Après avoir célébré le romantisme et les spectacles à Paris, le Petit Palais nous convie à l’exploration de la modernité qui signe les 20 premières années du siècle dernier. Sont conviés peintres, sculpteurs, photographes, mais aussi constructeurs automobiles et aéronautiques ainsi que les couturiers et les décorateurs. Seuls oubliés : les petites mains qui ont façonné ces années-là.
Exposition Le Paris de la modernité au Petit Palais jusqu’au 14 avril 2024.
Vue in-situ d’une des salles de l’exposition © Paris Musées/Petit Palais/Gautier Deblonde
Pablo Picasso, Buste de femme ou de marin, Printemps 1907 © Succession Picasso 2023 / RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris)
Gino Severini, La Danse du pan-pan au « Monico », 1909-1960 © RMN-Grand Palais (Centre Pompidou, MNAM-CCI) / Hélène Mauri
Marevna, La mort et la femme, 1917 © Association des Amis du Petit Palais, Genève / Studio Bernaz, Genève
Man Ray (Emmanuel Radnitsky), Noire et blanche, 1926 © Telimages / Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2023
Paul Colin, Affiche de la revue Nègre au Music-Hall des Champs-Élysées, vers 1925 © ADAGP, Paris 2023 / RMN-Grand Palais / Gérard Blot
Paul Poiret, Tenue «Minaret», 1911 © Collection particulière, Paris. / CNCS / Florent Giffard
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Dans la foulée des expositions Paris 1900, la ville spectacle en 2014, suivie par Paris romantique en 2019, Le Petit Palais – dont on oublie trop souvent qu’il est le Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris – continue son exploration thématique des périodes qui ont façonnées l’histoire de la capitale, sa réputation et son aura. Ce troisième volet se penche donc sur ces années qui ont fait entrer Paris dans cette modernité qui signe le XXe siècle, en explorant thématiquement ces 20 années du début du siècle.
Ce XXe siècle, faisant suite à la révolution industrielle qui avait modifié la société dans la seconde moitié du siècle précédent, ne pouvait que poursuivre cette modernité qui allait bouleverser ce XXe siècle comme jamais auparavant. Il faut dire que dans la première moitié du XIXe siècle, on vivait à peu près de la même façon que les siècles précédents, c’est dire si ces bouleversements allaient modifier en profondeur ce siècle naissant.
L’exposition ne s’y est pas trompé appelant dans sa démonstration tous les paramètres de cette modernité tant dans les faits, les techniques que les arts. Ce parcours, à la fois chronologique et thématique, borne son propos dans les quartiers alors en vogue, se concentrant largement, sur les Champs-Élysées, à mi-chemin des quartiers de Montmartre et de Montparnasse. S’étendant de la Place de la Concorde à l’Arc de Triomphe et à l’Esplanade des Invalides, il comprend le Petit et le Grand Palais, mais aussi le Théâtre des Champs-Élysées, ou encore la rue de la Boétie. Ce quartier est au cœur de la modernité à l’œuvre.
Effectivement, si ces quartiers concentrent les salons et les expositions, et certains grands noms de la mode, de la technique et de l’art, c’est oublier que les grandes avancées, découvertes, progrès techniques et autres productions modernes comme le développement des moyens de locomotion (cycles, automobiles et aviation), voire le cinéma et l’implantation de studios se concentrent eux dans des milieux plus périphériques. Malheureusement oubliés ici.
Deux autres quartiers sont aussi évoqués : Montmartre et Montparnasse, les deux pôles où se concentre le Tout-Paris des arts et des lettres. Cafés accueillants, hôtels bon marchés, ateliers pour bohèmes et rapins, boîtes de nuit, tout ce monde se mêle en un phalanstère de la misère, de l’espoir, de la fête et auprès duquel vient s’encanailler une faune plus aisée, qui aiment se frotter à cette bohème. Montmartre la pionnière va se dépeupler dès que devenu aux mains de promoteurs et touristes pour irriguer
Delaunay, Robert, Hommage à Blériot, 1914 © Ville de Grenoble /Musée de Grenoble / J.L. Lacroix
Montparnasse. Les Picasso, Van Dongen, Juan Gris et Modigliani vont abandonner le mythique Bateau-Lavoir et traverser la Seine.
