La Fondation Louis Vuitton, devenue en huit ans, un lieu incontournable offrant des expositions majeures, nous propose la rencontre de deux artistes, Claude Monet et Joan Mitchell, deux œuvres qui puisent leurs racines dans la nature en un étonnant face-à-face. Tous deux, nous délivrent leur vision d’une même nature, celle de l’orée de la Normandie là où Monet s’installa en 1878 et Joan Mitchell en 1968. Une exposition majeure de deux grands noms du siècle dernier.
Exposition Claude Monet – Joan Mitchell à la Fondation Louis Vuitton jusqu’au 27 février 2023
Vue in-situ de l’exposition. Le triptyque de l’Agapanthe de Claude Monet. Trois parties, disséminées dans trois musées différents, réunies ici pour la première fois ! © Ph.: Fondation Louis Vuitton
Claude Monet. Les Agapanthes, 1916-1919 © Musée Marmottan Monet, Paris
Joan Mitchell. Quatuor II for Betsy Jolas, 1976 © The Estate of Joan Mitchell
Claude Monet. La maison de l’artiste vue du jardin aux roses, 1922-1924 © Musée Marmottan Monet, Paris
JM
Claude Monet. Glycines, 1919-1920 © Musée Marmottan Monet, Paris
Joan Mitchell. La Grande Vallée, 1983 © Fondation Louis Vuitton / The Estate of Joan Mitchell
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En l’espace de huit ans, depuis son ouverture en octobre 2014, la fondation Louis Vuitton, installée dans le paquebot de l’architecte américain Frank Gehry en plein bois de Boulogne, est devenue l’endroit qui affiche des records de fréquentation jusqu’à dépasser le million de visiteurs pour chacune des expositions consacrées aux collections Chtchoukine et Morozov. Ce qui prouve, si besoin était encore, de son rayonnement et de sa « force » à faire venir à Paris des collections et des œuvres prestigieuses.
Celle en cours actuellement ne déroge pas à cette règle puisque qu’elle a réussi, par exemple, le tour de force de faire sortir de grands musées américains (Cleveland Museum of Art, Saint Louis Art Museum et le Nelson-Atkins Museum of Art à Kansas City) les trois parties disséminées d’un triptyque Monet, afin de les rassembler (Grande Décoration, le triptyque de l’Agapanthe, 1915-1926, de près de 13 mètres de long !) afin de l’exposer dans son intégralité pour la première fois !
Dans ce « dialogue et rétrospective » consacré à Claude Monet (1840-1926) et Joan Mitchell (1925-1992), il ne s’agit nullement de jouer au jeu des ressemblances, et ne pas y chercher non plus l’influence qu’aurait eu sur l’américaine notre grand impressionniste. Même si cette dernière disait admirer son travail. Comment, du reste, pourrait-il en être autrement ? Mais plutôt à y chercher une communauté de regard entre un homme pétri des avancées de son temps et qui va révolutionner le regard au point, dans
Joan Mitchell. La Grande Vallée XIV (For a Little While), 1983. © Centre Pompidou, Paris. Musée national d’art moderne – CCI / Ph.: D.R.
ses dernières années (un problème oculaire aidant entre 1912 et 1923), qu’on peut voir, dans son travail, une vraie tentation de l’abstraction ; et une artiste américaine, accompagnant l’émergence d’un art moderne outre-Atlantique et qui va donner sa propre interprétation de la nature. Leur seul point commun, en résumé, serait que tout deux puisent dans cette nature matière à leur art. Autre point commun : cette campagne à l’orée de la Normandie où s’installe, en 1878 à Vétheuil puis cinq ans plus tard à Giverny, Monet. Et, presque un siècle plus tard, en 1968, Joan Mitchell qui plante ses pénates à son tour à Vétheuil dans l’air et l’espace de Monet.
Si lui avait pensé et agencé, petit à petit, un immense jardin fleuri en toutes saisons avec un plan d’eau sur lequel sont posés des nymphéas. Une eau tranquille reflétant des saules pleureurs et enjambé d’un pont japonais vert. Jardin qui sera son unique modèle les vingt dernières années de sa vie ; « mon plus beau chef d’œuvre », avait-il l’habitude de dire ; le jardin de Joan Mitchell ressemble, lui, à un sage potager avec ses rangs de salade et ses tuteurs à tomates, quelques massifs de dahlias associés à un verger. Un sage jardin comme on en voit tant. Tout autour la nature, la même qu’ils contemplaient tous deux à plusieurs décennies de distance. Cette nature qui va dicter à leur art sa vision. Toute à la fois pareille dans l’esprit et pourtant quelque peu différente dans la forme.
Du jardin à la jungle…
Sur lui, elle imprime un calme doucereux mélangeant sans heurt les tons pastel – parme, vert, avec des touches de blanc, jaune et orange, dont pourtant, il va s’affranchir vers la fin des années dix jusqu’à sa disparition, sa palette devenant chahutée par son regard abîmé par la maladie, un maelström de couleurs enchevêtrées qui transforme son jardin en jungle. Elle, ose les couleurs franches, brutes avec toujours ce caviardage de son jaune citron, son bleu roi s’étirant vers le violet et son vert, ses couleurs signatures, que viennent troubler toute la palette possible des autres couleurs. Sa jungle rejoint celle du père de l’Impressionnisme en saturant, comme lui, l’espace de la toile. Pas d’échappatoire, pas de ciel…
Claude Monet. Le Pont japonais, 1918-1924 © Musée Marmottant Monet, Paris / Ph.: D.R.
