Le musée Picasso nous a habitué à recevoir des artistes venus se frotter au maître des lieux. Sophie Calle, elle, prend carrément ses aises en rendant hommage à Picasso au rez-de-chaussée, et s’accapare les étages supérieurs pour nous présenter les grandes constantes de son travail. Une exposition dans laquelle il est question de séries, de ratages, de sentiments, de vie, de craintes, doutes, espoirs avec toujours la mort qui rôde. Une exposition un brin fantasque, drôle ou grave, inventive comme surprenante, tout à l’image de cette artiste qui œuvre hors des sentiers battus.
Exposition Sophie Calle. À toi de faire, ma mignonne au Musée Picasso jusqu’au 7 janvier 2024
Les Picasso confinés. Pendant le confinement Sophie Calle est invitée à visiter le Musée Picasso dans lequel les tableaux sont eux aussi « confinés », protégés par du papier kraft. Les photos de ces Picasso confinés font l’ouverture de l’exposition © Sophie Calle / Adagp, Paris 2023 / Ph.: D.R.
Les « Picasso fantômes ». Les œuvres sont dissimulées derrière des rideaux diaphanes sur lesquels Sophie Calle inscrit un dialogue avec elles et le peintre. © Sophie Calle / Adagp, Paris 2023 / Ph.: D.R.
Les « Picasso confinés ». L’iconique chèvre de Picasso, elle aussi confinée, est emballée. « Une présence fantomatique, moins intimidante” © Sophie Calle / Adagp, Paris 2023 / Ph.: D.R.
« Guernica » : une composition de 200 œuvres d’artistes dit avoir été impressionné par cette œuvre emblématique de Picasso © Sophie Calle / Adagp, Paris 2023 / Ph.: D.R.
L’ouvrage de la Série noire « À toi de faire, ma mignonne », sous l’œil de Picasso, autoportrait de 1901© Sophie Calle / Adagp, Paris 2023 / © Picasso Administration
Le déménagement de sa maison ! Un bric à brac comme un « inventaire après décès » © Sophie Calle / Adagp, Paris 2023 / Ph.: D.R.
Invitée à venir voir la Joconde, de près et décadrée en cours de restauration, elle lit au dos du tableau « cale joconde » ! Un signe ? Assez pour prendre la pose © Sophie Calle / Adagp, Paris 2023
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Délesté d’une grande partie des dessins de ses réserves, qui forme le corpus de l’exposition au Centre Pompidou, le musée Picasso a laissé la place à Sophie Calle, qui succède donc à Paul Smith, et a investi presque la totalité des salles du musée. Que vient faire la photographe chez Picasso, elle dont l’œuvre ne présente, apparemment, aucun pont avec le maître des lieux ? Un seul lien d’entrée avec ses photos de tableaux de Picasso cachés par du papier kraft lors du confinement, qu’elle photographie ainsi ! « Dans ces tableaux confinés, je trouvais une piste, une direction. Ça rejoignait mes thèmes : la disparition, l’absence, les tableaux volés, qu’on ne voit plus, les aveugles, les rideaux qu’on doit soulever pour voir. » se justifie-t-elle dans le catalogue.
Et si l’on retrouve cet esprit, à l’étage, dans ses tableaux voilés faits de ses photos dissimulées derrière de petits rideaux que l’on est invité à soulever, le parallèle est un peu facile. Dans le même esprit, au rez-de-chaussée, elle emballe à la Christo la mythique chèvre de Picasso, rend les œuvres de Picasso « fantômes » derrières des rideaux de tulle diaphane et chargés de textes commentant les œuvres voilées… Son écot rendu à l’espagnol, elle passe aux étages, tous à elle dédiés.
L’invitation à s’installer ici lui avait été lancée, dès 2019, par Laurent Le Bon, qui présidait alors au musée avant de prendre en charge le Centre Pompidou. Elle réfléchira quatre ans pour savoir par quel bout prendre cette invitation à coexister avec l’espagnol. Et de cohabitation, il n’en est donc pas vraiment question, la dame aurait pu installer tout son barda ailleurs que le résultat en aurait été le même… Gentiment invitée, elle évacue le maître des lieux en bas pour chausser ses chaussons et s’installer – au sens propre du terme, car l’exposition comporte une pièce de vie avec bureau et confort qu’elle investit de temps en temps ! – dans les étages ! Au musée, on parle de « contre-pied aux multiples événements de la Célébration Picasso 1973-2023 » !
