Afin de commémorer, dans une certaine allégresse, le cinquantenaire de la disparition de Picasso en avril 1973, le musée parisien éponyme a fait appel au couturier et designer Paul Smith et lui a confié le soin d’imaginer une mise en scène, une scénographie, en un parcours qui retrace l’œuvre du malaguène. Si le pari est en partie réussi, il a ses limites et peu parfois bousculer, dans certaines salles, la perception que l’on a des œuvres exposées.
« Célébration Picasso, la collection prend des couleurs ! » au musée Picasso jusqu’au 27 août 2023
De gauche à droite : Pablo Picasso La Lecture, Boisgeloup 2 janvier 1932 ; Femme assise au chapeau, Paris mai 1939 ; Portrait de Dora Maar, Paris 1937 ; Femme assise au chapeau, Paris 1939 © Musée national Picasso / Succession Picasso 2023 / Ph. : D.R.
Nu assis (étude pour Les Demoiselles d'Avignon), Paris hiver 1906-1907 © Musée national Picasso / Succession Picasso 2023 / Ph. : D.R.
Portrait d'Olga dans un fauteuil, 1918 ; Femme enceinte, 1949 ; La Liseuse, 1953. Au centre : L'Arrosoir fleuri, 1951-1953 © Musée national Picasso / Succession Picasso 2023 / Ph. : D.R.
Femme assise dans un fauteuil rouge, 1932 ; Tête de femme, 1931-1932 ; Femme au fauteuil rouge, 1932 © Musée national Picasso / Succession Picasso 2023 / Ph. : D.R.
Le Déjeuner sur l'herbe d'après Manet, Vauvenargues 3 mars-20 aout 1960 et Mougins 12 juillet 1961© Musée national Picasso / Succession Picasso 2023 / Ph. : D.R.
Affiches des expositions. Tête de femme n° 3, portrait de Dora Maar, Janvier-juin 1939 ; Portrait de femme au chapeau à pompons, janvier-mars 1962 © Musée national Picasso / Succession Picasso 2023 / Ph. : D.R.
Le Jeune peintre, 14 avril 1972 © Musée national Picasso / Succession Picasso 2023 / Ph. : D.R.
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Pour commémorer les 50 ans de la disparition de Picasso en 1973, on attendait du musée qui le célèbre – et fut rendu possible justement par la dation suite à sa disparition en 1973 – de voir comment commémorer cette date emblématique. Picasso célébré, reconnu, commémoré, exposé, étudié, presque disséqué, dans les moindres détails de sa vie et de son œuvre, comment faire pour de nouveau lui rendre hommage ? Cécile Debray, présidente du musée et Joanne Snrech, responsable des peintures du musée, ont eu l’idée de « fêter » joyeusement cette date en axant leur accrochage sur la couleur. Et pour ce faire, elles ont fait appel à un chantre du genre, éclectique et cultivant ce brin de folie qui caractérise souvent les Anglais : le couturier et designer Paul Smith.
Le challenge « consistait à me donner carte blanche pour montrer l’œuvre du peintre » explique Paul Smith, et comme il le reconnaît lui-même n’étant en rien historien de l’art, ni connaisseur de l’œuvre du malaguène, il ne pouvait « travailler » que sur la périphérie de l’accrochage : la scénographie. « D’une certaine manière, je me prémunis contre d’éventuelles critiques de certains connaisseurs ou spécialistes, qui pourraient penser que l’exposition, telle que je l’ai conçue, est irrespectueuse. Il faut garder à l’esprit qu’il m’a été précisément demandé d’adopter une approche non-académique, de marquer l’occasion en abordant les choses différemment. ».
Créer un choc visuel
L’idée étant de présenter une sélection d’œuvres emblématiques et les accrocher par thèmes, chromatique ou stylistique, voire par genre ou période, et de demander à l’invité de broder autour une scénographie qui, pour n’avoir ainsi jamais été vue, éclaire étonnement les œuvres qu’elle sert et leur offre un nouveau cadre qui les entoure. Créant ainsi un choc visuel qui nous invite à regarder autrement ces œuvres que l’on a souvent vues jusqu’à même plus vraiment les regarder.
