En cette fin d’année 2019, le peintre français vivant le plus connu (et le plus cher) aura 100 ans. Le Louvre et le Centre Pompidou lui rendent hommage au travers de deux courts accrochages qui ont pour mérite un vrai survol de l’œuvre au musée du Louvre et la découverte d’œuvres inédites de la collection de Pierrette Bloch à Beaubourg. Deux bonnes raisons de célébrer l’un des artistes majeurs du siècle.
Posté le 20 décembre 2019
Expositions à visiter jusqu’au 9 mars 2020
Pierre Soulages. Portrait de l’artiste, 2 octobres 2017 © Collection Raphaël Gaillarde, dist. RMN Grand Palais/ ADAGP, Paris 2019 pour Pierre Soulages
Brou de noix sur papier 65 x 50 cm, 1948-1, 1948 © Adagp, Paris /Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/Dist. RMN-GP (Exposé au Centre Pompidou)

Brou de noix sur papier 65 x 50 cm, 1954, 1954. Legs Pierrette Bloch en 2018 © Adagp, Paris / Centre Pompidou, MNAM-CCI/Audrey Laurans/Dist. RMN-GP (Exposé au Centre Pompidou)

Peinture, 195 x 130 cm, Mai 1953 © New-York, Solomon R. Guggenheim Museum / Archives Soulages / ADAGP, Paris 2019 (Exposé au Louvre)

Peinture 146 x 114 cm, 1950, 1950 © Adagp, Paris /Centre Pompidou, MNAM-CCI / Dist. RMN-GP (Exposé au Centre Pompidou)

Peinture, 195 x 130 cm, 14 mars 1955 © Essen, Museum Folkwang / Archives Soulages / ADAGP, Paris 2019 (Exposé au Louvre)

Peinture, 326 x 181 cm, 14 mars 2009 © Washington, National Gallery / Archives Soulages © ADAGP, Paris 2019 (Exposé au Louvre)