Un catalogue raisonné de ses travaux
L’installation dans les étages est plus introspective, tout à son image et son propos habituel. On y trouve toutes les composantes de son œuvre. De ses séries en un catalogue raisonné recensant celles réalisées (61 dont La Dernière image, Parce que ou Que voyez-vous ?) ou non (47). Ses échecs, idées ou tentatives avortées, sont expliquées à l’aide d’ouvrages de la Série Noire, dont le titre et les explications correspondent à une idée issue d’une anecdote, départ d’un scénario à écrire ou à matérialiser. On y trouve aussi les allusions cathartiques – non dissimulées ! – de son rapport à la mort, avec l’évocation du décès de ses parents ou les différents états de son testament comme de demander à Jean-Baptiste Mondino de photographier la mise en scène de sa propre mort !
Série « Parce que« . Des photos dissimulées par petits rideaux brodés d’un texte narratif © Sophie Calle / Adagp, Paris 2023 / Ph.: D.R.
Et, surtout immense bric-à-brac fruit de son déménagement qui donne à une salle des allures de garde-meubles ou de dépôt vente : vêtements, livres, bibelots, meubles… On est dans une salle de l’Hôtel Drouot ! Et on ne peut mieux dire puisque tout ce bazar a été orchestré avec la complicité des commissaires-priseurs Alexandre Giquello et Philippe Ancelin, répondant, par-là, à une angoisse de la photographe : « Afin d’exorciser la crainte de voir ses objets disséminés après son décès ».
Dans son Inventaire des projets achevés, Sophie Calle trouve un parallèle entre ses projets et des titres des volumes de la Série noire qui leur font écho ! © Sophie Calle / Adagp, Paris 2023 / Ph.: D.R.
La mort, toujours, qui rôde. Présentation qui a même donné lieu à l’édition d’un catalogue tel que ceux que l’on trouve dans les présentations avant-ventes. Toute « la » Calle est là ! Et, comme toujours chez elle, sa vie, ses craintes, ses doutes, ses espoirs, ses ressentiments comme ses sentiments, son esprit narratif, sa curiosité pour les à-côtés de la vie qui la poussent à intimement mêler sa vie à son art. « Je me suis posé la question : qu’est-ce qui va disparaître si je meurs demain ? Ce sont mes tiroirs, mes idées inabouties, mes intentions, qui sont aussi mes ratés, mes échecs… » et tant d’autres choses, d’autres surprises, d’autres interrogations. Dans cet inventaire à la Prévert, ce maelström d’images, ce foisonnement de textes, cette profusion d’idées, de montages, de mise en scène, tout le bouillonnement né dans son esprit est là. Un fouillis inventif, drôle souvent, grave parfois, morbide aussi en un « camaïeu morose » (dixit Huysmans) mais étonnement touchant et profondément humain.
Musée Picasso, 5 rue de Thorigny (3e).
À voir jusqu’au 7 janvier 2024
Du mardi au vendredi : 10h30 – 18h Samedis, dimanches et Jours fériés (sauf les lundis) : 9h30 -18h00.
Accès :
Métro : ligne 8 stations Saint-Sébastien-Froissart ou Chemin Vert
Bus : 20 : Saint-Claude ou Saint-Gilles Chemin Vert, 29 : Rue Vieille Du Temple, 65 : Rue Vieille Du Temple, 75 : Archives – Rambuteau, 69 : Rue Vieille du Temple – Mairie 4e et 96 : Bretagne
Site de l’exposition : ici
Catalogues
Picalso
Photographies et textes deSophie Calle
Essai par Yve-Alain Bois
Éditeur : Atelier EXB
196 p. + dépliant poster, 53 ill., 52 €
Collection Sophie Calle / Erratum
Textes, documents, flyer et vignettes par Sophie Calle
Éditeurs : Drouot estimations (pour Collection Sophie Calle) et Atelier EXB (pour Erratum)
Les deux ouvrages sont vendus ensemble
220 p. (chacun), 49 € TTC
Noire dans Blanche par Sophie Calle
Éditions Gallimard
144 p. 29 € TTC