelier de fortune, où il pouvait à loisir contempler ses « aquarelles bien précises – écrira-t-il – où s’épanouissent toutes les fleurettes des champs, des fouillis de broussailles… motifs uniques d’une naïveté rendue avec simplicité qui égale et dépasse, en ses résultats les habilités les plus hautaines ». Peu au XXe siècle s’intéressèrent à lui, sinon une poignée de collectionneurs et rares, nous rappelle Gabriel Wesiberg dans le catalogue, furent les écrits parus à son sujet. Trop rares pour préserver son souvenir. Inutile de préciser qu’il nous est donné, là, une occasion rare de contempler 80 œuvres, soit les deux-tiers de son œuvre, avant que celles-ci retraversent l’Atlantique pour longtemps.
Fondation Custodia, 121 rue de Lille (7e).
Tous les jours sauf le lundi de 12h à 18h.
À voir jusqu’au 8 janvier 2023
Accès :
Métro : Ligne 12. Station Assemblée Nationale
Bus : lignes 83, 84 et 87. Arrêt Assemblée Nationale
Site de l’exposition : ici
Catalogues
Dessins français du XIXe siècle. Fondation Custodia
Éd. Fondation Custodia, 2022
351 pages, 145 illustrations env., 40 €
Léon Bonvin (1834–1866). Une poésie du réel
Éd. Fondation Custodia, 2022
304 pages, 170 illustrations env., 35,00 €