Un nouvel ouvrage de Raymond Depardon est toujours, en soi, un événement qui suscite la curiosité. Et pourtant, le corpus de ses ouvrages est impressionnant puisque l’on en recense plus de 50 (loin derrière un Martin Parr qui affiche 130 publications, lui-même devancé par le japonais Araki dont certains avancent le nombre de… 500 ouvrages !). Dans la bibliographie de Depardon, il y a parfois des redites, des assemblages sous une thématique de photos déjà vues par ailleurs, mais en général, tant son œuvre est immense, les ouvrages sont édités sur des thèmes bien précis, renvoyant à des reportages bien identifiés, et ce, depuis son ouvrage sur le Tchad à la recherche de Françoise Claustre, otage, en 1974, des rebelles toubous qui donna lieu à l’édition d’un ouvrage en 1977, jusqu’à celui accompagnant l’exposition à l’Institut du Monde arabe en 1922, Son œil dans ma main. Algérie 1961-2019, sur ses images prises à Alger en 1961 et en 2019.
Entre ces deux bornes, une vie à parcourir le monde, à observer la planète humaine et à en analyser les bouleversements, le tout raconté en images dans des ouvrages dont certains sont devenus des incontournables de l’édition photographique comme Correspondance New-Yorkaise, San Clemente, La Colline des Anges, retour au Vietnam (1972-1992) ou La Terre des paysans, pour citer les jalons importants de son œuvre bibliographique.
Mais entre deux sujets, deux reportages, deux commandes, dans cet « entre-temps » que fait Raymond Depardon ?… Il fait des photos ! Ces moments d’attente, suspendus entre deux départs, il les met à contribution pour se pencher sur des rencontres, des scènes de rues à regarder la vie de tous les jours.
Il n’est plus vraiment Depardon, mais redevient Raymond, le Raymond de la ferme du Garet de son enfance lorsqu’il photographiait les siens, leur vie et celle des alentours, des clichés encore un peu amateurs qu’il développait dans un labo bricolé dans « un débarras à côté de l’évier » racontait-il dans l’un de ses tous premiers ouvrages La Ferme du Garet (Éditions Carré 19995 réédité en 2006 chez Actes Sud).
Ce dernier opus, qu’il nous présente aujourd’hui, « difficile à situer dans l’espace-temps » explique Toubiana dans la postface, est donc un peu plus lui-même que les autres, peut-être, plus de liberté, pas de contraintes, la vie au fil des balades, « comme si le photographe marchait à la dérive – souligne Toubiana – avait perdu ses repères et semblait naviguer à vue« . L’ouvrage est très justement titré Entre-Temps, comme un parfait trait d’union, un lien qui unit tous les ouvrages de sa bibliographie entre eux en un continuum photographique déroulant le ruban d’une vie entièrement voué à prendre, en photos et films, le pouls du monde, des grands événements aux petits riens de la vie.
Raymond Depardon, Entre-temps
Texte : Serge Toubiana
Éditions Atelier/EXB. 140 pages. 92 photos. 45 €
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