Deuxième partie de la vente des trésors de ce grand bibliophile que fut Paul Destribats. Cette seconde vacation met surtout en lumière le travail d’un éditeur hors norme, Pierre-André Benoit, qui œuvra dans l’ombre à Alès. PAB fédéra autour de lui les plus grands poètes et auteurs qu’il édita dans de petits bijoux d’ouvrages illustrés par les plus grands artistes du XXe siècle. Une occasion rare de découvrir le travail de cet éditeur peu connu mais d’une grande importance.
Pierre André Benoit et James Guitet. Ce qui vient. [Alès, PAB], 1985. Reliure de Georges Leroux et Martin Mélin. 1993 (Est. : 1 000 – 1 500 €) © Courtesy Christie’s
Cette deuxième vente de la collection de Paul Destribats qui, rappelons-le fut l’un des plus grands collectionneurs d’ouvrages sur les avant-gardes (voir sur l’homme et la première vente, notre article), et sur le surréalisme plus particulièrement, nous invite à nous pencher sur un drôle de bonhomme, Pierre-André Benoit (1921-1993) qui fut l’un des plus atypiques éditeurs de livres d’art. Cette vente, forte de 276 numéros, lui est presque entièrement consacrée.
Pierre-André Benoit – appelé plus couramment PAB ce qui était aussi le nom de sa maison d’édition – était non seulement éditeur d’étonnants ouvrages, mais aussi peintre, graveur, poète et même imprimeur ! Bref, un vrai homme de livres. Des livres, il en édita plus d’un millier et ce dans le plus grand anonymat public, des ouvrages, qu’il bricolait lui-même grâce à l’acquisition d’une petit presse à bras qui ne lui permettait pas de dépasser un certain format de l’ordre de l’in-quarto (environ notre format A4). Ce qui donna ces ouvrages de petites dimensions – même très petites, l’ordre de quelques centimètres – qui pouvaient se composer que d’une feuille pliée en 4 et dont le tirage était souvent très restreint, pouvant même ne pas dépasser les 10 exemplaires.
Des ouvrages collectionnés par des bibliophiles très confidentiels et qui, pourtant, s’arrachaient les « PAB » dès leur parution. Il faisait tout dans sa bonne ville d’Alès, où il était né et où il mourut. Un musée-bibliothèque y a même été aménagé suite à la donation de ses œuvres d’art à la ville.
Il avait réussi une gageure : agréger autour de lui les plus grands poètes et les plus grands artistes de son temps ! Le nom de PAB est indissociable de celui d’Ilia Zdanevitch, dit Iliazd, né à Tbilissi en Géorgie en 1894, qu’il quitte en 1920 pour Paris. Poète et surtout imprimeur, il partage avec PAB une certaine idée de la perfection et un inconditionnel amour pour le livre. Ils ne pouvaient que se rencontrer et œuvrer ensemble. D’où, ici, dans la vente une belle partie consacrée à leur complicité bibliophilique.
Marcel Proust. Trois poèmes et un dessin. [Alès], PAB, 1958. Reliure De Pierre-Lucien Martin, 1960. (Estimation : 800 – 1 200 €).
René Char et Georges Braque. Jeanne qu’on brûla verte. [Alès], PAB, 1956. Reliure De Pierre-Lucien Martin, 1960. (Estimation : 1 200 – 1 800 €) © Courtesy Christie’s
Pierre André Benoit et Pierre Alechinsky. Hi hi hi hi. [Alès], PAB, 1984. Reliure de Martine Mélin, 1960. (Estimation : 600 – 800 €) © Courtesy Christie’s
Parmi les premiers on retrouve les noms de Proust, Arp, Artaud, Breton, Char, Claudel, Crevel, Éluard, Paulhan, Satie, Seuphor, Tzara et Valéry pour ne citer que les plus connus. Ils avaient pour habitude de lui confier qui un texte inédit, qui un poème ou une réflexion que notre PAB mettait en page accompagné très souvent d’une gravure, d’une gouache ou d’une litho signée par Alechinsky, Braque, Buffet, Bryen, Ernst, Mirò, Picabia, Sima, Ubac ou naturellement Picasso. On retrouve notamment l’ouvrage rarissime Si large est mon image comportant sur un texte de PAB entièrement manuscrit, 4 gravures de Picasso, l’ouvrage étant connu qu’en deux exemplaires !
Des relieurs d’exception !
Et comme si cela ne suffisait pas pour le bibliophile accompli qu’il était, Paul Destribats fit relier certains de ces petits ouvrages par les grands noms de la reliure de son temps comme Rose Adler, Monique Mathieu, Pierre-Lucien Martin, Georges Leroux, Jean de Gonet ou Alain Lobstein. Des relieurs d’exception qui se sont souvent ingéniés à habiller ces ouvrages de reliures aussi étonnantes que le sont ces publications. Reliures mosaïquées ou faites de matériaux étonnants comme cet étui en bois sculpté de Jean de Gonet, cette peau de varan utilisée par Martine Mélin ou encore ces bandes de papier découpées dans des boîtes de médicaments et de morceau de gaze (Jean de Gonet sur Médicament Picabia par Francis Picabia). Il faut également citer les décors, faits de mosaïques de peau pour certains. Comme par exemple le travail de Georges Leroux et Martine Mélin sur Le Vide de PAB ou encore sur Ce qui vient, toujours de PAB. D’incontestables tours de force surtout au vu de la petitesse de certains ouvrages !
Les 276 lots de la vente viennent un fois de plus nous prouver
Iliazd, Ilia Zdanevitch dit, Max Ernst et Guillaume Tempel. Maximiliana ou l’exercice illégal de l’astronomie. Ecritures et eaux-fortes de Max Ernst pour commenter et illustrer les données de Guillaume Tempel mises en lumière par Iliazd. Paris, Le Degré Quarante et Un, 1964. Reliure hypnotique de Georges Leroux, 19760. (Estimation : 50 000 – 70 000 €) © Courtesy Christie’s
toute la passion de ce bibliophile, comme il en existe peu par siècle. Cette vente dessine aussi le portrait de PAB, cet éditeur aussi étonnant que confidentiel, hors de tous les circuits habituels tant en ce qui concerne la fabrication (choix de papiers de haute qualité, de mises en page recherchées et d’une grande qualité d’impression), que la diffusion tout comme dans le choix des textes et des illustrations les accompagnant. Un ensemble d’une extrême rareté, d’autant que le tirage de chaque ouvrage ne dépasse rarement que quelques dizaines voire même pour certains, à peine dix exemplaires. PAB est un cas à part dans l’édition et sûrement le dernier dans la lignée d’une tradition du livre vieille de plusieurs siècles et aujourd’hui quasiment disparue.
Paul Destribats, bibliothèque des avant-gardes. 2ème partie
Christie’s 9, avenue Matignon (8e)
Vente le jeudi 4 février à 10h30 pour les lots 1 à 90 et à 14h30 pour les lots 91 à 273
Expositions publiques : du 30 janvier au 3 février (excepté le dimanche 2 février) de 10h à 18h.
Site de la vente : www.christies.com/