Discret, effacé de la scène médiatique pendant des décennies, Pierre Soulages est devenu en l’espace de quelques années la figure emblématique de l’art français, notre peintre vivant le plus cher au monde ! L’étude Tajan a enregistré une enchère de près de 10 millions d’euros pour une toile de 1960 en novembre dernier, record mondial pour une toile de l’artiste ! Et le voici qu’après huit décennies de bons, loyaux et discrets services il s’apprête dans sa retraite sétoise à fêter son centième anniversaire le 24 décembre, entouré de son épouse Colette rencontrée aux Beaux-Arts de Montpellier en 1941. Naturellement tout ça n’a pas échappé à nos confrères qui ont assaillis son atelier sur les hauteurs de la ville occitane juste derrière ce cimetière marin immortalisé par un poème de Paul Valéry. Pierre Soulages, portant toujours beau, toujours de noir vêtu, en une stature de commandeur, s’est prêté au jeu médiatique, a répondu à de nombreux interviews (autant en un mois que pendant les vingt dernières années !) se prêtant aux photos, comme sorti de l’ombre.
En fait, il aura fallu une présentation en 1996 au Musée d’Art moderne de Paris, puis cette exposition fleuve au Centre Pompidou en 2009, pour ses 90 ans, pour que le grand public le découvre vraiment, lui qui pourtant avait été exposé, reconnu et récompensé dans le monde entier et ce depuis… 1949 où il fut accroché simultanément en Allemagne comme tête de pont de la jeune peinture française, à Paris et à New York, déjà ! Pourtant, Soulages ne semble être né – toujours pour le grand public s’entend – qu’à la fin du XXe siècle lorsqu’en plus de son exposition à Beaubourg et ses dons au Musée Fabre de Montpellier, est inauguré son musée à Rodez en 2014. Un musée à son nom, même Picasso, l’autre géant du siècle, n’avait pas eu, de son vivant, cet honneur !
L’outrenoir, un concept
Le noir a tout fait et ce noir, cet « outrenoir » (d’abord appelé
Exposition Soulages au Louvre, 2019, Salon carré © Musée du Louvre / Antoine Mongodin / ADAGP, Paris 2019
Noir-lumière) plus exactement, apparu en 1979, dans lequel il conceptualise son jeu entre ses toiles et la lumière qui les frappe, a un peu obscurci le reste de l’œuvre, l’œuvre « d’avant », de ces toiles qui ont mené à ces monochromes chahutés par des stries, des raclages, des sillons dans l’épaisseur du gras de la peinture. Cette œuvre au noir, sombre, à disputer entre lui, le franco-allemand Hartung et l’américain Kline. Pas de course à l’échalote, tout ça était dans l’air du temps. On déplorera ici au Louvre que la période des années 60, entre chien et loup, ne soit pas ici représentée, cette manière dans laquelle il associait encore la couleur à ses approches du noir, cette période où perçait sous sa couleur fétiche, du rouge, du bleu, du brun. Chaînon manquant qui aurait mieux explicité la suite.
Une grande période absente dans l’accrochage par ailleurs brillant – bien que réduit à une vingtaine d’œuvres – que nous propose le Louvre pour cet anniversaire. Intéressant car en si peu, la messe est dite. On a là une sorte de « Soulages pour les nuls » qui commence par ces traces de goudrons faites sur des morceaux de verre d’une serre et qui, étonnement, renvoie aux vitraux de Conques, que le peintre a créé pour la magnifique abbatiale aveyronnaise entre 1991 et 1994 et se termine par trois grands panneaux verticaux inédits car exécuté spécialement pour cet accrochage ici dans le magnifique Salon Carré qui fut longtemps le lieu d’expositions temporaires pour les artistes vivants et aujourd’hui dédié en temps normal à la peinture italienne des 12e au 15e siècle.
Exposition Soulages au Louvre, 2019, Salon carré © Musée du Louvre / Antoine Mongodin / ADAGP, Paris 2019
Le premier « outrenoir »
Entre ces deux bornes se déroulent huit décennies qui l’ont porté au pinacle. D’entrée on est confronté à ses merveilleux brous de noix – un colorant issu de l’enveloppe de la noix et utilisé surtout pour teinter le bois, « une matière sombre et chaude, banale et bon marché » expliquait Soulages – de la fin des années quarante qui contiennent déjà toute sa grammaire plastique puis quelques peintures des années cinquante jusqu’à cette grande œuvre du
14 avril 1979, première de la série des « outrenoir », une manière qu’il développera à loisirs en panneaux, diptyques, triptyques à l’horizontale, à la verticale, jouant sur les traitement de surface pour provoquer des ruptures optiques selon l’éclairage qui les frappe. Son credo depuis lors. Et l’on termine avec ces trois grands panneaux verticaux qui, après quelques errements de ces dernières années (cf. Peinture du 29 juillet 2012 présentée ici) retrouve toute la grandeur de cette œuvre hors du commun, toujours renouvelée, jamais identique et pourtant s’appuyant sur un concept qui la rend éternelle. Et enfin, à noter que chaque œuvre est accompagnée d’un long cartel reprenant des écrits ou déclaration du peintre.
À Beaubourg les Soulages de Pierrette Bloch
Le Centre Pompidou lui ne pouvait être en reste pour commémorer cette date, d’autant qu’il est le musée en première ligne. Si le Louvre a fait appel à des musées français et étrangers pour monter son exposition, le Centre Pompidou est allé puiser dans ses réserves qui contiennent 25 œuvres du maître du noir (pardon pour la métaphore un peu usée), ce qui en fait la collection la plus riche, après celle du musée de Rodez naturellement.
Les esprits chagrins diront que les Soulages de Beaubourg ont déjà été montrés ici en 2009, que ceux qui ont fait le voyage à la Fondation Gianadda à Martigny en Suisse les ont vus aussi, mais bon la date étant, il était intéressant de repasser une couche, ce que fait le Centre Pompidou dans deux salles au sein du musée. Mais cela dit, il y a quelques ajouts qui font tout l’intérêt de cette présentation de 14 œuvres. Le décès de Pierrette Bloch en juillet 2017 a permis au Centre d’hériter des « Soulages » de sa collection. Effectivement, les deux artistes, qui se sont rencontrés en 1949, sont devenus des amis indéfectibles, s’échangeant ou se faisant cadeau d’œuvres comme il est de coutume entre artistes.
C’est dès 1951 que le Musée national d’Art moderne acquiert une œuvre de Soulages et ici nous est montré une sélection de quatorze œuvres datées de 1948 à 2002 (neuf peintures, une encre sur papier, une eau-forte, deux brous de noix et une lithographie). Parmi celles-ci se trouvent sept œuvres du legs Pierrette Bloch, essentiellement des années 50, présentées ici pour la première fois justifiant à elles seules cette présentation sous forme d’hommage. Pour le reste : des photographies, des documents manuscrits et imprimés.
Et enfin, un dernier point. La production de Soulages est forte de plus de mille six cents toiles auxquelles il faut ajouter bon nombre d’œuvres sur papier comme des peintures, dessins, estampes, sérigraphies sans oublier son merveilleux travail sur les vitraux de Conques. À l’heure où certains se battent pour leur retraite, c’est d’évidence un mot inconnu pour lui. Une vie bien remplie. Merci et bon anniversaire Monsieur Soulages.
Musée du Louvre. Aile Denon (Salon Carré 1er étage)
À voir jusqu’au 9 mars 2020
Tous les jours de 9h à 18h excepté le mardi. (fermeture des salles à partir de 17h30). Nocturne jusqu’à 21h45 le mercredi et le vendredi. (fermeture des salles à partir de 21h30)
Accès :
En métro : lignes 1 et 7, station « Palais-Royal / Musée du Louvre »; ligne 14, station « Pyramides »
En bus : bus n° 21, 24, 27, 39, 48, 68, 69, 72, 81, 95
Site de l’exposition : https://www.louvre.fr/expositions/
Catalogue : Soulages au Louvre sous la direction d’Alfred Pacquement
Éditions Gallimard / Musée du Louvre. 166 pages 35 €
Centre Pompidou, place Georges Pompidou (4e).
À voir jusqu’au 9 mars 2020
Tous les jours de 11h à 21h (fermeture des espaces d’exposition à 21h)
Le jeudi jusqu’à 23h (uniquement pour les expositions temporaires du niveau 6)
Accès :
Métro : Rambuteau (ligne 11), Hôtel de Ville (lignes 1 et 11), Châtelet (lignes 1, 4, 7, 11 et 14)<strong
RER : Châtelet Les Halles (lignes A, B, D)
Bus : 29, 38, 47, 75
Site de l’exposition : https://www.centrepompidou.fr/cpv/
Catalogue :
Soulages Monographie sous la direction de Camille Morando
Éditions Gallimard / Musée du Louvre. 96 pages. 60 ill. 12 €