Les peintres témoins de leur temps
Un point positif toutefois, toutes les thématiques abordées ramènent toujours à l’art – peinture et sculpture – comme témoin privilégié de ce monde en mutation. L’art témoin de son temps, prend ici toute sa dimension. Et si on a coutume de penser que les artistes accompagnent ou précèdent leur temps, cet amalgame de choses éparses nous permet toutefois d’admirer bon nombre d’œuvres (tableaux, dessins, sculptures) qui signent parfaitement leur époque et auraient, somme toute, largement suffit, à eux seuls et avec documents et photos, à nous montrer ce temps de la modernité. Les œuvres présentées nous amènent à suivre ce début de siècle au travers de la mutation de ses arts. Des prémices de l’abstraction avec Delaunay, Kupka ou Larionov ; le fauvisme de Manguin, Van Dongen ou Matisse, puis le futurisme avec ici Marinetti, Carrà ou Severini représenté ici par sa Danse du Pan-Pan au Monico, œuvre gigantesque de 1909-1911, disparue qu’il exécuta de nouveau cinquante ans plus tard.
Marcel Duchamp, Roue de bicyclette, 1913/1914 © Musée National d’Art moderne, Centre Georges Pompidou / ADAGP, Paris 2023 / Ph.: RMN-Grand Palais, Philippe Migeat
Puis naturellement le cubisme avec les stars du mouvement que sont Picasso, Braque, Gris, Metzinger et Gleizes et l’on nous déroule ensuite quelques figures du dadaïsme et du surréalisme. On aborde également l’École de Paris avec Pascin, Chagall, Kikoïne, Soutine, Modigliani et Zadkine entre autres ou encore Mondrian et son néoplasticisme, prémices de l’art concret. Des artistes que l’on retrouve aussi dans l’évocation des Salons avec, en point d’orgue ce Salon d’Automne qui voit sa première édition en 1903 et qui sera marqué par cette Cage aux Fauves dans l’édition de 1905. Ce salon où beaucoup feront leurs premières armes quand d’autres, comme Braque et Picasso seront eux refusés et se retrouveront sur les cimaises de la galerie de Daniel-Henri Kahnweiler.
L’autre modernité, celle des techniques automobiles et aériennes, est évoquée au travers des salons qui se tenaient alors au Grand Palais pour l’automobile et au Bourget pour l’aéronautique, illustré par des affiches, une automobile Peugeot de 1913, un aéroplane Deperdussin et aussi par des œuvres du Douanier Rousseau (Les Pêcheurs à la ligne de 1908 dans lequel un aéroplane survole la scène) ou encore par cet Hommage à Blériot de Robert Delaunay (1914).
Artisans et ouvriers oubliés…
L’exposition déroule, comme un catalogue de morceaux choisis, robes, voitures, moteur, objets de décoration, bijoux, affiches, journaux, arts premiers qui viennent étayer des thématiques un brin fourre-tout. Les créations de Poiret voisinent avec l’art du camouflage de la Grande Guerre, des masques africains percutent une commode de Ruhlman, en un inventaire à la Prévert tentant de nous donner le goût d’une époque et qui, en définitive, provoque une grande confusion. Dans cette période d’extrême mutation sociale autant que technique, on nous met des coups de projecteurs sur des lieux ou des événements qui ne sont que la partie visible de l’iceberg de ces années-là.
À trop vouloir prouver, l’exposition saupoudre oubliant l’essence et le goût exact de ce temps. Étonnement, hormis les stars de l’époque – peintres, grands industriels, couturiers, etc. – on en oublie les véritables artisans de cette modernité, absents car relégués à la périphérie des quartiers ici évoqués. Dommage, on aurait aimé voir des peintures du monde ouvrier par Maximilien Luce, Ferdinand Gueldry ou Joseph Layraud, évoquer la littérature ouvrière, rentrer dans les fabriques, les bureaux d’études et les usines, voir les petites mains des grands couturiers au travail qui sont, eux aussi la cheville ouvrière de cette modernité en marche.
En tout près de 400 œuvres pour ce tour d’horizon de ces années, prémices d’un siècle qui allait ensuite connaître mille transformations et l’on doit faire un effort pour se dire qu’à peine un simple siècle s’est passé entre les débuts de l’électricité et de l’aviation et notre époque entre Internet et les conquêtes spatiales.
Musée des Beaux-Arts / Petit Palais, avenue Winston Churchill (8e).
À voir jusqu’au 14 avril 2024
Tous les jours sauf le lundi de 10h à 18h.
Nocturne les vendredis et samedis jusqu’à 20h.
Accès :
Métro : lignes 1 et 13, station Champs-Elysées Clemenceau ; ligne 9, station Franklin-Roosevelt
RER : ligne C, station Invalides
Bus : 28, 42, 72, 73, 80, 83, 93
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Le Paris de la modernité, 1905-1925
Sous la direction de Juliette Singer, conservatrice en
chef du patrimoine et commissaire scientifique
368 pages, 280 illustrations, 49 €