« En règle générale, les œuvres de Picasso que j’ai vues – et j’en ai vu beaucoup, dans de nombreuses expositions à travers le monde – sont généralement accrochées de façon plutôt minimaliste, d’une manière qui me paraît assez traditionnelle. J’espère offrir un point de vue moins conventionnel, qui suscite une expérience plus visuelle, capable de retenir l’attention des jeunes publics et des personnes qui n’ont pas une connaissance approfondie du travail de Picasso. C’est une approche plus spontanée, qui relève davantage de l’instinct. » explique Paul Smith. Si pour beaucoup de salles, cette scénographie étonnante agrémente le parcours en un accord parfait avec les œuvres, pour certaines autres, cette scénographie par trop présente noie, absorbe les œuvres, les phagocyte en prenant le pas sur elles. C’est le cas dans les salles Assemblages et collages et Rayures, révélant les limites de l’exercice. Comme un trait d’union entre leurs deux univers – celui du peintre
Pablo Picasso. Paul en Arlequin, 1924 © Succession Picasso 2023 / Ph. : D.R.
et celui du couturier – on entre dans l’exposition par un clin d’œil à « l’artiste en Vogue » en une présentation de pages du grand magazine de mode dont les pages furent, en 1951, caviardées par Picasso qui s’amusa à détourner les photos de mode en un jeu farce dans lequel diablotins, personnages caricaturaux s’invitent auprès des mannequins. Cette entrée en matière ouvre le champ des salles qui, chacune, répond par son décor aux œuvres présentées. Si la première, consacrée au cubisme, ne nous donne pas vraiment matière à voir le lien entre décor et œuvres, il n’en est pas de même pour les suivantes.
Murs roses pour la période des Demoiselles…, un patchwork de papiers peints pour nous présenter quelques collages, une salle entièrement bleue pour la période du même nom et un quadrillage reprenant à l’identique l’habit de l’iconique Paul en Arlequin de 1924 pour la salle sur le thème du théâtre. Ainsi se déroule au gré de l’inspiration du couturier les salles. Sage lorsqu’il s’agit de celle consacrée au « classicisme », cette période ingresque du « retour à l’ordre » ou rouge… sang pour nous parler de tauromachie. La subtilité n’est pas toujours de mise… Au 2e étage, une sélection d’œuvres dans lesquelles Picasso se joue des rayures permet à
De gauche à droite : Pablo Picasso : Nu couché et homme jouant de guitare, Mougins, 37 octobre 1970 ; La Famille, Mougins, 30 septembre 1970 ; Jeune fille assisse, Mougins, 21 novembre 1970 © Musée national Picasso / Succession Picasso 2023 / Ph. : D.R.
notre décorateur d’y aller des siennes sur l’ensemble de la salle, offrant une illusion d’optique un brin mal venue. Et il en est ainsi sur les 38 salles avec bonheur souvent et quelques couacs. La visite sur le point historique balaie parfaitement l’œuvre et les périodes du peintre en 180 œuvres. Il y a des surprises, toutefois, comme cette salle, recouverte d’affiches d’expositions, qui nous montre, si besoin était, de l’importance de l’œuvre de Picasso et de ses traces dans le monde entier. Notre voyage s’achève en une dernière salle dans laquelle trône un portrait, le dernier, exécuté un an avant sa mort et titré, peut-être ironiquement, Le Jeune peintre, ultime pied de nez à la vieillesse et qui nous renvoie, comme une somme, l’alpha et l’oméga d’une œuvre toujours aussi vivante, sur laquelle le temps ne marque pas son passage.
Célébration Picasso. La collection prend des couleurs !
Musée Picasso, 5 rue de Thorigny (3e).
À voir jusqu’au 27 août 2023
Du mardi au vendredi : 10h30 – 18h Samedis, dimanches et Jours fériés (sauf les lundis) : 9h30 -18h00.
Accès :
Métro : ligne 8 stations Saint-Sébastien-Froissart ou Chemin Vert
Bus : 20 : Saint-Claude ou Saint-Gilles Chemin Vert, 29 : Rue Vieille Du Temple, 65 : Rue Vieille Du Temple, 75 : Archives – Rambuteau, 69 : Rue Vieille du Temple – Mairie 4e et 96 : Bretagne
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Célébration Picasso. La collection prend des couleurs !
Coédition Beaux Arts éditions / Musée national Picasso-Paris. 176 p., 25 €