Pour sa dernière grande exposition avant fermeture jusqu’en 2030, le Centre Pompidou nous propose une plongée dans les mouvements artistiques, mais aussi sociétaux et politiques des communautés africaines, caraïbéennes, afro-américaines ou latino-américaines qui essaimèrent à Paris de 1950 aux années 2000. Leur importance, leurs apports et leur empreinte dans notre société.
Exposition Paris Noir au Centre Pompidou jusqu’au 30 juin 2025
Vue d’une salle de l’exposition. Au centre : Ousmane Sow, Marianne et les révolutionnaires, 1989 (Musée du quai Branly – Jacques Chirac / Adagp Paris 2025). Au mur à gauche : Fodé Camara, Parcours no 1, 1988 (Centre national des arts plastiques). William Ajété Wilson, L’Enfant des barricades, 1989 (Collection de l’artiste). Sur le mur à droite : Silvano Lora, Machetes y hornos de la revolución (Machettes et fourneaux de la révolution), 1989 (Collection MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne). Ph.: D.R.
Premier Congrès des écrivains et artistes noirs, Paris, septembre 1956 © Présence Africaine Éditions, 1956 / Ph. : Lutetia

Georges Coran. Délire et paix, 1954 © Collection Claude Coran

Raymond Honorien. Sans titre, après 1956 © Collection Famille Glaudon

José Castillo. Los Cimarrones (Les Marrons), 1994 © Collection Marie-Annick Seneschal - Castillo

Henri Guédon. K.K.K., 1979-1983. Collection particulière Gladys et Laëtitia Guédon

