La fondation Giacometti nous propose une exposition conjointe d’œuvres du locataire du lieu avec celle de l’Italien Giorgio Morandi. Un rapprochement qui pourrait sembler étonnant tant il semble y avoir de divergence entre leurs travaux. Et pourtant, on nous démontre que se sont tissés des liens entre ces deux grands artistes du siècle dernier. Simplicité et dénuement président à leur art et leurs points communs sont à retrouver dans cette exposition, d’autant plus importante que la présentation d’œuvres de Morandi est rare à Paris.
Exposition Giacometti / Morandi. Moments immobiles à la fondation Giacometti jusqu’au 2 mars 2025
Vue d’une salle de l’exposition. Au premier plan : Alberto Giacometti, La Clairière, 1950. Au second plan : Composition avec trois figures et une tête (La Place), 1950 © Fondation Giacometti / Adagp, Paris 2025
Au mur de gauche à droite : Giorgio Morandi, Nature morte, 1956; Nature morte, 1956 et Nature morte, 1961 © Museo Morandi / Settore Civici Bologna / Adagp, Paris 2025
Giorgio Morandi. Paysage, 1913 Museo Morandi / Settore Civici Bologna / Adagp, Paris 2025
Giorgio Morandi. La Cour de la via Fondazza, 1954 © Museo Morandi / Settore Civici Bologna / Adagp, Paris 2025
Vue d’une salle de l’exposition Giacometti-Morandi © Ph. : Institut Giacometti / Adagp, Paris 2025
Giorgio Morandi. Nature morte avec une boîte, 1918 © Galleria nazionale d’Arte moderna et contemporanea, Rome / Adagp, Paris 2025
Alberto Giacometti. Paysage aux maisons, Stampa 1959 © Fondation Giacometti / Adagp, Paris 2025
Alberto Giacometti. La Clairière, 1950 © Fondation Giacometti / Adagp, Paris 2025
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Il y a entre artistes des rapprochements évidents qui ont souvent conduit à des expositions à quatre – et, voire plus – mains. On pourrait citer Matisse-Picasso en 2002 ou Warhol-Basquiat plus près de nous. Pour certains de ces rapprochements, dont certains sont évidents, il faut souvent, pour d’autres, fouiller, disséquer, voire élucubrer, pour trouver un lien ou un chemin. On peut se poser la même question dans cette présentation que nous propose la fondation Giacometti : celle d’exposer Alberto Giacometti (1901-1966) aux côtés de Giorgio Morandi (1890-1964). Bien qu’ils ne soient jamais croisés, la commissaire de l’exposition, Françoise Cohen, avance des similitudes de vies entre ces deux géants de l’art du XXe siècle.
Giorgio Morandi. Nature morte, 1956 © Museo Morandi / Settore Civici Bologna / Adagp, Paris 2025
Giorgio Morandi. Nature morte, 1939 © Museo Morandi / Settore Civici Bologna / Adagp, Paris 2025
Tous deux avaient des lieux de vie et de travail identiques, comme on peut le constater sur les clichés reproduits dans le catalogue. À savoir : une chambre-atelier Via Fondazza à Bologne pour Morandi, un atelier avec une mezzanine rue Hippolyte-Maindron dans le quartier du Montparnasse, ou son atelier de Stampa pour Giacometti. Même dénuement, même simplicité. Et aussi, ils ont peu, sinon presque jamais, voyagé. De leur atelier à une maison de campagne pour chacun. Une belle série de photos dans le catalogue appuie sur cette particularité commune. La guerre aussi aurait amené les deux artistes à œuvrer de façon distancielle et parallèle comme le note Alice Ensabella dans le catalogue. Un état « caractérisé pour les deux artistes par un isolement et une sorte d’exil qui se déroulent toutefois dans des lieux qui leur sont familiers ». Morandi quitte Bologne pour une petite maison familiale à Grizzana, un petit village des Apennins. Quant à Giacometti, il rejoint sa terre natale suisse, la maison familiale à Stampa.
On pourrait naturellement noter, des divergences fondamentales entre les deux, comme une disparité dans les thèmes. La production de Morandi est quasi exclusivement faite de natures mortes ayant pour sujet les pots et ustensiles présents dans son atelier, tandis que Giacometti est surtout le peintre de l’humain, un portraitiste affirmé, un sculpteur des corps. Pourtant, en regardant leurs débuts, on note chez Morandi quelques paysages que l’on retrouve aussi chez Giacometti qui avait une passion pour Cézanne.
Giorgio Morandi. Nature morte, 1944 © Contre Georges Pompidou / Musée national d’art moderne, Paris / Adagp, Paris 2025
Giorgio Morandi. Nature morte, 1947 © Galerie Karsten Greve AG. St Moritz / Adagp, Paris 2025
Mais c’est notamment dans la nature morte que les deux se rejoignent. Giacometti s’est très tôt tourné vers ce thème, comme ces pommes sur une table, et on l’on voit ainsi par la suite un constant retour à ce sujet comme nous le montre ici un petit cabinet de dessins. On découvrira aussi dans l’accrochage une étonnante toile aux accents surréalistes de Morandi (Nature morte avec une boîte, 1918) que l’on peut rapprocher d’avec la production surréalisme du Suisse comme La Cage (Stockholm Moderna Museet), une œuvre de 1930.
Simplicité et dénouement
Mais surtout, on peut leur trouver des points communs d’importance, plus dans l’esprit que dans la forme. On trouve chez chacune de leur œuvre qui, par leur simplicité, semblent nous confronter au silence de la quiétude de leur atelier respectif. Les natures mortes diaphanes de Morandi répondant aux visages hiératiques des Giacometti. Deux œuvres, deux lieux, deux vies, et un certain recueillement face aux bouleversements du monde. Deux lieux qui étrangement se ressemblent dans leur simplicité et leur dénouement et qui ont sûrement été pour beaucoup dans leur réflexion créatrice. On imagine bien, pour l’une comme pour l’autre, un travail silencieux dans ces lieux monacaux, propre à l’édification d’un œuvre qui n’a aucun éclat, aucune frivolité, aucune séduction, mais qui, au-delà de ces préceptes, appelle le silence comme pour mieux atteindre une sorte de félicité, une réflexion profonde et intérieure.
Et enfin, si l’on veut trouver un autre pont entre leurs travaux respectifs, il est intéressant de noter que sont mis ici en parallèle des natures mortes de Morandi – vases élancés, alignements de pots et de jarres – avec La Clairière ou La Place de Giacometti qui peuvent être perçues comme les natures mortes du suisse, des corps élancés posés comme l’agencement d’une nature morte.
Venues du musée Morandi de Bologne, la présentation nous permet d’admirer des œuvres de l’italien, rarement vues chez nous si on excepte une exposition à Toulon en 2010 et une autre à Grenoble en 2021 mais aucune à Paris. Une belle présentation à quatre mains par deux grands du siècle dernier.
Fondation Giacometti, 5, Rue Victor Schoelcher, 75014 Paris
À voir jusqu’au 2 février 2025
Accès :
Métro ligne 4 et 6 : Raspail ou Denfert-Rochereau
RER B : Denfert-Rochereau
Bus line : 38, 59, 64, 68 ou 88
Du mardi au dimanche : 10h – 18h Fermé le lundi
Site de l’exposition : ici
Catalogue
Giacometti-Morandi / Moments immobiles
Sous la direction de Françoise Cohen
Co-édition Fondation Giacometti et FAGE Éditions
Bilingue français/anglais.
144 pages. 26 €