À son habitude, Picasso explore, dans cette fin des années 20, de nouveaux territoires et peint une série de tableaux qualifiés de « magiques » par Christian Zervos dans sa revue « Cahiers d’art ». Rompant avec les années précédentes, l’espagnol propose une nouvelle grammaire de la figure humaine dans laquelle la ligne, le signe et le plan redéfinissent une autre vision.
Posté le 29 décembre 2019
Exposition à visiter jusqu’au 23 février 2020
Femme dans un fauteuil [Figure], 1927 © Fondation Beyeler, Riehen/Basel, Beyeler Collection / Succession Picasso 2019
Buste de femme avec autoportrait, février 1929 © Collection particulière / Courtesy McClain Gallery / Succession Picasso 2019
Figure et profil, Paris 1928 © Musée national Picasso, Paris / Dation Picasso 1979 / Succession Picasso 2019
Pourquoi « tableaux magiques » ? Cette exposition dans l’Hôtel Salé qui abrite le musée Picasso de Paris se base sur une série de tableaux que le peintre exécuta entre l’été 1926 et le printemps 1930 et qui expérimente une nouvelle grammaire plastique. Le critique d’art Christian Zervos dans sa revue Cahiers d’art datée de 1938 nommera cette nouvelle manière « Tableaux magiques ». C’est la réunion d’une partie de ces œuvres qui nous est proposée ici, accompagnée à l’habitude de dessins, documents et photos chargés de nourrir la compréhension de cette période charnière dans son art. En ces années-là, Picasso « a revendiqué à nouveau le droit d’échapper aux limites et aux définitions » explique Zervos dans son numéro des Cahiers d’art. Et ce n’est pas là la moindre des observations que
l’on peut faire d’une œuvre qui ne s’est jamais reposée sur ces lauriers. Une œuvre n’hésitant pas à l’exploration, alors que tout le monde dès lors s’entendait à dire qu’il était déjà l’un, sinon le, plus grand peintre de son temps. Et pour les observateurs un peu avertis de son travail il est souvent aisé de dater à quelques années près un tableau voire un dessin, tant chaque période a apporté une nouvelle manière, rompant souvent radicalement de celle qui la précède. C’est encore le cas ici.
Cette fin des années 20 fait suite à un retour au classique, à cette période dite « ingresque » entamée dès 1920. Une manière qui elle fait suite à la révolution cubiste prônée avec son « compagnon de cordée » Georges Braque. Une manière dans laquelle Picasso renoue avec la tradition, offrant de grands nus puissants, des baigneuses monumentales comme taillées dans la pierre et une belle série de natures mortes, fruit d’un état social et politique apaisé après les années noires du premier conflit mondial. Son œuvre est ainsi construit, en ruptures une fois un cycle bouclé.
Cette ère des « tableaux magiques » délaisse la rondeur pour le plan et la ligne, la courbe pour l’angle aigu, la nature morte pour le corps et le portrait mis en lignes et tracés de manière non conventionnelle. Les yeux en amandes, les bouches dentées confère à ces œuvres un étrange pouvoir émotionnel servant, Zervos dixit, à « ébranler tout un milieu affectif et imaginatif… ». De plus, il faut aussi y voir l’apport non négligeable de l’art
La Demoiselle [Tête], janvier 1929 © Moderna Museet, Stockholm / Succession Picasso 2019
premier dont Picasso – tout comme Derain et Matisse – était collectionneur. Il est à peu près certain que l’influence – consciente ou non – de cet art sur cette période de création n’est pas à négliger. Ces œuvres avaient naturellement titillé aussi les surréalistes qui pouvaient y voir une affinité avec leur pensée.
Pouvoirs spirituels et étranges ?
Cette radicalité poussée à l’extrême est donc aussi à regarder du côté de l’art premier dont Picasso, sous l’impulsion de Derain et Matisse était collectionneur (se souvenir de l’exposition Picasso primitif au Musée du Quai Branly) et l’emploi du terme « magique » par Zervos n’est sans doute pas étranger à cette influence. Et quant à voir dans cette série de peintures des liens relevant de pouvoirs spirituels ou étranges, il n’y a qu’un pas que certains observateurs d’alors franchirent aisément. Connaissant Picasso et surtout son travail sur
Figure [Femme assise], 24 janvier 1930 © Fondation Beyeler, Riehen/Basel, Beyeler Collection / Succession Picasso 2019
la forme, plus sinon autant que sur le fond, son travail ici à vouloir explorer de nouveaux territoires est sûrement à regarder plutôt à l’aune de recherches plastiques et esthétiques que d’implications ésotériques voire magiques. Une nouvelle fois le malaguène, au sommet de son art, remettait en cause celui-ci et partait explorer des contrées là où personne ne l’attendait.
Sortir de l’étreinte de la convention
« Sa pensée fortement tendue dans le dessein de briser l’étreinte de la convention, de transgresser sa stérile loi d’immobilité, de faire prévaloir les violences du démonique sur les servitudes de la règle, n’a pas lassé de secouer les esprits pour en faire tomber les tentations de repos, en même temps qu’il leur a assigné un autre destin, celui de leurs désirs » s’emporte Zervos à l’aube de cette nouvelle direction que prend l’œuvre de Picasso.
Ce nouveau cycle qui s’étend sur près de quatre ans, fort d’environ cent cinquante peintures révolutionnaires, faites essentiellement de têtes et de figures, réécrit une nouvelle grammaire faite de signes, de lignes, d’hachures et dans lesquelles les dents jouent un rôle prédominant annonçant les œuvres à venir, celles des années sombres qui se profilaient au début des années 30. D’une façon prémonitoire Guernica est déjà présent…
Picasso. Tableaux magiques
Musée Picasso, 5 rue de Thorigny (3e).
À voir jusqu’au 23 février 2020
Du mardi au vendredi : 10h30 – 18h Samedis, dimanches et Jours fériés (sauf les lundis) : 9h30 -18h00.
Accès :
Métro : ligne 8 stations Saint-Sébastien-Froissart ou Chemin Vert
Bus : 20 : Saint-Claude ou Saint-Gilles Chemin Vert, 29 : Rue Vieille Du Temple, 65 : Rue Vieille Du Temple, 75 : Archives – Rambuteau, 69 : Rue Vieille du Temple – Mairie 4e et 96 : Bretagne
Site de l’exposition: www.museepicassoparis.fr/
Catalogue :
Picasso. Tableaux magiques, sous la direction des commissaires de l’exposition : Émilie Bouvard, Marilyn McCully, Michael Raeburn
Coédition Musée national Picasso-Paris / Silvana Editoriale . 200 p. 215 ill. 39 €