Il fallait pourtant, au-delà de la simple évocation visuelle, trouver des ponts entre les deux artistes. Ceux-ci ne viennent naturellement que du côté de l’Américaine. Elle admire le français, celui justement présenté ici ! « J’aime le dernier Monet, mais pas celui des débuts » déclare-t-elle au critique Irving Sandler dès 1958. Monet et les États-Unis, une histoire qui commence seulement en 1924, soit deux ans avant la disparition du peintre, lorsque Durand-Ruel organise une exposition des Nymphéas à New York, et c’est seulement dans les années 1950 que l’on se penchera vraiment sur ses dernières années dans lesquelles certains feront un rapprochement avec l’abstraction et l’on avancera même le terme un peu barbare « d’impressionnisme abstrait » qui signe aussi le travail des Hans Hofmann, Willem de Kooning, Franz Kline ou Mark Rothko ! Les mêmes paysages que ceux contemplés et peints par Monet auraient-ils influencé l’art de Mitchell ? Si certains sont tentés de l’affirmer, elle affirme une « totale indépendance artistique », mais on ne peut s’empêcher de penser que dans sa mémoire, Monet était sûrement présent.
Quant à lui, le regard affecté par une cataracte et corrigé par des verres teintés (cf. L’exposition Monet, l’œil impressionniste au Musée Marmottan Monet en 2008 qui traitait de ce problème) en venait à lisser les contours de la flore, de l’eau, privilégiant la couleur sombre et sourde, presque indéfinie, à la forme. Joan Mitchell, elle, en artiste de son temps, ne se pose sûrement pas la question de la forme que pour simplement travailler sur le ressenti – rejoignant en cela Cézanne et Van Gogh – que cette nature imprime sur sa toile avec force.
Sans oublier, non plus, son rapport à la musique – art abstrait s’il en est – qui est évoqué aussi ici (Two Pianos, 1980 ; Quatuor II for Betsy Jolas ; 1976). “Ma peinture est abstraite, disait-elle, mais c’est aussi un paysage ». Et d’ajouter : « Si je ne le sens pas, je ne peins pas » confiait-elle à Suzanne Pagé lors de l’exposition de 1982. Et en cela, elle rejoint effectivement le Monet du début du XXe siècle.
L’exposition forte d’une soixantaine d’œuvres (34 de Monet et 24 de Mitchell) provoque de par leur mise en dialogue le sentiment diffus parfois d’une œuvre à quatre mains. Si les toiles de Monet nous sont familières et souvent vues (vingt-trois toiles ont été prêtées par le Musée Marmottan Monet), la réelle découverte et valeur de l’exposition est cet accrochage de toiles de Joan Mitchell (qui avait fait l’objet de deux expositions, la première au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 1982, puis en 1994 au Jeu de Paume).
Claude Monet. Le bassin aux nymphéas, 1917-1919 © Collection privée
Et enfin, souvent, à contrario, des œuvres de Monet – si on excepte le triptyque de l’Agapanthe présenté ici – qui sont souvent de taille habituelle, celles de Mitchell peuvent prendre des dimensions avoisinantes pour certaines les 4 m ((River, 1989 : Two Pianos, 1980) et même plus lorsqu’il s’agit de triptyques (Quatuor II for Betsy Jolas ; 1976 de 6,80 m de long ou La Grande Vallée XIV de même taille !) ou comme le quadriptyque Edrita Fried, qui avoisine les 8 m de long !
Suzanne Pagé, directrice artistique de la Fondation Louis Vuitton et commissaire générale de l’exposition, justifie ce rapprochement entre Monet et Mitchell « sur la base d’objectifs similaires – là où se croisent, avec des dosages différents, perception, sensation, sentiments, rémanence et mémoire – cette exposition trouve sa légitimité à travers les solutions, inventées par les deux peintres, à savoir une approche commune des couleurs ».
Fondation Louis Vuitton 8, avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne, Paris (16e).
À voir jusqu’au 27 février 2023
Accès
Métro : ligne 1 station Les Sablons (950 m)
Bus : Ligne 73 arrêt La Garenne-Colombes – Charlebourg
Navette : Sortie n°2 de la station Charles de Gaulle Étoile – 44 avenue de Friedland (8e)
Ouvert les lundi, mercredi et jeudi de 11h à 20h, le vendredi de 11h à 21h, nocturne le 1er vendredi du mois jusqu’à 23h, et les samedi et dimanche de 10h à 21h. Fermeture le mardi
Site de l’exposition : ici
Catalogues
Monet – Mitchell sous la direction de Suzanne Pagé
Co-édition Hazan, Fondation Louis Vuitton, Musée Marmottant Monet
240 p., plus de 200 ill. dont 4 grands dépliants de 8 pages, 39,90 €
Joan Mitchell par Sarah Roberts
Co-édition Hazan, Fondation Louis Vuitton
402 p. plus de 300 ill., 49,90 €