Artemisia Gentileschi fut, en son temps au XVIIe siècle, une artiste reconnue et adulée. État rare à cette époque où les femmes n’étaient pas reconnues et interdites d’enseignement artistique. Elle développa un œuvre dans la foulée du caravagisme, des œuvres fortes, au clair-obscur envoutant comme on peut le constater ici avec des prêts exceptionnels.
Exposition Artemisia. Héroïne de l’art au musée Jacquemart-André jusqu’au 3 août 2025
Vue de l’exposition. De gauche à droite : Michelangelo Merisi, dit Caravage, Le Couronnement d’épines. Vers 1605 (© Banca Popolare di Vicenza S.p.A.). Orazio Gentileschi, Le Couronnement d’épines, 1613-1615 (© Brunswick, Herzog Anton Ulrich-Museum). Artemisia Gentileschi, David avec la tête de Goliath, v.1610 (© Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten). Ph. : N. Héron / Culturespaces
Artemisia Gentileschi, Judith et sa servante, v. 1615 © Florence, Gallerie degli Uffizi / del Ministera della Cultura

Artemisia Gentileschi, Vénus endormie, vers 1626 © Virginia Museum of Fine Arts / Ph.: Troy Wilkinson

Artemisia Gentileschi, Autoportrait en joueuse de luth, 1614-1615 © Hartford CT. Wadsworth Atheneum Museum of Art / Ph.: A. Phillips

Artemisia Gentileschi, Esther et Assuérus, vers 1628 © New York, The Metropolitan Museum of Art

Artemisia Gentileschi, Portrait d’un gentilhomme (Antoine de Ville), vers 1626-1627 © Christie’s