José Legrand. Sans titre, 1975 © Collection de l’artiste

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Si l’attention est des plus louables, bien qu’un peu tardive, il faut se rendre compte que cette exposition que nous présente, avant fermeture, le Centre Pompidou, est assez confuse. De plus, elle est nécessaire au vu de la lacune sur le sujet et de l’importance de la diaspora artistique noire, à laquelle il n’avait jamais été, jusqu’alors, prêtée attention. C’est chose faite… Mieux vaut tard que…
Concernant le déroulé de l’exposition, un chapitrage tente de délimiter les sections en une scénographie en étoile qui rend l’ensemble un brin anarchique. Mais, peut-être est-ce somme toute volontaire (ou non), afin de rendre au mieux l’atmosphère bouillonnante qui régnait au sein de la communauté artistique noire au siècle dernier. Ce qui augmente cette sensation est que de ces communautés africaines, caraïbéennes, afro-américaines ou latino-américaines, sont issus d’artistes, dont la presque totalité, sont quasiment inconnues en France, bien qu’elles aient laissé une indéniable empreinte sur la vie artistique par leurs œuvres ou laissant, dans leur sillage, des traces que l’on peut déceler çà et là par ailleurs.
Beauford Delaney, James Baldwin, vers 1945-1950 © Estate of Beauford Delaney / Courtesy of Michael Rosenfeld Gallery LLC, New York
Gerard Sekoto, Self-Portrait (Autoportrait), 1947 © The Kilbourn Collection / Estate of Gerard Sekoto / Adagp, Paris, 2025
L’exposition est bornée par Le Discours sur le colonialisme (1950) d’Aimé Césaire, puis par le premier Congrès des artistes et écrivains noirs à la Sorbonne en 1956, et la présentation s’étire jusqu’à l’orée des années 2000. Une période qui vit aussi des mouvements protestataires remettant en cause Paris comme terre d’accueil, déclenchant des grèves dans les foyers de travailleurs immigrés, voire aussi l’organisation de marches de luttes pour l’égalité et contre le racisme. Des manifestations dont plusieurs photographes et cinéastes révélèrent les conditions de vie et leurs revendications dans des documents montrés ici.
La représentation de ces communautés s’affirme aussi dans la photo, le cinéma ainsi que dans la mode avec l’apparition de mannequins noir(e)s, à l’image de Grace Jones sublimée par le photographe Jean-Paul Goude. Sortent aussi de l’ombre des figures historiques comme Joséphine Baker.
Présence africaine, une revue fédératrice
Une prise de conscience d’un courant panafricain et de la pensée anticolonialiste se révèle en cette époque dans laquelle beaucoup de nations, africaines notamment, prennent (ou conquièrent) leur indépendance, et agitent ces différentes communautés. À la manœuvre, Aimé et Suzanne Césaire et leur revue Tropiques et surtout Alioune Diop et sa revue Présence Africaine (fondée en 1947) vont ouvrir une fenêtre sur la culture panafricaine.
Comme beaucoup d’artistes venus d’ailleurs pour se former, ou se frotter, à Paris, « la capitale des arts » ou fréquenter les ateliers, les écoles, et les académies et dans les musées comme au Louvre où ils découvrent, s’imprègnent, copient ou étudient la culture occidentale. Leur art, venant se mélanger à notre culture occidentale, va donner, peu à peu, naissance à des manières, des thèmes et des représentations qui leurs sont propres. « La peinture classique m’a beaucoup appris, mais les fauves aussi (…) leur palette parlait à ce que j’avais apporté d’Afrique », souligne le peintre Iba N’Diaye.
Ernest Breleur. Sans titre (Série Fwomajé), 1988 © Collection Fondation Clément / Adagp, Paris 2025
Wifredo Lam, Umbral, 1950 © Succession Wifredo Lam / Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris / Ph.: Centre Pompidou, Mnam-Cci/Georges Meguerditchian / GrandPalaisRmn / Adagp, Paris, 2025
Leurs thèmes et sujets doivent souvent se regarder à l’aune de la politique, du social ou de l’histoire, mais aussi, pour certains, ils sont puisés dans leur regard sur leur environnement et leur communauté d’exil. Cafés, clubs de jazz et autres lieux de rencontre – comme la Cigale, le Harry’s Bar ou encore le restaurant Chez Haynes, promoteur de la « soul food » – sont le terreau d’échanges et de confrontations. Ces lieux forment des phalanstères où se forge une émancipation autant politique qu’artistique.
Des artistes peu montrés en France
Les influences sont nombreuses dans le Paris de la seconde moitié du XXe siècle. Confrontés aux « ismes » de l’époque, les artistes agrègent leurs racines au postimpressionnisme, à l’École de Paris ou au cubisme, puis aux avant-gardes comme le surréalisme, CoBrA mais aussi à la découverte de l’abstraction lyrique ou de l’expressionnisme abstrait. En une sorte de tentative de reconnaissance, beaucoup des artistes présentés ici sortent de la gangue occidentale pour, peu à peu, forger une grammaire qui leur est propre. Ils sont en cela soutenus par une diaspora soudée et revendicative afin d’asseoir, dans la rue comme dans les revues engagées, la reconnaissance à laquelle elle aspire.
Si quelques-uns de ces artistes nous sont familiers, comme Hervé Télémaque, Agustín Cárdenas, Wilfredo Lam, Alonso Cuevas, Beauford Delaney, Ousmane Sow, Jorge Camacho ou Joaquin Ferrer (ces deux derniers étonnements oubliés ici) car représentés par des galeries, sinon importantes ou plus confidentielles, voire militantes. Quant aux autres, que l’on peut enfin découvrir au fil de l’accrochage, sont souvent restés dans leur atelier. Une expo foisonnante, forte de plus de 150 artistes ( environ 500 œuvres, photos, films ) afro-descendants et de l’Afrique aux Amériques, forment le corpus de l’exposition avec des œuvres qui, pour beaucoup, n’ont souvent jamais été montrées en France. Une indispensable exposition qui fera date comme en son temps l’exposition Les Magiciens de la terre.
Centre Pompidou, place Georges Pompidou (4e).
À voir jusqu’au 30 juin 2025
Tous les jours de 11h à 21h, sauf le mardi
Le jeudi jusqu’à 23h (pour les expositions temporaires du niveau 6)
Accès :
Métro : Rambuteau (ligne 11), Hôtel de Ville (lignes 1 et 11), Châtelet (lignes 1, 4, 7, 11 et 14)
RER : Châtelet Les Halles (lignes A, B, D)
Bus : 29, 38, 47, 75
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Paris noir.
Circulations artistiques et
luttes anticoloniales, 1950-2000.
Sous la direction d’Alicia Knock,
Éditions Centre Pompidou
320 pages. 49 €