Le Centre Pompidou nous invite à découvrir une sélection d’œuvres de Gilles Aillaud prenant comme thème la faune sauvage emprisonnée et exploitée dans les zoos et autres animaleries. Thème qu’il traite dans un réalisme emprunté à l’art figuratif de son temps. Une réflexion autant politique que philosophique qui nous interroge sur notre relation au vivant.
Exposition Gilles Aillaud. Animal politique au Centre Pompidou jusqu’au 26 février 2024
Cage aux lions, 1967 © Courtesy Loevenbruck, Paris/ Ph.: Fabrice Gousset / Adagp Paris 2023
Gilles Aillaud (1928-2005) fait partie de ces peintres figuratifs qui opposèrent leur art à l’abstraction triomphante dans la seconde partie du XXe siècle, les Adami, Combas, Arroyo, Boirond, Di Rosa, Raysse, Télémaque (présenté ici en 2015), Rancillac et autre Monory, dont l’art semble retrouver la faveur du public après une période de purgatoire…. Compréhensible pour certains dont l’œuvre, un brin datée, sent bon les Trente Glorieuses, quand d’autres, tel Gilles Aillaud, s’affranchissent aisément de cela. Ces artistes ont, toutefois, enfanté une génération de peintres contemporains qui œuvrent, eux aussi, dans ce sens. Et pour Didier Ottinger le commissaire de l’exposition : « L’objectivité manifeste de son art fait de lui, le père putatif d’une nouvelle génération d’artistes que fascine un réalisme emprunté aux technologies modernes de l’image. »
Ces peintres qui osèrent s’affronter avec le réel, et le peindre ne se limitèrent pas à une simple contemplation béate devant leur sujet, mais bien souvent de porter un message ou une réflexion sur ce réel, dans une optique soit sociale, politique, sociétale ou écologique. C’est le cas de Gilles Aillaud (1928-2005), à qui le Centre Pompidou rend hommage en nous accrochant une quarantaine d’œuvres de ce peintre que l’on pourrait croire accro aux parcs zoologiques si son œuvre ne présentait pas une réflexion profonde sur l’enfermement, le manque de liberté que nous affligeons aux animaux.
Tel la Fontaine, il transfère sur ses toiles au travers de la cause animale notre rapport au pouvoir et au vivant. Son art, en ce sens, revêt une aura politique comme nous le rappelle le seul tableau de l’exposition qui n’a pas attrait aux animaux (La Bataille du riz, 1968), son œuvre emblématique, montrant dans les rizières vietnamiennes un prisonnier que l’on suppose américain emmené par un soldat d’évidence Viêt-Cong (La Bataille du riz, 1968, d’après La Petite maquisarde une photographie de Phan Thoan). Afin de renforcer l’idée de liberté, celle-ci a une place de choix au centre de l’exposition. Un discours né dans ces années de protestation, ces années dans lesquelles bon nombre de philosophes, comme Sartre, Guérin ou Marcuse agitaient pensées et réflexions sur une société en mutation et en étudiaient les dérives. Aillaud apportait alors sa pierre à cette dénonciation en « peignant philosophiquement », lui qui, faute d’avoir pu devenir philosophie, entra en peinture. Peu importe le support… somme toute.
Un répertoire de l’emprisonnement
Et pour encore mieux asséner son propos, il va à l’encontre de la démarche des promoteurs de ces lieux d’internements d’animaux qui veulent souvent recréer un espace qui se veut au plus près de leur milieu naturel. Les zoos multiplient les rochers, troncs, mares, verdure (vraie ou fausse) afin de cacher une misère que ces animaux subissent loin de leur milieu naturel. Gilles Aillaud accentue ces lieux de captivité en les représentant dans des compositions dans lesquelles les lignes droites, les angles, les constructions géométriques prennent le pas sur l’animal lui-même et ce dans une manière proche du pop art et de cette société du spectacle, dénoncée alors par Debord.
Et les animaux dans tout ça ? Ils sont là, comme oubliés, isolés, dénaturés dans ces environnements loin de la nature, des vitrines pour visiteurs en recherche de dépaysement ou d’exotisme. Ils sont là comme abandonnés au regard, dans ces univers impersonnels fait du gris du béton et du métal, des couleurs incongrues du carrelage et du bleu-piscine des bassins ou posés sur les branches mortes d’un arbre improvisé, et entourés du treillage en fer des cages. Un environnement que le jeune Aillaud a dû piocher sur la planche à dessin de son père architecte.
Voyage au Kenya
Et malgré tout, ces animaux, Gilles Aillaud nous les restitue comme en eux-mêmes,
Les Pingouins, 1972 © Musée d’Art contemporain de Marseille / Adagp Paris 2023 / Ph.: D.R.
dans leur identité. Il soigne le rendu du pelage d’un lion, d’une panthère ou d’un orang-outan, le toucher rugueux d’une peau d’éléphant ou de rhinocéros, les pointes acérées des porcs-épics ou la carapace d’un crocodile. Il leur rend leur beauté sauvage, leur identité, accentuant par là même leur condition d’emprisonnés. Dans ces remous de 68, Gilles Aillaud fait une peinture politique, qui dénonce pêle-mêle l’asservissement, le capitalisme, la pensée dominante et dominatrice, les inégalités. Une société dans laquelle le vivant est devenu objet de domination, de contrôle et d’exploitation. Et soudain, vers la fin des années 80 suite à un voyage au Kenya, il libère ses animaux ! Représente des girafes et topis dans leur savane, un éléphant marchant nonchalamment après la pluie ou les oiseaux du lac Nakuru en des œuvres libératoires. Comme une respiration.
Au centre de l’exposition son « Encyclopédie de tous les animaux », fresque forte de presque 200 dessins, en noir et blanc, comme dessinés dans l’urgence. Une sorte d’état des lieux de ce qui est et pourrait disparaître, où il répertorie, en des dessins pris, vite fait, sur le vif, le monde du vivant que l’homme, le pire animal d’entre eux, met en péril. Là encore, Gilles Aillaud le politique, rejoint notre époque.
Centre Pompidou, place Georges Pompidou (4e).
À voir jusqu’au 26 février 2024
Tous les jours de 11h à 22h (fermeture des espaces d’exposition à 21h)
Le jeudi jusqu’à 23h (uniquement pour les expositions temporaires du niveau 6)
Accès :
Métro : Rambuteau (ligne 11), Hôtel de Ville (lignes 1 et 11), Châtelet (lignes 1, 4, 7, 11 et 14)
RER : Châtelet Les Halles (lignes A, B, D)
Bus : 29, 38, 47, 75
Site de l’exposition : ici
Rhinocéros, 1979 © Centre national des arts plastiques / Adagp, Paris, 2023/ Cnap
Catalogue
Gilles Aillaud. Animal politique
Sous la direction de Didier Ottinger et Marie Sarr
Éditions du Centre Pompidou
192 pages, 150 ill., 35 €