Artemisia Gentileschi, Cléopâtre, Vers 1620-1625 © Fondazione Cavallini Sgarbi

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Puisque peu connue du grand public, on n’en est que plus gré, au musée Jacquemart-André, d’accrocher les œuvres de cette artiste femme, Artemisia Gentileschi (1593-1653), née à Rome et qui vécut à une époque où celles-ci avaient tant de difficultés à être reconnues. Et, qui plus est, elle fut l’une des premières femmes peintres à jouir d’une grande reconnaissance en son temps. S’il y en avait d‘autres alors, peu, sinon aucune, n’atteignirent ce degré de reconnaissance. Fille d’Orazio Gentileschi, peintre exerçant sous l’aile de quelques princes et du pape, il l’initia très tôt au dessin et aux techniques de son art, ayant débusqué assez tôt, chez elle, un certain talent. Lui exerce son art à la manière de Caravage, avec cette prédilection pour le clair-obscur qui reste le fondement du caravagisme, un courant apparu dans les premières années du XVIIe siècle, proche du baroque et en opposition au classicisme de la Renaissance. Une manière qui se caractérise par des œuvres puissantes jouant du clair-obscur et aux tonalités affirmées.
Artemisia Gentileschi, Madeleine pénitente, vers 1625 © Séville, Catedral de Sevilla / Ph. : Catedral de Sevilla
Artemisia Gentileschi, Suzanne et les vieillards, 1610 © Pommersfelden, Kunstsammlungen / Ph. : akg-images / MPortfolio / Electa
Très vite, dès 1609, de concert, le père et la fille vont travailler et réaliser d’importantes commandes pour les rois de France et d’Angleterre, car, comme toujours, alors ce sont les mécènes qui, non seulement font vivre les artistes, mais ce sont eux, aussi, qui imposent, lors des commandes, les thèmes (souvent bibliques ou mythologiques) qu’ils veulent voir exécuter. Les premières salles reviennent sur cette complicité familiale dont cette spectaculaire œuvre, reprenant un thème très usité alors de Suzanne et les vieillards (1610), signée par Artemisia et réalisée sous la supervision de son père… Et qui, pourtant, fut longtemps attribuée à ce seul dernier.
À cette époque, il arrive à Artemisia de modifier certaines œuvres paternelles pour y apporter une touche ou une atmosphère plus dramatique qui plaît tant alors. Peu à peu, elle s’émancipe du giron paternel par des compositions puissantes, dynamiques contrastant avec la sensibilité et une certaine élégance des œuvres paternelles encore quelque peu fidèles à la tradition de la Renaissance.
Abusée par un ami de son père
En 1611, alors âgée de 17 ans, un drame survient dans sa vie : elle est violée par un certain Agostino Tassi, peintre et ami de son père. Ce dernier l’avait commis comme précepteur pour sa fille, car elle ne pouvait alors, avoir accès à l’enseignement des Beaux-Arts réservé aux hommes ! Pour sauver son honneur – et surtout pour éviter un procès – Tassi lui promet de l’épouser… promesse qu’il ne tiendra pas ! L’affaire est portée devant un tribunal qui découvre que, non seulement, Tassi est déjà marié, qu’il avait ourdi un complot pour assassiner l’amant de son épouse et, de plus, qu’il avait déjà violé sa belle-sœur ! Il est condamné à cinq ans d’exil… mais, protégé par le pape, il reste en ville jusqu’en 1613.
Peu après, Artemisia se marie avec une connaissance de son père et le couple part vivre à Florence, quittant Rome où elle ne reviendra qu’une décennie plus tard. Un mari qui, très vite, disparaîtra de sa vie. Artemisia dès lors, assumera seule son foyer, à tel point que le peintre néerlandais Leonarert Bramer fera d’elle, en 1620, un portrait… habillée en homme et affublée d’une moustache ! Certains pensent que la violence qui se dégage de certaines de ses œuvres, dont la spectaculaire Judith décapitant Holopherne (v. 1620., conservée aux Offices à Florence), pourrait être considéré comme le ressentiment à cette funeste agression.
Un sens aigu du drame
À Florence, elle connait un certain succès qui, fait exceptionnel, lui ouvre les portes de l’Académie de dessin. Reconnue et demandée, elle dirige alors un atelier pour répondre aux demandes avec, comme l’époque le voulait, de nombreuses évocations de sujets et thèmes issus de la mythologie et de l’histoire sainte. Ces thèmes sont déclinés en modèles, avec un travail sur les corps et la psychologie des personnages à l’image de sa bouleversante Madeleine en pénitence (v. 1625, un prêt de la cathédrale de Séville) ou, cet autre, prêt d’une galerie londonienne.
Artemisia Gentileschi, Yaël et Siséra, 1620 © Budapest, Szépművészeti Múzeum
Peintre caravagesque, elle n’a pas son pareil pour travailler les clairs-obscurs avec un sens aigu du drame et des scènes naturalistes et violentes, avec une science très élaborée de la représentation des corps, peignant directement d’après un modèle vivant posant pour elle. À Florence, elle gravite autour de la cour des Médicis, dont le grand-duc Cosme II, et dans tous les cercles artistiques de la capitale florentine.
Mais au-delà des œuvres inspirées par la Bible ou la mythologie, elle se révèle une portraitiste des plus talentueuses, reconnue et appréciée des florentins. Elle partagera dès lors sa vie en un retour à Rome, puis à Venise, qu’elle quitte, fuyant une épidémie de peste pour s’installer à Naples.
Invitée par le roi d’Angleterre !
Dès lors, sa réputation va au-delà de son pays. En 1638, on la retrouve à Londres, invitée par le roi Charles Ier, elle rend également visite à son père, installé depuis 1626 et devenu peintre à la cour et l’aide à réaliser le plafond de la Maison de la Reine. Son père décédera en 1639. Artemisia laissera quelques œuvres faites sur place et revient en Italie, à Naples, où elle décède vers 1656, pense-t-on, de la peste qui y sévit alors. Elle est enterrée à Naples, à San Giovanni dei Fiorentini, dans la chapelle Del Riccio.
Dans cette exposition pour laquelle certains prêts d’importance ont été obtenus à l’image de son David et Goliath (v. 1610-1620), ici exposé pour la première fois en France, et sa Danaé (v. 1612), prêt du musée de Saint-Louis, on y voit aussi ses œuvres associées à celles d’autres artistes qui tracent le portrait de cette artiste d’exception dont les compositions furent souvent copiées. Preuve, s’il en était, de son importance dans une époque où être artiste femme demandait, en plus d’un talent hors pair, une extrême volonté.
Musée Jacquemart-André, 158 boulevard Hausmann (8e).
À voir jusqu’au 3 août 2025
Ouvert du lundi au jeudi de 10h à 18h, le vendredi de 10h à 22h
Samedi et dimanche de 10h à 19h.
Accès :
Métro : Lignes 9 et 13, stations Saint-Augustin, Miromesnil ou Saint-Philippe-du-Roule
RER : Ligne A, station Charles de Gaulle-Étoile
Bus : Lignes 22, 43, 52, 54, 28, 80, 83, 84, 93
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Artemisia. Héroïne de l’art
Sous la direction de Patrizia Cavazzini, Maria Cristina Terzaghi et Pierre Curie
Co-édition Fonds Mercator / Culturespaces
208 pages / 110 ill. 40 €