Qu’on les nomme bistrot, troquet, café, tabac, rade, zinc, bistroquet ou plus juridiquement débits de boissons, ils sont le commerce de proximité numéro un de nos villes comme de nos campagnes. Quand le bistrot ferme le village se meure. On aimerait les voir inscrits au Patrimoine immatériel de nos contrées (ils seraient en lice apprend-on !) mais ce n’est pas demain la veille. Nos bistrots seraient en péril ! Si, si, de 200 000 en 1960 il n’en reste plus (!) que 40 000 soit moins d’un par village. La désertification bistrotière nous guette donc ! Et pourtant, ces lieux de ralliement sont autant des marqueurs de notre identité que nos cantines étoilées, nos monuments pour touristes et autres musées pour scolaire en demande de connaissance. Que ce soit l’ouvrier matinal qui vient y prendre son jus (et calva) histoire de terminer sa nuit, le même qui vient y déguster son plat du jour revigorant sans oublier les sangsues de comptoir qui squattent le zinc dès potron-minet en une seconde maison, les Travolta d’arrière-salle, les retraités esseulés, ou simplement le pochetron larmoyant, le philosophe arabe, le jeune chômeur dynamique ou le vieux cadre fatigué. Le troquet c’est leur planche de salut, leur seconde (et des fois seule) famille.
Le rade c’est l’endroit où l’info (la vraie !) circule, où on refait le monde, où l’on chante, où l’on cache son amour dans une arrière-salle, où l’on pleure aussi parfois, ou l’on arrose les examens du petit dernier, on gratte le jeu avec des espérances de jours meilleurs, où les plus sportifs viennent apporter leur voix lors d’un match, jouer au baby ou tâter du flipper. Et les plus mélomanes remettent pour le vingtième fois le Connemara de Sardou. L’endroit où l’on trouve toujours quelqu’un à qui parler pour briser sa solitude, des petits riens du quotidien au grande déclaration noyée dans un ballon servi au ras du col. On y épanche son chagrin ou on y partage son bonheur… Des lieux où le (la) bistrotier(e) est à la fois marraine, parrain, ami(e), psy, frère ou sœur
Guillaume Blot, marchand sur les brisées d’un Martin Parr – l’ironie et la distance en moins, mais la tendresse en plus – a poussé 220 portes en 4 ans, traqué les lieux comme leurs habitants et habitués, ces lieux qui révèlent leur humour comme leur détresse. Des images prises sur le vif, sans apprêt, des clichés « peinards, accoudés au comptoir… ». On sent une certaine tendresse dans les photos de Guillaume Blot, comme de fixer un monde qui peu à peu disparait, avec une nostalgie aussi, d’un pays qui glisse inexorablement vers des lieux par trop standardisés, sans âme, dans lesquels l’humain n’a pas vraiment sa place. Ici il est au centre… « Des lieux résistants » comme il les nomme, où la poésie se décline sur la devanture avec pour titre le CD Rhum, le Bar du Capitaine, Chez Odette, Le Zorba, Le Pénalty, le Bar ou le Café des Sports, Chez Coco, Corinne Adel (sans e), Reinette ou Rocky et tant d’autres. Un opuscule qui sent bon nos villages et leurs habitants qui se retrouvent en une fraternelle communion sans chichi.
« Et l’photographe y paie sa tournée ! »
RADES
Photographies de Guillaume Blot
Préface de Pierre Adrian et Philibert Humm
168 pages, 140 photos, 28 €